Le lieutenant Véronèse était fatigué. Il ne voulait pas se l’avouer mais le long voyage à travers le désert en compagnie du capitaine Broz l’avait dérouté. Le capitaine paraissait être un officier décidé et compétent, mais ses conseils comme ses directives lui semblaient inexplicablement contradictoires. Il lui avait conseillé d’être impitoyable dans l’exécution des ordres, de ne rien céder sur l’entretien du matériel, mais pour le reste d’être très très attentif à ce que lui dirait le sergent Farazio qui commandait par intérim depuis la mort de son prédécesseur.
« La plupart des gars sont sur Teth depuis sept ou huit ans, le sergent à douze ans de terrain, avait-il dit, vous vous débarquez de Sélénia cette semaine, le colonel apprécie tellement de recevoir enfin des renforts qu’il a envie de vous voir survivre, et pour apprendre cela les vétérans de Farazio sont ce qu’il y a de mieux! »
Il l’avait ensuite déposé devant un minable hameau fait de yourtes de feutre de la couleur des moutons qui empestaient les environs et qui étaient eux-mêmes de la couleur de la steppe… Grisâtres. Il avait salué avec une élégance un peu narquoise puis avait hurlé en démarrant : « Le prochain PO sera au point L, grille temps 4-2. N’oubliez pas de le dire au sergent! »
Il n’avait pas jugé nécessaire d’ajouter la moindre explication de ce rébus. Après il n’y avait plus eu que la poussière laissée par le command car et l’odeur des troupeaux.
Véronèse resta un moment seul au bord de la piste, puis il suivit le sentier menant au campement. La trace évitait une crête étroite que le lieutenant eut envie de gravir pour se faire une idée des environs. Une fois au sommet il observa rapidement l’horizon : au nord une large plaine de gravier bordée juste à l’horizon par un escarpement indistinct, à l’est et à l’ouest le cours desséché de deux wadis encombrés de drekks et de graminées dont les chèvres semblaient se régaler, Au sud…
– Vous n’allez pas me marcher dessus mon lieutenant?
Véronèse fut assez fier de n’avoir pas sursauté quand la toile crasseuse sur laquelle il avait failli marcher sans la voir fut soulevée pour découvrir un trou d’homme soigneusement aménagé. Sur le costume (il ne parvint pas à penser « uniforme ») de l’homme qui l’avait interpellé, il avait au moins distingué le mince chevron de sergent vétéran.
– Vous êtes le sergent Farazio? Vous devez vous présenter à moi!
– Je ne sais pas si je suis le sergent Farazio, lieutenant, mais je ne me présente à personne sur une ligne de crête, c’est pour cela que je suis encore en vie pour vous manquer de respect. Descendez par là rapidement, j’arrive!
Là-bas c’était un renfoncement creusé dans le flanc de la colline entre deux touffes d’épineux où débouchait un boyau camouflé. Quand Véronèse y parvint, l’homme était déjà sorti de terre et se tenait au garde à vous. Il portait un long caftan de la couleur des yourtes, des chèvres et de la plaine sur lequel on avait recousu des protections d’épaules marquées par un long usage et avait troqué son turban pour une casquette presque réglementaire.
– Sergent Farazio, 2ème compagnie du 317ème bataillon, deuxième régiment. Bienvenue au peloton mon lieutenant.
Lorsque j’ai commencé mon armée de la garde, je me suis posé la question de l’adaptation de ma liste à l’historique du IIème Sélénia et à sa situation particulière sur TethVI. La particularité du régiment étant d’avoir été envoyé puis oublié sinon purement laissé en quarantaine sur une planète désolée, les hommes comme leurs officiers ont été contraints de s’adapter pour survivre et remplir autant que possible leur mission. Cela impliquait le recours aux ressources locales (l’emploi massif de la cavalerie est aussi une une réponse logique à cette problématique), une vraie capacité d’improvisation, mais aussi l’idée que des effectifs réduits étaient parvenus à s’aguerrir peu à peu en devenant de véritables spécialistes du terrain et de la survie. De véritables vétérans!
A l’époque de l’avant dernier codex, le temps passe, Les règles des doctrines régimentaires qui permettaient de personnaliser fortement les régiments m’avaient permis de constituer une armée de vétérans formée en infanterie légère qui était complètement dans l’esprit du 2ème Sélénia. C’est un peu moins évident avec la dernière version, mais l’emploi des vétérans endurcis correspond toujours assez bien à l’ambiance que je veux obtenir.
Le vétéran du IIème Sélénia sur TethVI est donc un homme qui a appris la survie et acquis au fil des combats une solide expérience d’un environnement qu’il à fini par faire sien, menant la vie des nomades de Teth, habitant les mêmes yourtes et portant les mêmes vêtements de grosse laine ou de feutre sur son uniforme pour se dissimuler et se protéger du vent brûlant comme du froid des nuits d’hiver. Sa silhouette se caractérise donc d’abord par une grande indépendance vis à vis du règlement, indépendance (ou indifférence?) qui se manifeste par l’abandon systématique des casques au profit de coiffures plus confortables mais totalement anarchiques, par le port de lunettes de soleil d’origine civile et d’autres détails qui donnerait une syncope au plus large d’esprit des adjudants cadien.
L’aspect général reste toutefois sobre, l’homogénéité des unités est maintenue par l’usage du gilet pare-éclat cadien et celui presque superstitieux des protections d’épaules agrémentées de leurs marquages réglementaire : l’as de pique des troupes d’élite et le numéro du bataillon à droite, le jaune du 2ème Sélénia à gauche. De la même manière, s’il noircit le métal de son fusil laser pour éviter tout reflet, le vétéran sélénien utilise assez systématiquement des effets d’intendance, gourdes, baïonnettes étuis à cellule énergétique, tout à fait réglementaires.
Le déploiement des unités à loin de leurs bases pendant de longues périodes fait aussi que les hommes emportent systématiquement un barda imposant avec eux durant les missions, si bien que le gros sac à dos est presque devenu un élément à part à entière de la silhouette du vétéran. Chaque homme y place ce qui lui paraît essentiel pour sa mission et sa survie : armes supplémentaires, grenades non réglementaires, nourriture, bidons, équipement de cuisine, porte bonheur… La liste est infinie!
L’expérience durement gagnée au combat fait que les Vétérans sont dans le régiment des spécialistes des armes d’assaut, et forment donc logiquement les unités ad hoc de lance-flammes, fuseurs, plasma etc quand ils ne sont pas détachés comme spécialistes ou gardes du corps dans les escouades de commandement ou auprès des officiers supérieurs. Le colonel Bargonzoli s’est même constitué une sorte de garde personnelle recrutée parmi les plus efficients des vétérans de son régiment, qui lui sert de réserve ultime en cas de coup dur. C’est pour les hommes de chaque unité un honneur envié d’entrer dans ce groupe d’élite.
On murmure parfois ici ou là que certains de ces hommes sont parfois utilisés par le commissaire Vincenze pour des tâches plus discrètes mais tout aussi difficiles qui relèvent directement de sa fonction de surveillance de la fidélité des hommes et des officiers, comme de la mission de contrôle des élites dirigeantes de Viridias ou des tech du consortium du Nevo, mais ce ne sont sans doute que des racontars de bivouac. La fidélité et la foi des gardes du Deuxième Sélénia ne fait aucun doute!