Valkyries et Gerfauts sur TethVI

L’absence de soutien aérien digne de ce nom fut longtemps un des problèmes majeurs du 2ème Sélénia dans ses opérations sur TethVI. Aucune unité aérienne n’avait été prévue à l’origine dans les plans de déploiement parce que la mission initiale de sécurisation n’envisageait pas d’opération de haute intensité et qu’il n’y avait pas à priori d’opposition à craindre dans ce domaine. L’état-major de la Flotte considérait par ailleurs que toute évolution de la situation au sol pourrait être plus efficacement traitée par un soutien approprié des unités contrôlant le secteur et il est notoire que ses officiers refusent autant que possible de disperser leurs ressources.
Un escadron de circonstance fut toutefois organisé sous les ordres de l’enseigne Anton, par détachement de quelques appareils quand le Croiseur « Clarté » fut contraint à un retrait précipité du système de Céracuse. L’attaque surprise qu’il avait subi nécessitait des réparations urgentes et ses hangars étaient trop endommagés pour pouvoir transporter dans de bonne conditions les appareils encore intacts.
Cela plaça sous les ordres du colonel Bargonzoli une petite unité mixte constituée d’une quarantaine de transporteurs polyvalents de type Valkyrie et de quinze chasseurs bombardiers Thunderbolt avec leurs équipages (l’origine des quatre bombardier de type Marauder figurant dans les organigrammes de l’unité reste à ce jour un mystère). Ils n’étaient accompagnés par contre que du personnel de maintenance minimum puisqu’il n’était pas question de les engager en opération. Ce manque devint un problème crucial quand la situation militaire rendit soudain l’emploi des appareils nécessaire : un mois après le début des opérations actives, le taux de disponibilité était déjà tombé en-dessous de 30% par le simple fait des pertes, de l’usure ou de la cannibalisation inévitable puisqu’il était impossible d’espérer des renforts ou des pièces détachées de l’extérieur de la planète. Là comme ailleurs, les Séléniens furent contraints d’exploiter au maximum les ressources locales.

On sous-estime souvent cet enjeu technique dans l’évolution des relations entre l’état-major du deuxième Sélénia et les directeurs du Consortium Nevo au cours de la troisième année de la campagne de Teth. Quand il décida de prendre, de fait, le contrôle des installations minières, le colonel Bargonzoli avait certes en tête des nécessités tactiques et politiques, mais il est évident que les questions logistiques furent essentielles dans la décision finale : le Consortium disposait de moyens, de matériels et des techniciens qui faisaient si cruellement défaut à la Garde. Cela conduisit aux heurts que l’on sait : les détachements de la Garde durent parfois faire usage de leurs armes pour obtenir l’accès aux dépôts et aux installations techniques, les dirigeants du Consortium Nevo adressèrent des protestations et des plaintes nombreuses aux autorités de Viridias et de Céracuse. Même s’ils ne le reconnurent jamais officiellement, il fallu l’apparition d’un nombre croissant de peaux vertes dans le massif, et les destructions qui en résultèrent pour les convaincre de modifier leur attitude à l’échelon local.

La nature du système d’extraction minière dans le massif du Nevo et les compromis passés avec les hommes chargés du transport du minerai des années auparavant (voir ref 564/n78 : trimardeurs), faisaient que la régulation des flux reposait sur un contrôle aérien très développé, le consortium disposait donc d’un parc de plus de trois cents appareils, les « Gerfauts » certes d’usage civil mais directement dérivé de la Valkyrie impériale. Du point de vue de la Garde, il était donc assez facile de recourir au équipes au sol et aux pilotes de la compagnie pour pallier le manque de personnel, voire de reconfigurer des Gerfauts pour un emploi militaire. Sur le papier au moins, la saisie des appareils du consortium ajouté à la remise en état des Valkyries indisponibles permit de constituer immédiatement onze escadrilles de treize appareils chacune, soit cinq patrouilles doubles, deux appareils de réserve et un pour l’officier commandant. Le Colonel Bargonzoli eut l’habileté de laisser initialement à la disposition du consortium presque deux cents Gerfauts, à la condition expresse que la Garde puisse prélever sur ce stock les appareils nécessaires pour remplacer les pertes en opération. Il est vrai aussi que la dégradation générale de la sécurité des vols au-dessus du massif encouragea les dirigeants du consortium à demander eux-même la militarisation progressive des moyens restants.

Même si aucune archive ne précise à notre connaissance l’origine de sa construction, du point de vue technique, le Gerfaut se présente comme une Valkyrie monoplace donc les moteurs sont un peu plus puissants à basse altitude mais bien moins performants dans les moyennes et hautes altitudes. La caisse cargo est très semblable à celle de son équivalent militaire, les seuls différences tenant à l’emport d’un système de caméras et de détection nécessaire à sa mission d’origine mais n’impliquant pas de modification structurelle. L’absence de blindage permet de gagner de la masse pour compenser un emport de carburant nettement plus important et des systèmes de positionnement et de navigation extrêmement sophistiqués rendus nécessaires par la nature même des missions en vue desquelles l’appareil a été prévu à l’origine. Pour le profane, la différence la plus visible entre la Valkyrie et le Gerfaut est le train d’atterrissage à roues dont dispose ce dernier. Le dispositif peut surprendre sur un appareil à décollage vertical, il se justifie en fait quand on sait que les appareils sont conçus pour voler avec des charges très importantes dans des zones de haute montagne où il est plus économique en carburant de décoller ou d’atterrir de manière traditionnelle sur des pistes très courtes (procédure STOL). Il est à noter que le train à roues s’est révélée extrêmement utile pour la manutention des appareils au sol dès lors qu’il ne s’agissait plus d’opérer à partir des ponts d’un vaisseau ou de bases fixes mais depuis des terrains de campagne souvent hâtivement aménagés. Un simple camion VTL, voire les muscles d’une équipe de maintenance suffisent largement pour déplacer un appareil à roues, là où il faut des engins spécialisés pour une Valkyrie ordinaire. A un moment où la situation militaire nécessita un desserrement maximum et des systèmes de camouflage sophistiqués, cette mobilité fut plus que bienvenue.

Ces différents aspects permettent de comprendre que, très rapidement, les nécessités de l’entretien des appareils militaires conduisirent à une forme d’hybridation assez inhabituelle, puisque d’un côté les Gerfauts reçurent progressivement des équipements militaires (systèmes d’acquisition de cibles et armement) tandis que les Valkyries endommagées étaient, elles, remise en état au standard Gerfaut avec en particulier l’adoption du poste de pilotage monoplace et l’installation des systèmes de navigation et de leur opérateur à l’intérieur du fuselage. A l’heure actuelle, seuls des détails, variant d’ailleurs d’un appareil à l’autre, permettent de déterminer de l’extérieur, si la cellule d’origine est celle d’une Valkyrie ou d’un Gerfaut.

La question des hommes fut plus complexe à gérer. Les personnels au sol et les équipes de maintenance du Consortium furent assez facilement militarisées dans la mesure où leur organisation n’était pas à l’origine très éloignées des procédures de la flotte et le travail technique assez semblable. La ventilation judicieuse de sous-officiers aux postes essentiels et le détachement d’équipes d’armuriers, suffit largement à assurer un rendement satisfaisant des unités qu’un solide patriotisme contribua progressivement à souder
Pour ce qui concerne le personnel navigant, la question se révéla plus complexe. Les pilotes de Thunderbolt et de Marauders furent naturellement maintenus dans une unité homogène puisque leurs appareils comme leur entraînement étaient trop spécifiques, et les quelques renforts qu’ils reçurent furent toujours pris parmi les pilotes d’appareils de transport issus de la Flotte. Pour ce qui concerne les Valkyries et les Gerfauts, les pilotes civils du Consortium, quoique très qualifiés dans leur domaine se révélèrent très difficiles à entraîner aux procédures militaires sauf pour ceux d’entre eux qui avaient reçu une formation de ce type dans le passé (encore que dans ce cas une enquête scrupuleuse fut faite par les services du commissaire Vincenze pour vérifier les antécédents des hommes et mettre à l’écart quelques suspects). D’une manière générale, équipages se caractérisaient à la fois par un orgueil professionnel et par un goût exacerbé de l’indépendance qui les rendit d’emblée très rétifs à toute procédure militaire. Leur habitudes des vols en solitaire de longue durée, la grande autonomie de décision qu’ils possédaient et la liberté d’existence très excessive que leur laissait le Consortium en dehors des missions, réduisirent très longtemps leur valeur militaire à presque rien, les limitant de fait à des missions de ravitaillement ou de reconnaissance en solitaire dans lesquelles il faut reconnaître que leur connaissance des conditions locales, leur audace et leur fierté (qui faisait que l’échec d’une mission était perçu comme une véritable honte vis à vis de leurs collègues) les rendirent extrêmement efficace. Leur emploi dans des missions offensives se solda par contre au départ par une série d’échecs catastrophiques qui entraîna non seulement la perte de trop nombreux appareils, mais aussi une baisse préjudiciable du moral.
L’enseigne Anton qui avait le commandement administratif de l’unité aérienne détachée du « Clarté », confia au premier lieutenant (nav) Flocione la difficile responsabilité de réussir l’amalgame. Celui-ci y parvint en inversant avec beaucoup d’audace les procédure d’engagement habituelles, constituant d’emblée des binômes militaire/civil dans lesquels le pilote militaire assurait le plus souvent la protection opérationnelle de son équipier civil qui était lui chargé de l’exécution de la mission. Outre que cela rendait les opérations nettement plus attractives pour les nouveaux venus, cela permit de réduire notablement le ratio des pertes ( au prix d’une légère  baisse du rendement opérationnel) et d’accoutumer peu à peu les nouveaux venus à la discipline de vol en formation de combat.
Même si les différences de capacités opérationnelles perdurèrent plusieurs années à l’intérieur des unités, l’amalgame se révéla précieux également du point de vue politique, car les personnels restés au départ sous l’autorité du Consortium se mirent à considérer leur homologues militarisés avec une envie croissante, envie que le colonel Bargonzoli utilisa sans vergogne aucune pour recruter les meilleurs d’entre eux chaque fois le besoin s’en fit sentir, et il ne manqua jamais de volontaires parmi lesquels faire son choix.
Signe le plus probant de cette intégration réussie, durant les six années qui suivirent, on ne releva pas plus d’une dizaine de cas de désertion avérés. Là comme dans les autres unités, la capacité du colonel Bargonzolli et du commissaire Vincenze à instaurer un véritable sentiment d’appartenance parmi les troupes se révéla décisive.

Le déploiment du 2ème Sélénia sur TethVI : une évaluation opérationnelle
Commandant Delco (nav), Com Flotte Céracuse
512/GH4-5