Une légion pénale : les Bannis.

Quand, après presque dix ans de campagne, les gardes du deuxième Sélénia apprirent officiellement qu’ils ne quitteraient jamais plus les steppes désolées de tethVI et ne reverraient, par conséquent, ni la terre natale, ni leurs familles, le régiment affronta une grave crise morale.

Il faut sans doute mettre au crédit de l’encadrement le fait qu’aucune grande unité constituée ne se soit mutinée. Même si des cas de refus d’obéissance individuels ont semble-t-il été observés (ce qu’aucun officier du régiment n’accepte de reconnaître officiellement, nous l’avons constaté), l’endurcissement né de la longueur de la campagne et le lien forgé entre la troupe et des cadres le plus souvent sortis des rangs a en général suffi à préserver la cohérence des bataillons.

Mais ce qui est vrai pour une grande unité combattante, un bataillon motorisé ou un escadron de char, ne l’est pas forcément pour le petit groupe isolé pendant de longs mois dans un dépôt perdu au milieu du désert ou un poste d’observation isolé au sommet d’un piton aride. La grande dispersion tactique du deuxième Sélénia avait multiplié les détachements en tous genres et, pour ces « enfants perdus » chargés de pénibles missions de garde ou de surveillance, la rumeur de l’exil définitif venant s’ajouter à la solitude et à l’angoisse de chaque jour, fut souvent la souffrance de trop.

On a parlé de suicides, il y en eut certainement, mais  les abandons de poste et les désertions furent plus nombreux. Des gardes jetèrent avec rage l’épaulière jaune et le croissant qui faisaient jusque-là leur fierté pour se fondre dans la steppe avec leurs armes et leur matériel. Certains se joignirent à l’une ou l’autre des innombrables sectes millénaristes qui fleurissent sur Teth, troquant l’uniforme pour la bure et le fusil laser pour le bâton du Flagellant. D’autres, qui avaient noué des liens dans certaines tribus, s’y fondirent, épousant leurs maîtresses et se faisant bergers ou artisans. D’autres hélas utilisèrent leur expérience tactique pour former de véritables bandes de bandits de grands chemins qui passèrent peu à peu sud du Sillon pour rançonner les fermes et les voyageurs.

Aucun chiffre n’a jamais filtré de l’état-major sur le nombre de ces déserteurs, mais pour le colonel Bargonzolli et le commissaire Vincenze, ces bandes représentèrent bientôt un défi redoutable!

A l’évidence le simple respect des codes de la Garde Impériale impliquait de les traquer sans pitié et de les éliminer sans autre forme de procès. Hélas, la réalité prévalant sur TethVI rendait cette mesure difficilement applicable, sinon dangereuse. En effet, si l’organisation décentralisée et l’initiative très large laissée aux unités avaient permis au régiment de remarquablement accomplir sa mission dans des conditions difficiles, elles avaient par contre le défaut d’avoir habitué les hommes à se fier à leur propre jugement plus qu’il n’est souhaitable. Beaucoup de ceux qui avaient su rester fidèle à leur serment de Garde Impérial n’en n’étaient pas moins profondément blessé par cet exil forcé qu’ils jugaient injuste : ils conservèrent naturellement une certaine sympathie pour leurs frères d’armes dévoyés, allant parfois jusqu’à les ravitailler secrètement ou à les cacher. Il était donc à craindre que la discipline ne s’érode progressivement si l’on négligeait de punir les déserteurs, mais on pouvait redouter tout autant que ceux à qui on donnait l’ordre de les arrêter ou de les abattre ne choisissent plutôt de les rejoindre! D’un autre point de vue, le commandement du régiment ne pouvait difficilement, sans perdre la face devant les Autorités Planétaires, accepter que des vétérans du Deuxième Sélénia rançonnent les voyageurs, pillent les dépôts du Consortium ou rossent la milice planétaire!

La solution fut trouvée, comme souvent, par hasard. Une forte bande de déserteurs venait de s’emparer d’un relai sur la piste de Viridias, non loin de la vallée des Devins, quand survint un petit détachement d’éclaireurs du 4ème escadron de cavalerie dirigé par lieutenant Léoncello en personne. Les Gardes étaient très inférieurs en nombre, épuisés par une longue mission de surveillance des bandes d’orks récemment descendus des montagnes, mais ils n’eurent aucune hésitation à investir le relai : cavaliers et déserteurs se trouvèrent face à face, chacun hésitant à ouvrir le feu sur l’autre. Le lieutenant Léoncello était déjà à cette époque une légende vivante parmi les hommes du Deuxième Sélénia : il suffisait d’un regard sur son visage déformé par les implants bioniques, pour que chacun le reconnaisse aussitôt.

On raconte que les déserteurs firent observer qu’ils étaient plus nombreux et qu’ils étaient prêts à laisser à leurs anciens frères d’armes la vie sauve en échange du butin, mais qu’ils n’osèrent pourtant pas engager immédiatement le combat. Alors que chacun hésitait encore, Léoncello avança seul au milieu des bandit, abattit d’un seul revers de son épée énergétique deux hommes qui faisaient mine de s’opposer à lui avant d’écraser les autres sous son regard métallique :

– Vous pouvez jeter vos armes ou les garder, cela m’importe peu, je châtierai les uns comme les autres!

Cela suffit à la plupart qui rendirent les armes aussitôt, mais certains refusèrent. Avec une sorte de fierté désabusée : il mirent le fusil à la bretelle en disant qu’il acceptaient de libérer leurs otages, mais que, tant qu’à mourir, il préféraient le faire avec leur armes des mains de leurs anciens compagnons. Il est probable que Léoncello fut sensible à leur courage, on raconte aussi qu’il connaissait l’un d’entre eux, un ancien sergent vétéran avec qui il avait eu l’occasion de combattre. Il n’y eut donc pas d’autre combat ce soir-là : les civils quittèrent le relai avec de grandes protestations de gratitude envers le lieutenant, puis les gardes loyaux et leurs prisonniers se trouvèrent à bivouaquer à proximité l’un de l’autre dans un silence gêné. Les cavaliers n’étaient guère assez nombreux pour espérer garder les captifs, ceux-ci de leur côté n’étaient pas vraiment désireux de tenter une épreuve de force, beaucoup ressentant amèrement la honte d’avoir abandonné leur régiment.

Avec le soir, le souvenir des combats menés ensemble s’imposa, on commença à se parler, puis timidement, certains vinrent demander à Léoncello de les conseiller sur la manière de sortir de l’impasse dans laquelle ils étaient : les plus innocents commençant même à espérer qu’ils pourraient réintégrer les rangs!

Le lieutenant ne les laissa pas dans cette illusion, par contre il eut l’idée de leur parler des orks qui infestaient la bordure de l’escarpement, entre le Sillon et les plateaux :

– Il vous reste une voie si vous voulez laver un peu de la honte qui vous recouvre :  passer au nord de l’escarpement, traquer les Peaux Vertes et tous les ennemis de l’Empereur dans l’espoir de redevenir des combattants, pas des Gardes Impériaux naturellement, mais au moins des combattants! Ceux qui feront cela ne pourront jamais revenir, mais ils recevront des armes et du ravitaillement en même temps qu’ils retrouveront l’estime de leurs anciens compagnons d’armes. Les autres, je les enterrerai moi-même, ici, avec leur honte!

Pas un ne sembla douter que le lieutenant était capable, à lui seul, de les abattre tous, mais l’espoir de retrouver un semblant d’honneur en même temps que de quoi survivre de manière un peu moins aléatoire, fut pour beaucoup décisif! Le matin venu, les proscris vinrent annoncer au lieutenant qu’ils acceptaient ses conditions. Celui-ci de son côté tint parole : il les escorta au-delà du Sillon, puis après leur avoir rendu leurs armes et fait distribur de la nourriture leur désigna le désert d’un geste qui leur rappela qu’il n’y aurait pas de seconde chance…

Lazlo Fanicz : histoire du 2ème Sélénia
édition dite « de Vassel » chap 15, vol IV

On peut douter du récit de Lazlo Fanicz, connu pour sa tendance à toujours présenter le Deuxième Sélénia et ses hommes sous un jour héroïque, il n’en reste pas moins que ces irréguliers, que l’on connaît sur Teth sous le nom de « Bannis », apparurent au cours de la campagne quand il fallu régler la question des déserteurs ou des criminels issus du régiment, alors même que la pénurie chronique de combattants rendait difficile de les éliminer ou de les enfermer. Admettons donc, comme Lazlo, que l’idée de les chasser dans le désert pour en faire des commandos de marche chargés de collecter du renseignement, mais surtout de provoquer le maximum de dégâts chez l’ennemi, fut celle du lieutenant Léoncello; elle n’en fut pas moins précisée et mise en oeuvre aux plus hauts échelons de la hiérarchie!

Ce que L Fanicz ne dit pas directement, c’est que ces unités très spéciales sont toujours strictement encadrées par un corps de sous-officiers spécialement formé et placé sous le commandement direct du commissaire Vincenze lui-même. Ces « Nounous » ainsi que les proscrits ont pris l’habitude de les désigner, sont seuls habilités à rester en contact avec le régiment qui fixe les missions confiées à leurs hommes. Ils possèdent surtout les codes permettant de trouver les lieux de rendez-vous secrets ou d’obtenir munitions et ravitaillement. Ils sont enfin les seuls juges du destin des criminels confiés à leur garde, sur lesquels ils ont droit de vie et de mort.

Pour le voyageur qui craint toujours de les croiser comme pour les autres soldats, les Bannis se reconnaissent d’abord à la casaque rouge (qui peut-être une veste, un surcot, un treillis ou que sais-je du moment que c’est rouge!) habituellement ornée de signes de reconnaissance choisis par les hommes eux-mêmes ou par leurs « Nounous ». Bizarrement, cette casaque infamante est devenue pour eux un motif de fierté et presque de gloire, il ne s’en sépareraient pour rien au monde et se font un point d’honneur d’être ensevelis avec. Pour le reste, leur équipement est hétéroclite et leurs vêtements issus de tous les rebuts de l’intendance. Si leurs armes sont marquées des signes habituels de la Garde Impériale, eux-même n’ont, sous peine de mort, le droit d’arborer aucun insigne honorable, qu’ils s’agisse de l’aquila ou des couleurs et symboles du régiment.

Je ne sais si les Bannis de Teth portèrent jamais le « collier de discipline » que l’on a coutume d’employer dans les autres compagnies pénales de la Garde Impériale, mais comme il n’existe pour les proscrits aucun autre moyen que l’obéissance pour obtenir l’aide du régiment – dont ils ont désespérément besoin pour ne pas mourir de faim et de soif – ce serait finalement un gaspillage! « L’homme seul dans le désert  naît à l’aube et  meurt à midi » disent les nomades de Teth, les Bannis le savent parfaitement. Quant à ceux qui auraient l’idée de  fuir vers les zones habituées, ils savent qu’il n’y a qu’une peine, immédiatement exécutoire, pour un banni pris au sud du sillon : la mort par insolation, lié à un poteau ou à un rocher. Inutile de dire que les Bannis veillent toujours sur leurs « Nounous » comme sur la prunelle de leurs yeux : sa mort, quelle qu’en soit la cause, signifie toujours la leur. Il n’y a pas de seconde chance.

Ainsi se sont constituées les bandes de Bannis : quelques centaines d’hommes dispersés dans le désert vivant en groupes plus ou moins réduits mais ne dépassant jamais une vingtaine d’hommes, choisissant leurs règles et leur mode de fonctionnement, établissant leurs rites… Les années passant, l’institution s’est pérennisée au point de devenir la sanction systématique pour chaque manquement grave à la discipline. Dans les unités et les popotes, le jargon du combattant à intégré l’idée par des expressions argotiques, toutes plus imagées les unes que les autres, mais, plus curieusement, les bandes de Bannis se sont trouvées fournir une voie pour tout ceux qui, pour une raison ou une autre, ne supportent plus la discipline militaire ou la vie de garnison. On raconte dans les bivouacs qu’il y a eu même des officiers pour choisir d’endosser la casaque rouge et aller se perdre au delà de l’horizon dans les régions les plus désolées et les plus inhospitalières de Teth. Difficile à vérifier : les Bannis n’ont plus d’identité, le nom qu’ils portent ne signifie rien et ils ne reviennent jamais vivants au sud du Sillon…

2 comments to “Une légion pénale : les Bannis.”
  1. J’ai lu pas mal de tes petits textes à propos de tes diverses armées. C’est bien écrit et c’est passionnant.
    Tu sais toujours apporter LA touche de réalisme qui rend tout ça crédible. Bravo !

    • Merci beaucoup!
      Je suis content que les textes te plaisent, ils me sont importants pour faire « vivre » tous ces petits bouts de plastique!
      A+
      Le Médiko

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