L’aventure du LR1bis

Rapport sur la production des chars Leman Russ version Sélénia (LR1bis)  lors de la première campagne de Céracuse.

Lorsque fut prise la décision de réarmer de Sélénia lors que la première guerre de Céracuse, la situation militaire locale était extrêmement critique car les arsenaux planétaires, quoique raisonnablement bien équipés, n’avaient en effet été conçus que pour assurer le montage de véhicules livrés en pièces détachées. Les techs Séléniens avaient certes développé eux-mêmes des adaptations aux modèles standards (déplacement des postes de conduite, climatisation, surblindage extérieur etc), mais la maîtrise des rituels de fabrication de véhicules blindés restait fragmentaire, car les régiments de la garde originaires de Sélénia engagés en dehors de la planète n’étaient habituellement équipés de leur matériel lourd qu’une fois déployés.

L’interruption brutale des livraisons de matériel par Cadia se justifiait facilement par des raisons de sécurité, les Cadiens ne voulant naturellement pas que ces armements puissent tomber entre des mains ennemies sur une planète jugée peu défendable, mais elle paralysa très rapidement les forges et les ateliers, si bien qu’il fut bientôt impossible de fournir aux régiments les renforts et les rééquipements nécessités par des menaces d’invasion de plus en plus précises.

Privé du flux régulier des transports cadiens, l’arsenal de Bennett qui était spécialisé dans l’assemblage des blindés construits sur le châssis de type Leman Russ se trouva arrêté au bout de trois mois seulement par l’épuisement des stocks de certains composants critiques quand d’autres s’accumulaient inutilement dans les hangars. On disposait par exemple à Bennett de plus de cinq cents caisses usinées, d’obusiers, de canons laser  de roulements et de chenilles, mais les moteurs, les transmissions et les tourelles manquèrent très rapidement.

Des solutions de circonstance furent naturellement mises en œuvre : on monta des armes sur des affûts fixes ou des véhicules non blindés, mais il ne pouvait s’agir que de mesures transitoires destinées à étoffer dans l’urgence la puissance de feu des milices de défense locales et ces équipements fixes étaient évidemment trop vulnérables ou trop lents à déployer pour être réellement efficaces.

Pour défendre les plaines de Sélénia Prime et soutenir les régiments déployés hors de la planète avec un équipement limité, il fallait du char !

1) La commission Ranzoni

Dès le début de la campagne, une commission avait été constituée par les autorités planétaires pour faire l’inventaire des ressources de toutes natures que la Garde pourrait avoir le cas échéant besoin de réquisitionner. Le travail fut efficace et il fut précieux par la suite lorsque les programmes d’armement furent lancés effectivement. Il permit aussi aux autorités civiles et militaires d’améliorer leur compréhension mutuelle. Lorsque la question des armements se posa, c’est donc tout naturellement que le commandement des forces locales se tourna vers la commission pour rechercher une solution. On décida alors de nommer l’administrateur Ranzoni à la tête d’une équipe composée pour moitié de militaires et pour moitié de techs des différents arsenaux de Sélénia. Ranzoni lui-même n’avait aucune expérience industrielle ni militaire –c’était un juriste de formation – mais sa parenté faisait partie de celles qui avaient fourni les contingents expédiés sur TethVI et il se trouvait naturellement directement concerné par leur sort.

Sous son impulsion, l’approche de la commission se voulut strictement pragmatique ce qui la poussa à bousculer sans hésiter les habitudes les plus enracinées. C’est elle qui convainquit les autorités locales d’appuyer les efforts de production sur une vaste campagne de propagande capable de rassembler les énergies et de les canaliser (« des canons pour nos frères ! ») ; c’est elle aussi qui imposa à des techs plus que réticents la nécessité de prendre quelques distances avec les rituels de construction consacrés. L’objectif fixé était quant à lui ambitieux : il s’agissait ni plus ni moins que de produire un char de combat efficace en moins d’un an, et de le faire uniquement à partir des ressources locales.

Les questions d’organisation administratives une fois réglées, les problèmes à résoudre étaient innombrables Céracuse ne disposant pas des ressources industrielles nécessaires à un tel programme. En l’absence des minerais adéquats, il était évident qu’il faudrait s’orienter vers une revalorisation de pièces existantes : les engins d’entraînement usés jusqu’à la corde, les carcasses vides de Bennett, et à plus long terme, le reconditionnement des tracteurs Atlas des compagnies de dépannage des forces blindées.

L’hypothèse d’utiliser des châssis de Basiliks ou de Chimères pour construire un char entièrement nouveau fut retenue pour le long terme mais à titre d’étude de faisabilité seulement dans la mesure où la demande concernant ces véhicules était considérable elle aussi.

Dans ces conditions, les deux problèmes qu’il était le plus urgent de résoudre étaient d’une part la question de la motorisation (moteur et transmission) et celui de la fabrication d’une tourelle capable de porter l’imposant canon obusier du Leman Russ.

2) Moteur et transmission : sous-commission Mercure (Tech Grégorio/Colonel Geronzolli)

L’équipe chargée de la motorisation écarta rapidement l’idée de copier purement et simplement un groupe retiré d’un Leman Russ d’origine pour des raisons de coût et d’efficacité, aucun des rituels complexes de l’usinage et de l’assemblage n’étaient suffisamment maîtrisés par les techs locaux, comme le montrèrent trop bien les quelques tentatives faites malgré tout.

Dans ces conditions, il parut plus efficace de chercher à adapter au char des blocs moteurs déjà existants qu’il serait possible de réquisitionner. Les modèles militaires, Chimères, Basiliks et leurs variantes, étant exclus au départ, la commission procéda à un inventaire exhaustif des solutions disponibles. Des groupes d’excavatrices (moteurs TH15) et de foreuses (moteurs TH8)  furent essayés avec un réel succès sur un châssis dégagé à cet effet ( N° de caisse U-111-76), mais en dépit des qualités de puissance et la taille réduite de ces moteurs la solution fut abandonnés parce que le nombre des véhicules existants était trop réduit pour permettre une véritable production en série. On estime qu’une trentaine de char de type LR1 furent toutefois assemblés, essentiellement avec des blocs TH15, mais aucun ne quitta jamais le sol de Sélénia où ils furent par la suite remis progressivement au standard LR1bis. Les techs durent donc se rabattre sur le moteur TH23 utilisé par les camions civils, les tracteurs agricoles et les engins d’exploitation forestière de la zone équatoriale.

Deux fois moins puissant que ses prédécesseurs, le TH23 étant à la fois ancien et extrêmement répandu. Il nécessitait un couplage pour rester dans des limites de puissance acceptables pour la masse du char Leman Russ mais pouvait se prévaloir d’une robustesse et d’une polyvalence à toute épreuve. Le problème majeur restait un encombrement trop important de l’ensemble moteurs/transmission obtenu pour qu’on puisse l’installer dans les caisses existantes sans de lourdes modifications.

Il fallu se résoudre à redessiner l’arrière du char ce qui posait à la fois le problème de répartition des masses et celui de longueur de la surface portante de la chenille. Différentes configurations furent testées sur deux châssis non cuirassés (N° de châssis C-342-76 et F032-51) simplement chargés pour l’occasion de gueuses métalliques destinées à conserver le poids en charge prévu.

La version allongée (avant-projet Mercure A, châssis C-342-76, moteurs en ligne et caisse portée à 7,93m) se révéla, comme prévu, décevante lors des essais de maniabilité. Le montage transversal retenu pour le second projet (Mercure B,  châssis F-032-51, moteurs en parallèle) fut donc adopté malgré des modifications plus drastiques imposées aux caisses d’origine. Il se caractérisait par un relèvement de 93 cm des barbotins permettant de placer l’ensemble de transmission au-dessus du groupe moteur dans une caisse de forme grossièrement rectangulaire, bien plus massive que le modèle d’origine, mais relativement aisée à assembler par rivetage. Cette configuration présentait aussi l’avantage de conserver la même longueur portante pour les chenilles tout en réduisant la place occupée à l’intérieur du compartiment moteur.

Une petite série de dix huit caisses blindées (LR1-01à18) fut ordonnée et réalisée moins de cinq mois après le lancement du programme, autant pour finaliser les procédés de fabrication en série, que pour commencer une évaluation opérationnelle sérieuse des véhicules. C’est cette dernière qui révéla, hélas, le plus gros problème du modèle : une surchauffe inacceptable en conditions de combat  – défaut déjà caractéristique du modèle Sélénia d’origine – qui risquait de compromettre l’avenir même du char. Diverses solutions furent étudiées, dont plusieurs satisfaisantes techniquement, mais toutes étaient trop coûteuses pour les  ressources disponibles, si bien qu’il fallu se résoudre à un compromis plutôt simpliste : le perçage d’une grille de ventilation sur le flanc gauche du véhicule. Même soigneusement étudiée, cette solution augmentait la vulnérabilité du char, et ne fut avalisée par les militaires qu’à contre cœur. Mais c’était cela ou l’interruption du programme pour une durée indéterminée : l’urgence prévalut une fois de plus et la fabrication des LR1 fut ordonnée sous cette forme.

3) La question des tourelles : sous commission Hades (Tech Ferrovicci/Major Stomp)

En apparence plus simple, la nécessité de fabriquer en série une tourelle pour armer les châssis disponibles se révéla en pratique un défi redoutable du fait de l’extrême complexité du modèle d’origine qui parvient à loger dans un espace extrêmement réduit l’imposant canon du Leman Russ et son mécanisme.

On écarta là aussi l’idée d’une copie pure et simple, les plaques de blindage disponibles étant en quantités insuffisantes et trop complexes à souder pour les techniques locales. Les militaires refusant évidemment l’idée d’un compartiment de combat ouvert pour un char de bataille, il fut imaginé de produire une tourelle similaire au modèle d’origine mais en métal coulé. La technique présentait l’avantage d’être largement maîtrisée par les techniciens locaux puisque les exportations de métaux rares de Sélénia se faisaient depuis longtemps sous la forme de pièces de fonderie. Le durcissement par altération moléculaire étant réalisable aisément, le premier avant projet fut rapidement finalisé et la production de série put être lancée moins d’un mois après le tracé des premières épures, les fonderies de Bennett et de Thorn se chargeant d’un programme de quatre cents exemplaires chacune.

C’était à l’évidence agir trop vite! Le montage des obusiers fut réalisé sans incident à Bennett sur les têtes de séries produites sur place mais premiers essais de tirs se révélèrent catastrophiques : trois tourelles (deux Bennett et une Thorn) furent purement et simplement désintégrées au premier tir et une douzaine d’autre présentaient après trois ou quatre essais des fissures qui les condamnaient définitivement au rebut. En dehors des pertes humaines provoquées par ces essais, le projet Hadès qui semblait devoir précéder le projet Mercure se trouva finalement prendre un retard de plus en plus considérable, au point de menacer le programme dans son ensemble.

Plusieurs types d’alliages, plusieurs profils et différentes solutions techniques furent testées sans succès : la seule solution efficace trouvée conduisait à augmenter de 89% l’épaisseur des blindages ce qui faisait s’envoler le poids très au-delà de l’acceptable.

Le technaugure Ferrovicci qui dirigeait la sous-commission reconnut lui-même son échec en offrant sa démission pour s’engager comme simple soldat dans les forces planétaires. Sa décision pour respectable qu’elle était ne réglait pas la question : les cinquante premiers véhicules qui défilèrent dans les rues de la capitale pour encourager l’effort de la population lors des cérémonies marquant le départ du 17ème mécanisé étaient des engins impressionnants mais totalement inaptes au combat qui n’auraient pu tirer un seul coup sans causer la mort de leur équipage ! On imagine aisément le moral des troupes qui ne les chargèrent dans les transports que pour les redescendre discrètement de nuit, juste avant l’appareillage, et ne partirent au combat qu’avec quelques chimères et les tracteurs de ravitaillement TRC38 bricolés en antichars de circonstance ! On imagine aussi la honte des ouvriers qui avaient travaillé en vain jour et nuit sans ménager leur peine et voyaient revenir en usine leurs chars inutilisables.

En désespoir de cause il fallut se résoudre à renoncer aux expériences : les tourelles produites ne pouvaient espérer emporter mieux qu’un autocanon, un laser ou un multilaser, ce qui ne faisait guère du LR1 Sélénia qu’un mauvais Annihilator, mais permettait tout de même de produire enfin un blindé, imparfait certes, mais dont la capacité antichar était réelle (deux canons lasers ou un canon laser et un multilaser) et le blindage conséquent.

Quatre vingt onze véhicules (Cent huit selon l’inventaire de l’arsenal de Bennett qui inclut probablement les engins de présérie) furent donc produits à partir de châssis de diverses tranches sous le nom de char LR1 et trois escadrons au moins furent déployés sur TethVI dans le cadre de pelotons antichars destinés à soutenir les Léman Russ traditionnels déjà sur place. Si les équipages ne furent pas totalement satisfaits de ces engins, ils surent toutefois en tirer le meilleur parti et furent au moins réconfortés par l’effort de mobilisation dont témoignait ce renfort inattendu à un moment où ils se sentaient abandonnés par le commandement de la flotte.

4) Vers le Leman Russ LR1bis modèle Sélénia


Il est évident que l’échec du programme n’était pas acceptable pour la population de Sélénia, même si les représentants de l’Adeptus Mars présents sur Sélénia le jugeaient par avance inévitable, et s’il soulignaient avec force l’inanité qu’il y avait à tenter de modifier des modèles à la perfection sanctifiée par l’usage. La commission décida donc de reprendre la question au point de départ en examinant à nouveau l’ensemble des projets qui avaient été étudiés, voire simplement ébauchés depuis le début du programme et bien avant, depuis que l’on assemblait des chars sur la planète ! La foi qu’ils manifestèrent et les efforts consentis finirent par porter leur fruit. C’est le major Stomp qui se souvint d’une ancienne étude ordonnée quinze ans auparavant pour un canon d’assaut inspiré du Thunderer. Elle avait été demandée aux techs de Bennett par le commandement des forces planétaires occupé alors à réduire la place forte fortifiée d’un clan hérétique des montagnes d’Ogampo. La fin des combats était survenue avant la réalisation du projet, mais les épures avaient été soigneusement archivées et il fut facile de les reprendre pour les adapter aux travaux en cours.

Le projet original consistait simplement à installer l’obusier du Leman Russ directement dans la caisse du char pour obtenir un véhicule spécialisé plus compact et plus économique que le blindé d’origine. Il était relativement simple de conception puisque l’affût se trouvait simplement boulonné au plancher et protégé par un masque coulé de forme arrondie, et il utilisait des composants disponibles : de quoi rendre l’espoir aux membres de la commission exténués ! Un prototype fut fiévreusement construit en une seule nuit par adaptation d’un LR1 prélevé directement sur les chaînes. On raconte que le major Stomp travailla lui-même, la clé à molette ou une riveteuse en main, avec l’équipe chargée de ce premier montage, et que le travail se fit au milieu de la foule des ouvriers venus des autres postes soudain immobilisés par l’espoir !

L’installation quoique sommaire se révéla aussi satisfaisante pour ce qui était de la résistance que pour ce qui concernait le service de la pièce. Seul l’armement secondaire posait problème puisqu’il se limitait à un fulgurant ou à une mitrailleuse placée à l’extérieur sur le tourelleau du chef de char. La décision fut donc immédiatement prise de produire en parallèle les deux versions LR1 (laser) et LR2 (Obusier) que les militaires prévoyaient d’employer en unités composites où ils pourraient se soutenir mutuellement.

Peu de LR2 furent pourtant produits. L’appellation elle-même ne fut jamais consacrée officiellement par les forces de défenses planétaires sélénienne, et l’envoi d’exemplaires du char sur TethVI, si elle est bien confirmée par les bordereaux du transport « Flamme de Vainquis » ne dépassa probablement pas une douzaine de véhicules. Il apparut en effet bien vite que les deux solutions techniques retenues pour les LR1 et LR2 pouvaient sans grande difficulté se fondre en une seule : un déplacement de l’affût de l’obusier vers la droite de la caisse et une légère réduction de la quantité de munitions embarquées suffisaient à dégager la place nécessaire au montage de la tourelle laser du LR1 sur la caisse du LR2. A nouveau un prototype fut construit, là aussi en un temps record puisqu’il ne s’agissait que de compiler des solutions techniques qui avaient toutes été réalisées indépendamment les unes des autres. Il fut accepté par des forces de défense planétaires soulagées tout aussi vite et désigné officiellement LR1bis modèle Sélénia.

Les deux premiers LR1bis (n° de châssis F-032-51 : celui-là même qui avait servi à tester la transmission, et K-471-04) sortirent de l’arsenal de Bennett onze mois et neufs jours après le lancement du projet, le premier char fabriqué par Thorn (n° de châssis A-301-55) roula dix jours plus tard : le pari avait été tenu !