Un des problèmes stratégiques les plus complexes posés par la campagne de TethVI résidait dans l’immensité des espaces à couvrir et dans la nécessité pour les unités de disposer de moyens de transport conséquents pour s’adapter au mieux à la fluidité des opérations. Etant donné le dénuement dramatique dans lequel se trouva le IIème Sélénia lors de son déploiement, cette question devint bien vite un casse tête pour les officiers en charge de la planification logisitique.
Pour ce qui concernait le déplacement des troupes ou leur ravitaillement en munitions et équipements divers, le recours aux tracteurs TRC et la réquisition de camions légers de construction locale permirent de couvrir bon an mal an les besoins, même s’il fallut souvent faire de nécessité vertu et se résoudre à mettre à cheval nombre d’unités légères de reconnaissance.
Pour les engins lourds par contre, aucune solution n’existait au départ si bien que les chars et autres chenillés furent contraints de couvrir des distances considérables sur des terrains particulièrement stressants pour les équipements. Cela se fit au prix d’une énorme dépense en carburant qui ajouta au problème logisitique, mais, plus grave encore, cela entraîna une usure accélérée des mécaniques comme des équipages. Les deux premières années de la campagne, il ne fut pas rare de voir des unités engagées au combat avec un potentiel réduit de moitié. Les engins en panne jalonnaient les itinéraires malgré les prouesses des équipes d’entretien chargées de les réparer.
Dans tous les cas, ce déficit de transport eu comme conséquence, lors des retraites, d’entraîner l’abandon et la destruction de nombreux appareils parfois faiblement endommagés qu’il auraient pourtant été facile de réparer s’il avait été seulement possible de les évacuer à temps.
La situation crée par ce problème n’était pas une simple gêne : elle hypothéquait toute la campagne : le colonel Bargonzoli comprit très vite qu’en réduisant sa portée d’intervention, elle le privait à terme des moyens de remplir correctement sa mission.
Certes on pouvait raisonnablement penser que les moyens détournés par la crise de Céracuse seraient rapidement déployés sur Teth et adopter dans cet espoir un dispositif statique et une posture attentiste. Mais, outre que ce choix rendait ses troupes beaucoup trop vulnérables, il heurtait profondément sa vision de la stratégie à adopter sur Teth.
Inutile d’attendre dans de petits postes isolés des bandes de pillards orks que l’on ne pouvait poursuivre dans le désert pour les détruire, impossible d’affronter les mystérieux xénos Taus sans une mobilité au moins equivalente à la leur, illusoire de prétendre s’imposer comme arbitre entre les Soeurs du Suaire et le Chapitre des Sons of Vulcain avec une poignée de check-points qu’un vulgaire contrebandier pouvait éviter au prix d’un détour de quelques kilomètres dans le désert. L’immobilité conduisait à la perte d’initiative, la perte d’initiative ruinait la crédibilité militaire et sans crédibilité le 2ème Sélénia ne serait bientôt plus qu’une gêne mineure qu’il serait plus simple de balayer que de subir!
Après une période d’observation d’un peu plus d’un an, le colonel conclut donc, contre l’avis de beaucoup de membres de son état-major, que les Séléniens seraient livrés à eux-mêmes pour longtemps et qu’il leur était vital d’agir par eux-même. Le journal de marche du régiment (années I&II vol 7/EM- Ops) fait état des très nombreuses réunions d’état-major qui furent consacrées à ces questions! Le colonel le martelait sans cesse, il le répétait à ses hommes lors de chaque visite d’inspection : avec un effectif aussi réduit et sans soutien de la Flotte, le 2éme Sélénia ne pouvait espérer survivre qu’en bougeant sans cesse. Il lui fallait, coûte que coûte, trouver des solutions sur place sans espérer de soutien extraplanétaire, mais il fallait aussi les trouver vite!
Même chez les Séléniens habitués à un degré d’initiative supérieur à la moyenne, cette analyse et les choix qui en découlaient furent difficiles à faire admettre. On considère habituellement que c’est l’appui du Commissaire Vincenze qui fut décisif dans son adoption, et qu’elle marqua le début de l’étroite coopération entre les deux hommes qui marqua si profondément le caractère du régiment. Il est clair toutefois que le soutien des troupes humiliés par leur impuissance comme par leur dénuement pesa d’un poids considérable.
Quoi qu’il en soit, chacun s’attaqua au problème avec une ardeur presque désépérée. C’est de cette époque que date la formation des premiers escadrons de cavalerie, ou la multiplication des dépôts secrets dans le désert, mais les techs du régiments rivalisèrent aussi d’ingéniosité pour concevoir les dispositifs provisoires les plus variés. On vit des Leman Russ montés sur des trains rouleurs improvisés tractés par des camions miniers attelés par trois ou quatre, on vit des trains de chimères déplacés par des Atlas… Tout cela était dangereusement précaire et aboutissait à donner du régiment une image misérable qui nuisait à sa crédibilité et faisait pâlir de fureur le commissaire Vincenze, mais cela montrait aussi une farouche volonté de se remettre enfin en mouvement.
Force fut aussi de se tourner vers des ressources locales, et il faut bien reconnaître que l’attitude pour le moins distante des autorités planétaires ne rendit pas les choses plus facile! Car des moyens de transport lourds adaptés aux besoins de la Garde existaient bel et bien sur Teth, juste à portée de main! Il s’agissait en particulier de la flotte de camions lourds de la série TP du Consortium Nevo.
Beaucoup de vétérans des premières années on rapporté leur colère et l’humiliation qu’ils éprouvaient quand, au hasard d’une piste, leurs pauvres charrois de mulets ou de VTL devaient s’écarter précipitamment pour laisser passer des convois grondants du Consortium dont les conducteurs ne daignaient même pas ralentir en les croisant. Il faut porter au crédit de la discipline rigoureuse qui régnait dans les rangs le fait que les incidents violents soient restés très rares. Mais aucune archive ne dit le nombre de fois où des chefs de char en panne ou des sections de fantassins harrassés par les marches avaient dû observer les véhicules du Consortium dans leurs viseurs de leurs armes avec une certaine nostalgie…
Car sur l’échiquier politique complexe de TethVI, les Directeurs de Base Nevo se considéraient comme une autorité souveraine extraterritoriale et défendaient leur statut privilégié avec une intransigeance hautaine. Ne cachant pas leur mépris pour les Séléniens, et s’appuyant avec une mauvaise fois certaine sur la lettre de leur contrat de concession, ils refusaient systématiquement de répondre aux demandes de soutien qui leur étaient faites par la Garde. Ils étaient bien conscients, affirmaient-ils, des besoins désépérés du régiment, mais affirmaient être paralysés par leur statut légal, n’ayant pas l’autorité nécessaire pour y répondre faute d’un accord formel de leurs supérieurs sur Céracuse !
Dans le contexte des opérations en cours dans le secteur spatial, une telle autorisation pouvait tout aussi bien mettre dix ans pour transiter de Teth vers Céracuse et autant dans l’autre sens. Autant dire qu’il s’agissait d’une fin de non recevoir méprisante : les dirigeants de Base Nevo jouissaient dans le contexte particulier de Teth d’une autonomie quasi totale qui leur convenait parfaitement. Leurs propres moyens suffisaient à assurer la sécurité de leurs installations. L’accord passé avec les Trimardeurs du Nevo faisait que la sécurité du massif et du transit du minerai n’était pas leur problème, tandis que leurs envois de métal raffiné vers Céracuse s’effectuaient à bord d’étranges navettes automatisées (les fameux spectres) planifiés sur des décennies qui les rendaient indépendants même de l’astroport. Ils n’avaient donc aucun intérêt, pensaient-ils, à voir s’implanter sur la planète une autorité nouvelle qui ne manquerait pas d’empiéter sur leurs privilèges.
Leur aide, quand elle se manifestait, se limitait donc à quelques rares bidons de carburant, à des caisses d’outillage léger ou à la cession de véhicules hors d’âge promis à la ferraille. Elle se faisait dans gage ostensible de bonne volonté patriotique mais s’apparentaient en pratique davantage à une aumône méprisante qu’à autre chose. Les gardes devaient se contenter de les recevoir dans le désert, après des heures d’attente, à bonne distance des impressionnantes installations du Consortium auxquelles ils n’avaient jamais accès.
Le Colonel ne parut pas prendre ombrage de cette désinvolture manifeste. L’attitude de Base Nevo était certes inacceptable, mais il avait à résoudre des questions tactiques plus urgentes et jugeait avec raison qu’une intervention dans le massif lui demanderait trop de troupes et risquerait de déséquilibrer définitivement un dispositif tendu au-delà du raisonnable. Plus largement il lui paraissait diplomatiquement maladroit d’entrer en conflit ouvert avec le Consortium alors que le 2ème Sélénia était encore mal intégré sur Teth et lui-même trop incertain des équilibres politiques sur la planète.
Comme il avait toutefois un besoin désépéré d’appui logisitique, il choisit une solution totalement inattendue : après de longues discussions avec le Commissaire Vincenze, il chargea le Major Tech Massini, son responsable des équipes de maintenance et l’adjoint du commissaire Vincenze, de négocier avec Base Nevo un contrat de droit privé aux termes duquel, le colonel Bargonzoli, agissant à titre de personne privée, sous-traiterait au Consortium le déplacement stratégique de ses blindés et de ses moyens lourds!
Personne, ni d’un côté, ni de l’autre, n’a jamais rapporté le détail des négociations qui eurent lieu entre le Colonel et les responsables du Consortium sur Teth, mais ce que l’appel au patriotisme n’avait pu obtenir, l’appât du gain le réalisa. La parenté du colonel était connue sur Céracuse, le caractère inouï de la proposition n’empêcha donc pas la signature d’un accord commercial en bonne et dûe forme devant le doyen des scribes de Viridias! Cet accord stipulait que le Consortium (en la personne de Base Nevo) s’engageait à assurer le transport des chars et moyens lourds du régiment selon un barême kilomètrique. Bargonzoli se portait financièrement garant du contrat, hypothéquant les biens sa propre famille. Autant les dirigeants du Consortium s’étaient montrés fuyants quand il s’était agit d’apporter leur aide, autant ils furent prompts à vendre leurs services!
Quand bien même il prenait en compte le carburant, l’entretien des attelages et l’assurance des marchandises transportées, le prix parut tellement énorme au scribe chargé de recevoir l’acte qu’il dut s’y reprendre à trois fois pour le lire et qu’il regarda avec effroi le colonel et le commissaire vincenze. Les deux hommes restant parfaitement impassibles, il se tourna vers le représentant du Consortium qui dissimulait difficilement sa jubilation, et conclut que malgré leur courage et leurs qualités militaires, les gens de la Garde Impériale n’auraient pas survécu un an comme libres marchands.
Il en fut définitvement convaincu quand il entendit le Colonel inviter les représentants du consortium à un banquet officiel (en présence des autorités de la ville) pour les remercier de leur aide et de leur diligence.
Le coût était monstrueux, l’affront énorme et public, mais cela semblait visiblement secondaire pour le colonel Bargonzoli. S’il était un juriste compétent en plus d’un officier de la Garde, c’est cette deuxième fonction qui l’emportait sur Teth : peu lui importait le prix à payer s’il disposait enfin du réseau logisitque vital pour économiser le sang de ses hommes et remplir sa mission!
On se rendit compte d’ailleurs qu’il avait planifié par avance les opérations que l’accord rendait désormais possible : en moins de deux mois, profitant des températures plus clémentes de l’automne boréal ses forces se positionnèrent le long de la ligne d’escarpement et s’assurèrent tout particulièrement le contrôle des principaux points d’appui de la Ligne des Forts. Le 2éme Sélénia obtint un contrôle effectif du désert qui lui permettait de devenir enfin un interlocuteur sérieux dans le mystérieux conflit opposant les Soeurs du Suaire au chapitre des Sons of Vulcain.
Chacun jugea que le coût financier pesait de peu de poids en regard de l’efficacité retrouvée…