Challenge Flash n°1 – Anthony
Les liens dans les ténèbres
Le chemin devenait boueux. Sans subtilité, sans transition. Alors qu’il avait été d’une terre ferme jusque-là, il se transformait en une voie emplie de fange, un marécage linéaire qui coupait les ténèbres d’un trait vert et brun. La Mère ne ralentit pourtant pas. Elle se contenta de geler l’eau contenue dans la vase pour solidifier le chemin et continuer sa course. En ce qui concernait les attaques et embuscades, ses enfants manquaient d’habilité. Ainsi les avait-elle créés, mais ils apprenaient vite. D’un regard, la Mère estima la distance qu’il lui restait à parcourir avant d’atteindre le puits de Lumière. Difficile à dire dans ce monde plat, sans relief pour repérer les distances et les avancées. Cela pouvait tout aussi bien être deux jours que deux semaines. Quoi qu’il en puisse être, cela allait être dur, sans ses fils pour la soutenir et, au contraire, tournés contre elle.
Depuis qu’elle leur avait annoncé son intention de quitter les Ténèbres pour rejoindre ce point de Lumière soudainement apparu, ils tentaient tout ce qui était en leur pouvoir pour la retenir jusqu’à user, tout récemment, de la force. Elle aurait voulu rester avec eux, ils étaient ses enfants, la chair de son esprit, le sang de son imagination, mais cette lueur l’appelait d’une voix si forte qu’elle en était irrésistible et prenait le pas sur tout sentiment de filiation. Ses fils étaient en colère et elle les comprenait.
Sur sa droite, elle distingua bientôt trois formes qui couraient vers elle. Elle les reconnut d’emblée. Il y avait là Feu qui avait opté pour une forme de pandion, Air, ayant revêtu allure de renard, puis Poussière, rampant à grande vitesse tel un serpent. Ses fils allaient lui coupé la route un peu plus loin, ils allaient plus vite qu’elle. Eux qui étaient né sur ces terres de ténèbres pouvaient se déplacer à leur guise hors des chemins, contrairement à elle. Qui savaient quel raccourci ils avaient pu trouver alors qu’elles les avaient tous laissé en arrière ? La Mère prit à peine le temps de la réflexion et mobilisa son pouvoir. Elle donna naissance entre ses mains à un Eau mort-né et l’envoya de toutes ses forces contre ses enfants bien vivants. Elle devait mettre hors d’état de nuire Feu et Air avant tout, le premier était le plus destructeur, et le second pouvait ralentir sa progression, permettant ses autres enfants qui la poursuivaient de se joindre à la mêlée. Tandis qu’Eau-mort approchait à grande vitesse du trio, Poussière se jeta à sa rencontre et intercepta le projectile. Le serpent se mua aussitôt en Terre et Boue, et il lui faudrait du temps pour retrouver son élément d’origine, mais il venait de faire gagner de précieux mètres à Feu et Air.
— Vous ne pouvez rien contre moi ! hurla-t-elle aux deux fils qui se rapprochaient toujours. Laissez-moi partir, je ne veux pas vous blesser !
Aucune réponse ne lui parvint. Elle redonna de nouveau jour à un enfant Eau auquel elle n’accorda aucune vie et l’envoya à son tour. Il était plus frêle que le précédent, sa naissance étant trop rapprochée, mais il pouvait faire des dégâts tout de même. Cette fois, ce fut Air qui se sacrifia. Il engloba son frère Eau et devint Pluie, alourdi qu’il était par son prisonnier.
— Reste avec nous, Mère ! rugit Feu.
Son être enfla avec sa colère et le pandion se changea en un gigantesque faucon qui fondit plus vite sur le chemin. Il se posa dessus avec rage, sifflant et étendant les ailes devant sa génitrice, lui interdisant de poursuivre sa course. Ses yeux étaient deux puits écarlates qui ne cillaient pas, son corps de gigantesques flammes jaunes et oranges qui se chassaient les unes les autres, se dévoraient, se faisaient blanches et rouges.
— Je ne peux pas ! Je dois rejoindre cette Lumière ! C’est le seul élément que je ne peux pas créer, c’est forcément un signe de cet extérieur dont je viens !
— Mais nous n’allons pas survivre à ton départ ! Nous sommes tes fils par centaines, et tu nous condamnes à disparaître pour satisfaire une curiosité égoïste ?
La Mère resta sans voix et sentit une étrange froideur la saisir. Etait-elle égoïste, réellement ? Elle qui avait donné vie à ces enfants, n’avait-elle pas le droit de leur reprendre ? Ils n’existaient qu’à travers elle, que pour elle, et erraient sans but dans ces limbes de ténèbres si elle ne leur en donnait pas un. Ils n’étaient que des éléments désincarnés qu’elle avait doté de réflexions, pas une humaine comme elle. Elle appartenait à un autre monde, elle le sentait, et elle n’avait pas le droit d’ignorer ce puits de Lumière.
— Je suis désolé, dit la Mère.
Elle fit aussitôt surgir devant elle une vague de Terre qui submergea l’oiseau de feu et l’étouffa. Son fils se fraierait peut-être un passage, mais elle serait déjà loin. Alors qu’elle voulut s’élancer en avant, elle s’effondra soudain au sol, sur le corps de Terre-mort. Ses pieds ne bougeaient plus, s’horrifia-t-elle. Ils étaient emprisonnés dans une gangue noire. La femme comprit soudain son erreur, ces trois-là, Feu, Air et Poussière n’étaient pas venus l’attaquer en groupe… Ils s’étaient sacrifiés…
— Tu es en embuscade depuis le début, Cendres… murmura la Mère.
— Oui, entendit-elle. Et je ne te laisserai pas partir. Je suis partout autour de toi.
Et tout comme elle avait donné naissance à un mur de Terre, elle vit les ténèbres autour du chemin onduler et se soulever. Son fils Cendres, le plus sournois de tous, l’avait conduit dans ce piège. Il englobait ses jambes à présent, s’abattait sur ses mains, écrasait sa cage thoracique. La Mère tendit le cou en avant. Elle voulait apercevoir une dernière fois ce phare, espoir, promesse d’un autre monde, Lumière de son monde d’origine elle en était persuadée à présent, tandis que Cendres recouvrait ses yeux…
Dans la chambre d’hôpital, le médecin posa la main sur l’épaule de l’homme, abattu par la nouvelle qu’il venait d’entendre. Sa femme, Esmeralda, s’était enfoncée plus profondément dans son coma. Il n’y avait que très peu d’espoir qu’elle ressurgisse et contemple de nouveau la lumière du soleil…
Votre appréciation générale du texte
Ça se passe dans le commentaires ouverts après cet article.
Dantesque !!
C’est excellent, à la fois onirique, très original, avec une chute complètement inattendue.
Coup de coeur pour moi.
Mon seul regret : je pensais que tu mettais en place un nouvel univers constitué de puissances élémentaires. En fait non : du coup, on ne peut pas imaginer une nouvelle histoire dans ce monde.
Du style, de bonnes idées. Un très bon texte.
Excellente idée, très bonne mise en scène, fin à contrepied et style fluide.
Quelques fautes d’orthographe pour défaut mais qui ne terni que très peu cette excellente nouvelle qui, bien que courte est percutante et efficace !
Très beau texte, bien prenant par son intensité tout au long du récit et par sa fin bien brutale.
Bravo, un format qui te va bien, non ?