Le livre de la Sainte-et-Ses-Martyrs

Lentement, Harad ouvrit le grand livre posé sur le large lutrin de bois. La bibliothèque s’était vidée quelques heures avant et il venait de terminer de la nettoyer.

Quelle audace l’avait poussé à braver l’interdit, quelle tentation l’avait encourager à découvrir ce que les frères choisis appelaient le livre des révélations. Harad connaissait les interdits et punitions attachées à l’ouvrage, nombreux avaient été les novices à quitter le couvent du jour au lendemain pour avoir bravé ces  interdits. Et pourtant, après de longues années depuis son admission au sein des frères de la Saintes et de ses Martyrs, il outrepassait tout cela en une fraction de secondes, en un geste aussi impulsif que maintes fois imaginé.

Combien de fois avait-il rêvé de cet instant où tous les secrets lui seraient révélé et que son noviciat prendrait fin ? Combien de fois en avaient-ils parlé entre novices à l’abri des oreilles des frères ?

Devenir frère choisi, choisi par la Sainte, devenir un de ses serviteur en ce monde avant de la rejoindre dans le prochain. Le but de son existence et le carburant de sa foi, une foi découverte après de nombreuses années d’errance et de solitude. Harad avait retrouvé gout à la vie en entrant au couvent de la Sainte, une vie qui allait basculer avec l’ouverture du livre sacré entre tous.

La main tremblante, Harad fit reposer la couverture sur le lutrin pour découvrir la première page. Blanche. Usée par les ans et les doigts fébriles qui l’avaient découverte comme il le faisait en cet instant. Alors il tourna cette première page et lu le titre de l’ouvrage : « La Sainte et ses Martyrs ». Aucune mention de l’auteur ni de la date de gravure . La sobriété même, une pureté à l’image de la Sainte. Alors Harad continua à tourner les pages et il lut. Il s’abreuva des mots comme un ivrogne vide une bouteille, comme un naufragé se raccroche à une planche. Il lut tout son saoul, dévorant les pages, admirant les illustrations enluminées de la Sainte. Le livre était une ode à cette femme devenue une icône de son vivant, elle qui avait recueilli les miséreux et les déshérités, les abandonnés sur le bord des chemins, les orphelins et les malades sans rien attendre en retour. Les Martyrs, tel fut le nom qu’ils reçurent, ceux qui l’avaient rejointe, ceux qui la protégèrent quand les puissants du monde prirent ombrage de l’influence de cette femme tellement elle leur rappelait leurs devoirs envers leurs citoyens : Ils les délaissaient, elle les recueillait.

Les Martyrs. Ils périrent pour elle, faisant blocs devant les archers et les bourreaux venus nettoyer le havre qu’ils s’étaient créé autour d’Elle. Leurs corps encaissèrent les coups et les flèches sans faillir, répandant leur sang pour Elle. En vain. Les puissants eurent raison. L’histoire appartient aux vainqueurs, toujours.

Mais Elle avait toujours su que tout cela se finirait ainsi, alors une poignée de ses fidèles étaient déjà loin quand les Martyrs tombèrent, les frères choisis.

Ils partirent et battirent le couvent loin de l’influence des bourreaux. Leur mission était simple : faire perdurer l’esprit de la Sainte et recueillir les enfant abandonnés par la vie. Les délaissés comme Harad. Mais leur mission allait au-delà. Harad le découvrit petit à petit.

Ce ne furent que quelques indications ici et là qui le mirent sur la piste. Au début il pensa ne pas avoir compris les passages alors il les relut. Et la vérité se fit jour.

Les frères choisis avaient pour tâche de recruter des Martyrs pour la Sainte pour l’accompagner dans son éternité en les lui sacrifiant rituellement, à moins qu’une place de frère fut libre à ce moment. Harad se rendit compte qu’il n’y avait que dix-sept frères choisis en permanence, le même nombre qu’un tout début de la fondation du couvent. Jamais un de plus ni un de moins. Comme actuellement.

Harad compris qu’il venait de découvrir le plus grand secret de ces lieux, un secret qu’il aurait préféré ne jamais connaitre. Se reculant de dégout du lutrin, il s’aperçut enfin que les frères choisis du couvent faisaient un cercle autour de lui.

« Il est temps, Harad, de rejoindre la Sainte et ses Martyrs, commença le frère Pérentas. Glorieux sera ton chemin jusqu’à elle, je ferait de ton passage une saga digne des plus grands martyrs. »

Le frère se dirigea vers le lutrin munit d’une plume et d’un encrier pour ouvrir le livre à la dernière page blanche et commença à écrire : Frère Harad nous rejoignit voici trois décennies…

Seize lames furent tirée de sous les robe de bure.

Longtemps il se refusa de servir la Sainte.

Des mains se saisirent d’Harad incapable d’appréhender toute l’horreur de sa situation.

Mais quand enfin il osa ouvrir le livre,

Seize lames le frappèrent durant de longues secondes.

… il la rejoignit sans un mot, sans un regret pour sa vie passée, tourné vers sa nouvelle existence…

Le corps d’Harad s’écroula doucement sur le sol de pierres froides de la bibliothèque.

et Elle l’accueillit dans sa suite des Martyrs.

Un murmure vint s’échouer au bord de ses lèvres ensanglantées : « Ma Sainte… ».

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