Tout n’était que chaos et désolation. Le sang des victimes se mêlait à la terre des ruelles, sinuant entre les pavés disjoints, comme voulant s’enfuir de cette cité perdue. Les affrontements avaient été aussi violents que brefs. Il n’avait fallu que quelques heures aux assaillants sardaghis et Siyans pour prendre les remparts de la cité. Shahar-Zard était tombée presque sans s’en apercevoir.
Les sardaghis fêtaient cette prise dans des scènes de pillages, de viols et de destructions gratuites. Shahar-Zard, la fière et arrogante cité des adeptes Zard n’était plus rien. Les Cités de Saoghal allaient-elles réagir pour redonner aux Zards leur capitale ou bien allaient-elles se calfeutrer derrière leurs propres murailles et laisser les Zards face à leur destin et les abandonner ?
Ces questions se posaient au sein du commandement des sardaghis et les premières mesures étaient prises au milieu du chaos ambiant. Des escouades furent dépêchées dans les cols et vallées environnants pour tenter de rattraper les quelques familles nobles ayant réussi à quitter la cité. Plus tard la nouvelle parviendrait aux Cités, moins efficace serait une éventuelle réaction.
Alors que les sardaghis s’organisaient, leurs alliés de circonstance commençaient à plier bagage, non sans avoir pillé les archives des nombreuses bibliothèques Zards. Les Siyans prenaient tout ce qu’ils pouvaient emporter.
Des générations plus tard, on se poserait la question de connaître les raisons d’une telle alliance, les sardaghis n’étaient alors qu’un ramassis de voleurs, égorgeurs et autre bandits de grands chemins, à peine organisés en bandes disparates. Les Siyans, eux, ne représentaient encore qu’une vague menace pour les Cités. Quel avait pu être l’accord trouvé pour que ces deux communautés se regroupent ? En temps normal, les Siyans n’auraient eu que morgue et dédain pour les sardaghis, et ceux-ci en étaient parfaitement conscients. Mais des buts plus élevés que la simple prise de la cité Zards étaient à l’œuvre, et peu les connaissaient réellement.
Eglan n’était qu’un pilleur de tombes aux manières expéditives et il n’y avait pas grand-chose qu’il craignit, la dure vie de nomade l’avait plongé dans des situations bien plus périlleuses que la mise à sac d’une Citées, si bien défendue fut-elle. Cependant, son sang se figea presque à l’arrivée d’un groupe qui remontait la ruelle. Il laissa choir le sac de butin qu’il s’apprêtait à emmener et se retint à grand peine de baisser le front devant le personnage qui passait devant lui.
Un Siyan, et pas n’importe lequel. Eglan en avait entendu parler lors des causeries entre soldats aux coins des feux de camps quelques jours avant l’assaut. On disait que les Siyans étaient mené par deux personnages terrifiants. Le premier n’était rien d’autre que le karn-Shahar en personne, général des armées Siyans, combattant hors pair, une véritable machine de guerre assoiffée de sang. Eglan l’avait vu combattre à la pointe de l’assaut. Ses talents de guerrier étaient en effet incomparables et il en était presque venu à avoir pitié des Zards qui tombaient sous les coups de ses masses d’arme.
Quant au second, personne n’avait pu en donner une description précise et, à vrai dire, Eglan en était venu à croire qu’il ne s’agissait que d’une rumeur, de celles destinées à terroriser les recrues pour leur faire oublier qu’ils allaient sans doute mourir le lendemain. On parlait d’un sorcier, d’un chamane, d’un adepte, peu importe au final le nom qu’on lui donnait, un homme qui invoquait les puissances de Nansis pour les plier à sa volonté, un pratiquant des arts magiques qui serait capable d’invoquer des monstres furieux pour les jeter sur ses ennemis. Eglan n’était pas à l’aise avec la magie et ceux qui la pratiquaient, ce n’était pas une bonne manière de combattre et mourir sous les coups d’un sortilège venu de nulle part sans moyen de s’en défendre le terrifiait. Pour Eglan, Nansis, le monde de la magie, pouvait bien rester où il était, où que cela puisse être. La magie n’avait rien à faire sur Saoghal, c’était le domaine des dieux et non celui des hommes. Alors savoir qu’un chamane marchait parmi eux ne l’avait pas rassuré, tout ce qu’il espérait c’était de ne jamais avoir à croiser son chemin.
Les derniers espoirs d’Eglan venaient de s’envoler alors que le Siyan tournait nonchalamment la tête dans sa direction. Eglan perdit le contrôle de sa vessie quand le chamane esquissa le début d’un sourire narquois alors que leurs regards se croisaient.
« Il sait, il lit en moi, se dit Eglan, je suis mort. »
Les buts du chamane n’étaient cependant pas d’exterminer ceux qui le craignaient et Eglan put quitter la cité avec son butin dans l’heure.
Les shet’karns, les gardes du corps du chamane, scrutaient les ruelles et les coins sombres à l’affut du moindre danger mais leur seule présence suffisait à étouffer toute tentative de rebellions, les Zards étaient soumis et abattus, sans ressource ni espoir.
Le chamane et son escorte arrivèrent sans encombre au bâtiment qui dominait la ville et qui avait abrité les adeptes Zards : le grand temple de Namir. L’entrée du chamane fut précédée par une vague de silence. Le groupe s’arrêta à quelques pas de leur chef de guerre Siyan, le karn-Shahar attendait le chamane. Les shet’karns mirent un genou à terre pendant que les deux hommes se fixaient du regard. La tension était palpable, une lutte de pouvoir se jouait à cet instant risquant de s’embraser et de plonger la cité dans un chaos encore plus inextricable. Mais la ligne de commandement fut respectée et le chamane inclina imperceptiblement le front devant le karn-Shahar. A son tour ce dernier lui rendit son salut, satisfait d’avoir eu cette reconnaissance.
« Escortez les jusqu’aux grottes », fut son seul ordre.
La tension retomba d’un coup et les souffles retenus furent relâchés partout dans la grande salle du temple. Deux shet’karns vinrent encadrer le groupe du chamane et tous quittèrent la pièce pour se rendre quelques étages plus bas.
Shahar-Zard était une cité ancienne, bâtie sur les ruines d’une ancienne forteresse elle refermait bien des secrets. Les grottes sous le temple de Namir en était un parmi d’autres. Peu d’adeptes Zards avaient été au courant et il y avait peu de chance qu’aucun d’entre eux n’ait pu quitter la cité avant l’assaut. Le chamane s’en était assuré.
La descente fut périlleuse, les marches taillées dans la roche était rendue glissante par le sang des derniers gardes Zards qui n’avaient pas laissé les Siyans s’emparer de l’endroit sans combattre. Arrivé au dernier palier, la chamane leva le bras et les shet’karn firent demi tour, laissant leur maitre seul. Le chamane poursuivit la descente après le départ de son escorte, personne ne devait savoir ce qu’il avait à faire dans ces grottes. Même le karn-Shahar était dans l’ignorance.
Le chamane décrocha de sa ceinture un petit spectre à la forme tarabiscotée long comme son bras et invoqua une partie de ses pouvoirs en se connectant à Nansis. La puissance afflua, il était prêt. Le spectre se mit à luire doucement dans l’obscurité.
Le chamane avança encore de quelques dizaines de mètres sur un sol inégal avant que la pierre ne laissa la place à de la terre souple. Il puisa un peu plus dans ses pouvoirs et une lueur diffuse baigna l’endroit d’une teinte grisâtre s’étendant doucement en une sphère de quelques mètres de diamètres avant de se stabiliser. Il était là ! La prophétie avait raison et les écrits du Sarani étaient exacts. En face de lui, un amoncèlement de pierres grossièrement taillées marquait le passage entre les mondes, l’addir de Shahar-Zard existait bel et bien.
Le spectre se mis à palpiter lentement, dehors, Firsgal, l’astre cendré venant d’entrer en conjonction avec la pleine lune et le passage de l’addir venait de s’ouvrir. Le chamane le franchit sans hésiter, qu’importe ce qui l’attendait derrière, il savait que sa quête allait bientôt toucher à sa fin.
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