Challenge Flash n°6 – Estée R.

La relève

« Eh ! Toi, le p’tit gars ! Qu’est-ce que tu fiches ici ?

T’en a aucune idée hein ? Tu m’as l’air bien jeune. Elle est où ta mère ?

Quoi ? T’en as pas ! T’as l’air à peine sevré ! C’est-y possible ? Tu viens bien de quelque part !

Bon, on va pas s’éterniser, de toute façon. Ici, tu es chez moi ! Alors, tu dégages, compris ?! Je suis le maître des lieux et il n’y a pas de place pour toi ! Mes terres, mon domaine ! Tu vires tes miches et on n’en parle plus !

Et chiale pas ! Je pourrais te mettre la raclée de ta vie en plus si ça te dis. Estime-toi heureux que je te laisse filer. »

*

« C’est pas vrai, t’es encore là ! T’as nulle part où crécher c’est ça ?! T’as peur ? C’est à cause des autres ? Bah c’est pas mon problème. Retourne chez toi. Tu peux pas ? Ben voyons ! Je m’en moque moi que t’arrives pas à y retourner. Je suis pas partageur. Et je te l’ai dit, ici je suis le chef, le grand mania. Y a rien pour toi.

Ah, et n’essaie pas de me faire croire que tu es l’un de mes bâtards, hein ! Ce n’est pas parce qu’on a une vague ressemblance, rouquin tous les deux, qu’on a des chromosomes en commun…

Comment je le sais ? P’tit morveux ! Je le sais et c’est tout. J’ai comme qui dirait eu… un accident de parcours. Un truc pas racontable à un mioche.  Je n’ai pas de petit et n’en aurais jamais. Le sujet est clos. Et ne crois pas que cela m’empêcherait de tringler ta mère !

Maintenant file ! J’sais vraiment pas ce que tu me trouves. J’suis vieux et passablement déplumé. Pas de bonne compagnie pour toi.

Oui, c’est vrai qu’ici tu es en sécurité. J’ai ma réputation et personne m’emmerde. À part toi, tiens ! »

*

« T’es toujours là ? Tu crèves de faim on dirait. Bah, reste, puisque je peux rien y faire. Mais te fait pas d’illusion, tu n’es rien pour moi.

Tu restes derrière moi, tu dors loin de moi, tu manges après moi, tu te fais discret et je te tolérerai peut-être un moment. Mais au moindre faux pas tu sautes, compris ? »

*

« Quoi ? T’as encore faim ? Normal, t’es en pleine croissance ! Ben t’as qu’à chasser. Bouges-toi les miches, un peu. Moi aussi j’ai besoin de beaucoup grailler pour garder ma vieille carcasse en état. Mais chasser, ça, ce n’est plus de mon âge. Pourtant tu m’aurais vu au temps de ma gloire ! Mes terres regorgent de gibiers  de choix. Je te donnerai des conseils. Ça me plairait bien de faire un p’tit gueuleton comme autrefois, surtout si je n’ai pas à me fatiguer pour l’avoir.

*

« Bas les pattes ! J’t’avais prévenu ! Je partage pas mon assiette. Non mais !

Et pleurniche pas ! J’pourrais aussi rien te laisser.

*

« Tu pousses le mimétisme un peu loin, là p’tit gars ! Te vl’a avec la même balafre que moi sur la tronche ! Qui c’est qui t’a fait ça ? Le noiraud là-bas ? J’espère que tu lui as mis une rouste au moins !

Me dis pas qu’t’as peur ! Si tu t’abaisses, si tu te débines, jamais tu ne te feras une place dans ce monde et tu seras toujours à mendier ta bouffe et à serrer les fesses devant ces p’tits saligauds. Tu veux savoir pourquoi ils ne s’en prennent jamais à moi ? Ça s’appelle le respect petit ! Mais ce respect, je l’ai durement gagné. Jamais j’ai reculé ! Et j’ai étendu mon territoire, j’ai conquis, j’ai fait frémir tous ces aspirants qui sont rentrés voir leur mère la queue entre les jambes. Aujourd’hui, ils ne feraient qu’une bouchée de moi, ils ont d’ailleurs récupéré un peu des terres que je n’arrive plus à défendre. L’arthrite et les rhumatismes se disputent mes vieux os, tu vois.  Et je ne vois plus très bien en plus d’être sourd comme un pot. Mais les jeunots, là-bas, me respectent et me laissent en paix. Car ils savent qu’elle légende je suis, tu saisis ?

Alors oui l’avorton, tu es en sécurité ici. Tant que tu es dans mon sillage. Mais y s’passera quoi quand je s’rais plus là ? Tu pourras pas prendre ma relève si tu t’es pas imposé avant, si tu fais pas tes preuves !

Quoi, qu’est-ce que j’viens d’dire ? T’as très bien entendu, p’is  sinon, tant pis, tu crois pas que je vais répéter, non ?

*

« Ouais… T’es p’têt pas encore prêt. Mais vois le bon côté, maintenant ton oreille est trouée au même endroit que la mienne. Le jeune et le vieux on la même caboche. Et puis, à chaque raclée que tu prends, tu renforces ta réputation. T’es en train de devenir quelqu’un. Allez, sort un peu tes griffes et retournes-y !

*

Fais froid ce soir, hein gamin ? Allez, viens te pieuter près de moi.

*

C’est fête aujourd’hui ! T’as pas r’culé ! J’suis fier de toi, le gosse.

Tu t’en moques ? T’es pas sérieux p’tit. C’est pas grave si tu t’es fait battre une fois de plus. Z’étaient trois contre un, dis !

Viens manger, t’as bien mérité de partager mon assiette.

*

Mon héritier ? Tu rêves, un nabot pareil pour me succéder ! Quelle blague.

*

Non, je ne t’aime pas. T’es qu’un parasite qui vient perturber la quiétude de mes vieux jours.

*

Eh, le môme, t’étais où ? Merde, ça fait des plombes que je te cherche !

Non, je ne me suis pas inquiété ! J’ai faim et tu devais chasser aujourd’hui !

Allez, grouille-toi de me servir !

*

T’as vu, j’ai encore de beaux restes ! Je suis le roi du monde ici ! Même à la limite de mon territoire! Regarde, je… Mais qu’est-ce qui se passe ? C’est quoi cette lumière aveuglante ? Et ce bruit ?

Hey gamin ! Où tu te sauves comme…

***

Dans le buisson, le chaton observait le corps disloqué de son mentor, du vieux matou roux, fauché par une voiture, juste devant le jardin. Terrorisé, il attendait que la nuit l’enveloppe. Que les yeux lumineux s’allument au bord du domaine tant convoité.

Désormais, il était seul…

Note finale : 2.7/5

Une réponse le “Challenge Flash n°6 – Estée R.

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Une fin très originale.
    J’avoue en revanche que je suis plutôt allergique aux textes à la deuxième personne du singulier. Je reconnais la difficulté de l’exercice et tu t’en sors bien, mais je trouve ça très artificiel et assez lourd. Je regrette aussi la longueur de la narration avant d’arriver à la chute. Un ou deux rebondissements seraient nécessaires, ou alors il faut couper. Là encore, la narration à la deuxième personne du singulier est certainement un frein pour ajouter des péripéties à l’histoire.


    Belle histoire de transmission. Le domaine animal se devine petit à petit mais ça devient clair assez vite.


    Pensant tour à tour à un humain, puis un ours ou des lions, tu as à mes yeux bien ‘masqué’ la nature des protagonistes.
    J’aime beaucoup le cheminement d’idées mais j’ai beaucoup de mal avec ce découpage très rapide qui est pour moi assez ‘facile’ et peu révélateur d’un style ou d’une construction travaillée.
    Un texte agréable cependant.