Challenge Flash n°2 – Métatron

Poussière

Les couloirs du palais de Calbon d’Olt étaient encombrés du flot des valets qui revenaient de la salle à manger avec des plats à peine entamés.

Pâtés en croute, côte de Mégaloth tranchées à la disqueuse, paons en sauce, cakes….

« Que vont-ils faire de tout ça ? » s’étonna le Scythe, qui salivait de nouveau.

Dopple haussa les épaules.

« J’imagine que les marmitons les plus malins parviendront à s’en prendre une part. Le reste finira aux ordures. »

Le Scythe ouvrit de grands yeux

« Mais ces terrines faisaient au moins trois livres !

__ Les nobles ne sont pas du genre à se faire un repas de restes devant le film du dimanche soir.

__ Pourtant, si les journaux disent vrai, le bas peuple de la Fange crèverait de faim. Ce gaspillage parait un peu provocateur.

__C’est sans doute ce qui explique pourquoi une poignée d’illuminés est allé se retrancher dans le palais. »

Dopple saisit par le col un petit larbin qui s’en allait les bras chargés d’assiettes.

« Dis-moi petit. Où se trouvent ces échevins qui tiennent tête au duc ? »

Le gamin débuta une sorte de gigue pour tenter de rétablir l’équilibre de ses couverts.

« Dans… la salle… de squash, fit il entre deux entrechats. Aile nord.

__ Allons-y, fit Dopple en entrainant le Scythe.

__ Dépêchez-vous, leur cria le valet qui avait retrouvé son équilibre. 10 contre 1 qu’ils ne tiennent pas jusqu’au soir. C’est leur côte actuelle si vous voulez prendre les paris. »

Trouver le chemin fut aisé : il suffisait de suivre l’odeur.

Plus on approchait de la salle de squash, plus les couloirs austères s’encombraient d’une cohue de miliciens en armes. Le fumet du cuir des armures se mêlait à celle de la sueur des hommes et aux relents d’alcool pour donner un bouquet étourdissant.

La milice n’était pas réputée pour sa discipline, aussi les soldats attendaient ils pêle-mêle, assis par terre ou appuyés sur leurs lourdes hallebardes. Certains passaient le temps en jouant aux osselets de phase 1, signe de la décontraction des troupes face à la menace révolutionnaire. Il faut dire que les hurlements des députés qui s’écharpaient autour de la télévision ne plaidaient pas pour le sérieux des insurgés.

Mais Odile de Rais combattait n’importe quel adversaire avec la même application.

Epaules contre épaules, une trentaine d’arbalétriers fourbissaient leurs armes à l’entrée des vestiaires. Le regard de la terrible Sénéchal avait la faculté de transformer n’importe quel planton alcoolique en sentinelle vigilante.

« Je crois que nous approchons » constata Dopple en poussant le Scythe en avant.

Ce dernier tenta de se frayer un chemin entre les arbalétriers qui ne bronchèrent pas.

« S’il vous plait, on voudrait passer, fit-il d’une voix timide.

__ Ce secteur est condamné, tonna Odile de Rais sans lever les yeux. De dangereux rebelles se sont retranchés dans la salle de squash.»

« Traître ! Raté ! Véreux ! Faisandé ! » Les insultes filtraient au travers de la porte et on entendait distinctement les échanges de coups.

Odile esquissa un sourire sans humour tandis que les miliciens ricanaient sous cape.

Le Scythe agita sa carte d’agent par-dessus les épaules des soudards.

« Je suis du Bureau Invisible, annonça-t-il d’une voix plus ferme. Nous enquêtons sur l’agression de l’un de nos agents. Un faisceau de présomption nous a conduit jusqu’à ces révolutionnaires. »

Odile de Rais sauta sur l’occasion.

« Voulez-vous que je fasse évacuer la salle ? » demanda-t-elle en tirant à demi son immense espadon. Ses yeux brillaient d’impatience.

« Euh… Non. La procédure exige que nous beurrions d’abord le marmot… Enfin que nous prenions le temps d’interroger les suspects afin de confirmer nos soupçons…

__Curieuse conception de la justice, observa Odile, dépitée. La Fange dispose d’excellents nécromants capables de faire parler les morts… Au sens propre.

__Ce n’est pas dans la politique du Bureau Invisible.

__… Du moins, pas dans le cas présent, compléta Dopple.

__Laissez-moi entrer dans la salle pour poser quelques questions. » fit le Scythe en tirant son calepin.

Apprendre à écrire avait été pour lui un véritable calvaire : il souhaitait que ça serve à quelque chose.

Odile lâcha son espadon qui glissa dans son fourreau dans un impressionnant chuintement métallique. L’infime relâchement des épaules des arbalétriers trahit leur soulagement d’éviter le bain de sang.

« A votre aise, annonça Odile. Je vais vous laisser entrer. Gardez cependant en tête que je ne puis garantir votre sécurité une fois que vous serez aux mains de ces ennemis publics. »

Elle fit un geste et les miliciens s’écartèrent pour ménager un passage au Scythe qui s’avança dans le no man’s land que constituaient les vestiaires de la salle de squash. Les casiers vides grinçaient doucement, tandis que de vieux shorts médiévaux abandonnés sur des cintres rappelaient que ce lieu était initialement dédié au sport.

Le Scythe atteint la double porte de la salle de squash.

Le claquement des arbalètes que l’on arme résonna sur les murs nus.

La main sur la poignée, il hésita en regardant Odile de Rais.

« Vous êtes surs que vous n’allez pas me planter un couteau dans le dos puis décimer ces rebelles sous le prétexte qu’ils auraient lâchement assassiné un agent du Bureau Invisible ? »

Odile lâcha le pommeau de la dague qu’elle portait à la ceinture.

« Non, bien sûr ! Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

__Agent Dopple, qu’en pensez-vous ? »

Ce dernier passa la tête de derrière le rideau d’arbalétriers :

« J’en pense que vous avez demandé à prendre en charge seul cet interrogatoire pour démontrer que vous pouviez prétendre à cette prime de fin d’année. Vous apprendrez qu’il est parfois préférable de s’asseoir sur quelques Dollars Dimensionnels pour être sûr d’arriver à l’âge de la retraite 2. Je pense aussi que mademoiselle de Rais saura réfréner ses ardeurs pour éviter de finir ses jours dans les geôles du Dominopole avec les autres psychopathes de son espèce. »

L’immense visage de la Sénéchal frémit quelques instants, agité de tics nerveux, avant de se fendre d’un sourire qui évoquait le rictus d’un ogre prêt à mordre dans un poulet.

« Allons mes amis ! La milice de la Fange est réputée pour son tact et sa droiture !

__Ben voyons !

__Entrez et appelez si vous avez besoin d’aide. Nous accourrons à la rescousse.

__Je préfère ça » répondit le Scythe guère rassuré.

Il tourna la poignée.

Dans une détonation tonitruante, la porte vola en éclat.

***

La conflagration résonna dans Conflux comme un coup de tonnerre tonitruant.

Dans la ville, la vie se figea un instant. Les regards se tournèrent par habitude vers la tour des alchimistes. Les esprits les plus farfelus du multivers y menaient des expériences dont la finalité échappait au commun des mortels. Leurs laboratoires sécurisés avaient été stratégiquement placés au sommet d’un édifice de cinquante étages, tout en poutrelles d’acier et rivets rouillés. La structure renforcée du bâtiment leur permettait de faire sauter librement ce qui leur passait sous la main. Et tout le monde pouvait jouir du spectacle. Mais contre toute attente, le nuage de fumée blanche provenait de la Fange.

La vie quotidienne reprit son cours : les bouseux des bas quartiers pouvaient bien se faire sauter dix fois, personne n’y trouverait rien à redire.

Au loin la poussière retombait doucement.

Note finale : 3/5


  1. Equivalent des osselets classiques mais dont les composants sont enchantés de manière à effectuer des téléportations aléatoires de quelques centimètres. Gagner une partie est un véritable coup de pot ce qui rend ce jeu très populaire auprès des parieurs.
  2. Un âge rarement atteint parmi les agents spéciaux du Bureau Invisible, il faut dire qu’entre les mafias interdimensionnelles, les boules de feu perdues et les tests d’aptitude renouvelés chaque année, il n’y a que l’embarras du choix pour alimenter les statistiques de mortalité du BI

Une réponse le “Challenge Flash n°2 – Métatron

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Même si j’avoue avoir éclaté de rire dans le train grâce à Odile de Ray, je n’ai pas vraiment compris le texte.
    Tout en sachant que cela fait partie d’un ‘bloc’ plus important adapté pour le challenge et ayant retrouvé Conflux avec grand plaisir, j’ai trouvé ça confus, sans réel fil conducteur mais bien dans le le ‘ton’ de l’univers présenté.


    Comment ? Dopple, le Scythe ? Et même l’abominable, Odile de Rais… Explosés ? Morts ? Non ! Bon sang, mais que s’est-il passé ???
    Un extrait plus qu’une nouvelle, au style fluide, bourré de trouvailles savoureuses et d’humour. Je voudrais, là, tout de suite, lire la suite.
    Un mot tout de même, pour bien apprécier ce texte, il faut avoir lu les autres extraits de Révolution à Conflux, sinon, on ne sait ce qu’il se passe dans la salle de squash (je parle du fait qu’ils sont en train de s’insulter et de se taper dessus par exemple 😉 ).


    Ça ne peur pas en rester là évidemment! Si ? Non !!