Challenge Flash n°2 – Khellendros

Sous le regard des Pléiades, enfin

Allongé sur le flanc d’une colline de pierre, une moto et son side-car garés non loin, Shad0w tira sur sa cigarette. L’éclat rouge illumina brièvement son visage livide aux vaisseaux apparents, son crâne percé d’implants noirs, une ombre de sourire. Le spectacle de ce soir avait été à son goût, et, s’il en croyait les cris de joie et les lumières qui remontaient jusqu’à lui depuis le bidonville de New-Yark, au goût de ses compagnons d’infortune également. L’homme jeta sa cigarette au loin. Il ne voulait pas que la fumée vienne troubler la vue qu’il avait dégagée après tant d’années d’effort. Là, était-ce la constellation de Cassiopée ? Et celle-ci, Orion peut-être, avec sa fameuse ceinture ? Shad0w pensait reconnaître les astérismes, mais transposer ce qu’il avait jusque-là contemplé sur papier à une voûte céleste était plus dur que concevoir les programmes informatiques qui avaient fait sa renommée dans l’Underground. Il n’aurait jamais cru que les étoiles puissent être si nombreuses et si brillantes.

Durant de longues minutes, il s’abîma les yeux dans la contemplation des astres, et plus il les regardait, plus il découvrait d’infimes points, éclipsés jusqu’alors par leurs voisins plus brillants. A son regard, s’offrait une tapisserie gigantesque, d’une pureté inconcevable pour un habitant de l’Underground. C’était comme si il avait trouvé au cœur d’une décharge un cristal scintillant, épargné par la main de l’homme et qui était si beau, si distant, si immuable qu’il pouvait en faire pleurer. Quelle magnificence comparée aux tuyères et néons agressifs qui le surplombaient il y avait encore quelques heures à peine. Les Atmosphériens les regardaient-elles seulement, ces étoiles, eux qui les avaient à portée de regard dès que la nuit tombait sur leur monde suspendu ?

Shad0w savait que la trouée dans le ciel serait de courte durée. Dans quelques heures, les Atmosphériens survoleraient les lieux du crash, constateraient la perte d’une de leurs villes volantes et prendraient les dispositions nécessaires. Ils recouvriraient la région de New-Yark de leur smog nauséabond, coupant le seul lien entre le ciel et l’Underground qui n’ait existé en plusieurs décennies. Telle était la politique d’étouffement de ces eugénistes, priver les Terriens jugés comme impurs et inaptes pour la survie de l’espèce, de lumière, et dans une cascade biologique, de plantes, de cultures céréalières, d’élevage, de bois, d’industrie. Saper ce qui était la fondation indispensable à la survie. Avaient-ils oublié que leurs ancêtres avaient autrefois foulé ce sol qu’ils enténébraient ? Les Terriens résistaient, brûlant les traces de pétroles et de charbon qu’ils trouvaient, se nourrissant des détritus des Atmosphériens, se cannibalisant, mais ce n’était qu’une question d’années avant que le dernier ne meure.

Mais qui pouvait savoir ce qu’il adviendrait à présent ? Car l’enquête qui ne manquerait pas d’être faite allait dénicher le virus colossal que Shad0w avait mis au point et transférer au réseau de la ville volante de New-York, octet par octet pour ne pas se faire repérer, sur plusieurs mois. Les Atmosphériens, qui se pensaient intouchables par des êtres restés en possession d’une technologie primitive, se mettraient à craindre les Terriens, redécouvriraient l’Underground et ses dangers, prendraient sûrement des représailles et pourraient faire un faux pas. Cela pourrait être le début d’une révolution de plus grande ampleur !

Les yeux plantés dans ceux des étoiles, Shad0w s’en contrefichait. Il n’avait pas fait tomber New-York pour initier un tel mouvement. Il n’avait pas signé son virus et personne ne connaîtrait jamais son implication. S’il devait devenir un héros, il serait alors anonyme. A ses côtés, une quinte de toux se fit soudain entendre.

— Papa ? appela une voix faiblarde. On est où ? Ça sent pas comme l’hôpital.

— Hé, fiston ! dit Shad0w en se levant et en s’approchant du side-car. Tu es réveillé, ça y est ! On est à quelques kilomètres de la maison, ne t’inquiète pas. Je vais t’enlever ton médicasque.

Shad0w ouvrit la capote du side-car et saisit son fils de quelques années sous le dos et les jambes. Entre ses bras, il ne pesait rien. La maladie et les privations l’avaient tant affaibli qu’il n’avait que la peau sur les os. Dans sa robe d’hôpital blanche, affublé du médicasque qui l’aidait à respirer, qui filtrait l’air et lui injectait directement dans le crâne les neurotransmetteurs qui lui permettaient de survivre, il avait un aspect de fantôme.

— Je me sens faible, papa, j’ai froid.

Shad0w serra son fils plus fort, pour lui transmettre un peu de sa chaleur. Il ne lui avait pas dit que l’hôpital n’arrivait plus à synthétiser son traitement, qu’il était condamné à très court terme.

— Ca va passer, ne t’inquiète pas. Ne t’inquiète pas, répéta-t-il.

Tant bien que mal, l’homme se débarrassa de son blouson et l’étala du pied, puis y posa son fils le plus précautionneusement possible. Il saisit alors le médicasque et appuya sur les clips qui le maintenaient en place.

— Regarde, regarde le ciel, fils, lui dit Shad0w en s’installant dans son dos.

L’enfant émit un oh émerveillé, et tout comme son père avant lui, se perdit dans l’infinité de la voûte céleste. Les étoiles semblaient briller avec plus d’intensité encore pour ce petit bout d’être qui grelottait mais qui ne se plaignait pas.

— Je t’avais dit que tu les verrais un jour ! dit Shad0w.

Il mit le plus de chaleur dans sa voix pour ne pas inquiéter son enfant, mais pleurait en silence. Les deux êtres restèrent ainsi pendant des heures, jusqu’à ce que les étoiles s’évanouissent dans un ciel qui bleuissait. Le Soleil, l’étoile-mère se levait. Shad0w tourna la tête sur le côté et vit le spectre de la New-York abattue, ses gravats, ses buildings de verre et d’acier qui avaient flotté au-dessus de lui hier encore. Une brume marron l’entourait tel un linceul souillé. Il n’eut aucune pensée pour les millions d’Atmsophériens qui étaient tombés en même temps que leur cité, son cœur était par trop déchiré par le dernier souffle que son fils venait de rendre entre ses bras.

Au loin, la poussière retombait doucement.

Note finale : 4/5 et ?????

Une réponse le “Challenge Flash n°2 – Khellendros

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Un beau texte, peut être un peu ‘lourd’ au début mais dont la deuxième partie est vraiment excellente.
    J’ai eu des images qui sont apparues dans mon esprit, créant la scène décrite et, j’avoue, une petite pointe d’émotion. Un texte réussi donc qui reçoit mon coup de coeur pour avoir communique ça à la lecture.


    Un univers ténébreux (qui m’a fait penser à Gunnm) et une histoire émouvante. Les deux sont bien dosées, l’univers est bien décrit sans écraser l’histoire entre le père et son fils.
    C’est très bien dosé et ça vaut un coup de cœur 🙂


    Un texte émouvant, l’univers est attirant. On aimerait en savoir plus. De très bonnes idées. Petit bémol pour certaines tournures de phrases que j’ai trouvées trop longues, trop compliquées, parfois mal construites. La lecture aurait été plus fluide et agréable si elles avaient été plus courtes, plus simples ou mieux ponctuées.


    Toujours cette même puissance d’évocation. Bravo.