Challenge d’écriture n°45 – Estée R.


Estée R.
16/20 ?????
1ère

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LE SITE

Grégoire

Son bras gauche saignait abondamment et Grégoire refoula l’envie de s’arrêter, au prix d’un effort considérable. Car qu’importait la douleur qui lui transperçait les muscles jusqu’à l’os ! Qu’importaient ses larmes. Ce serait bien pire s’il était pris. Il ne pouvait pas abandonner. S’il le faisait, il mourrait.

Les barbares n’avaient pas pour habitude de se montrer cléments et tendres. D’aucuns racontaient même qu’à l’occasion, il leur arrivait de manger leurs victimes, et l’adolescent y croyait volontiers, maintenant qu’il était poursuivi par quatre d’entre eux, plus grands, plus effrayants et plus sauvages que jamais. Oui. Car il n’y avait pas grand-chose de pire à faire, une fois les villages rasés, les fermes pillées, les hommes mutilés, les femmes violées et les enfants éventrés ! Ils pouvaient bien en manger un de temps en temps.

Et c’est ce qui faisait courir Grégoire, malgré l’élancement atroce de l’os saillant contre sa poitrine et la nausée qui l’envahissait un peu plus à chaque foulée. Il devait fuir, coûte que coûte. Rejoindre ses parents au refuge. Là, il serait en sécurité. Ils le seraient tous. Pour aussi longtemps qu’ils le voudraient.

Le bois voyait venir sa lisière. Le gamin touchait au but. Il atteignait la prairie de Marceau du Bô.

C’était un endroit charmant ou il avait naguère joué à la guerre avec d’autres gosses de son âge. Puis était venu le temps où il y avait braconné pour son père. C’était là qu’on trouvait les meilleurs lièvres. Plus tard, enfin, il y avait donné rendez-vous à Luce, la propre fille du vieux Bô, à qui il avait déclaré sa flamme. Elle l’avait gentiment éconduit d’ailleurs, arguant le fait qu’il n’avait pas assez de poils au menton, mais il n’avait pas perdu espoir. La barbe lui pousserait !

Enfin, s’il vivait assez longtemps pour cela…

L’herbe était haute dans la clairière. Parsemée de fleurs et de rochers massifs. A l’état sauvage en somme. Marceau n’y faisait plus paître ses vaches depuis belle lurette. Depuis que les « diables du nord » lui avaient toutes tuées, pour dire la vérité. Heureusement que lui et les siens avaient atteint le refuge à temps à cette époque, déjà. Cinq fois, qu’ils étaient revenus, les géants aux cheveux longs, bardés de fer et d’armes ensanglantées. Cinq fois !

Ils auraient pu fuir, certes, face à l’envahisseur. Quitter pour toujours leur pays. Mais ils ne l’avaient pas fait. La population de Théoadus était fataliste. Les Normands avançaient, s’enfonçaient toujours plus profondément dans les terres de la Francia. Où qu’ils fuient, ils seraient toujours rattrapés. Où qu’ils aillent, d’autres monstres pourraient aussi les accueillir. Quitter la misère pour la misère ne valait pas le coup.

Car ils avaient un secret ! Qui faisait leur fierté et leur satisfaction revancharde. La première razzia avait marqué les esprits à jamais, réduisant la population à moins d’un tiers de ce qu’elle était. Chacune des attaques suivantes avait un peu plus miné leurs espoirs, et vu les habitations ravagées, les récoltes brûlées, et les bêtes abattues. Mais il n’y avait plus eu que de rares victimes au village. Les barbares ne pouvaient plus leur dérober leurs trésors, ni les anéantir totalement. Ils avaient un refuge imprenable. Mieux sécurisé que les domaines des moines, qui avaient fui depuis longtemps vers l’abbaye de Tournus.

Quelques-uns se faisaient prendre, comme Grégoire risquait de l’expérimenter d’un instant à l’autre. Mais la majorité leur échappait toujours, à l’abri jusqu’au départ des envahisseurs.

Le trou. Enfin. Grégoire pouvait le sentir sans même de le voir. Il n’avait plus que quelques mètres à parcourir. Il devait rassembler ses esprits pour mettre la main sur le mot de passe. Son salut !

Dieu tout puissant ! Ils étaient si proches à présent ! Atteindrait-il la tanière à temps ? S’il y parvenait, il le jurait, il ne sortirait plus jamais de là !

Grégoire réprima un cri et rassembla son courage. Sur sa nuque, il pouvait sentir la morsure glacée de la terreur. Une main frôla son pied alors qu’il plongeait en hurlant : « Ego sum Teutwadus ! ». Et il disparut.

Les pillards étaient silencieux, circonspects autour du trou. Il ne semblait pas plus large qu’un tonnelet de vin. On n’y distinguait rien du tout. Pas un son n’en sortait. On aurait dit que le garçon avait tout simplement été aspiré, comme par la bouche de l’enfer, dans un silence funeste.

— Bon, on ne peut y aller qu’un à la fois, visiblement. Et je ne suis pas certain d’y passer moi-même. Qui y va ? demanda le plus grand des barbares dans son dialecte éraillé.

— Moi, Swen. Il ne paie rien pour attendre le jouvenceau. Et je suis sûr que les autres sont là-dedans aussi, terrés comme les rats qu’ils sont. Qu’Almar et Frigge me suivent avec leur couteau entre les dents. Nous te ramènerons leurs scalps !

Joignant le geste à la parole, il s’enfonça dans le trou et disparut silencieusement. L’autre suivit, puis le troisième à son tour. Dehors, Sven attendait, curieux et excité, l’oreille tendue. Il portait sa masse à la main, prêt à en découdre si besoin était.

Pendant quelques minutes, rien ne se passa. Puis un cri retentit. Glaçant. Le râle de douleur d’un homme à la voix cassée, auquel répondit un second, puis un troisième cri d’agonie. Ni hurlement de femme ou d’enfant égorgé, mais un appel au secours sinistre et effroyable qui figea le sang du barbare et fit se dresser les poils de ses bras puissants : un « Au secours » en langue du nord…

Léo

Léo L’archéo:

Hey, hey ! Léo est dans la place !

Simon Lys :

Salut Léo, ça y est ! Enfin inscrit sur Le Réso’ !

Caro Line :

Bienvenue, Léo ! : )

Thomas Delalande :

Hey ! Bienvenue à ta page perso ! 😀

Léo L’archéo:

Donc bienvenue à tous sur ma page Le Réso’, ou tout il est nouveau, tout il est beau !

Vous trouverez ici les tribulations cérébrales et réflexions existentielles de l’étudiant en histoire option archéologie que je suis.

Simon Lys :

Ok, si c’est pour nous barber, hein ! Te donne pas cette peine ! :p

Léo L’archéo :

C’est le grand départ. Direction Doué-la-Fontaine, petite ville d’Anjou, réputée, entre autre, pour sa pierre meuble si particulière, le falun, ainsi que pour son habitat troglodytique.

Un mois de découvertes extraordinaires s’annonce, à la rencontre des sarcophages de Doué !

Guillaume Florentin : Tu pars vivre dans une grotte ? Je savais que tu n’étais qu’un ours mal léché :p

Léo L’archéo :

Quelques nouvelles fraîches. Oui, parce que malgré les 28°C qui plombent le zoo de Doué et laissent les pingouins dans un état de léthargie lamentable, dans les caves et carrières, il ne fait pas plus de 13°C.

Donc, des nouvelles : Je dois dire que je suis lessivé. Pas le temps de bronzer ni de draguer, loin s’en faut. Mais je ne suis pas là pour ça, t’inquiète Jade :p

Bref, ramasser terre, déchets d’extraction et autres gravas, au seau, à la main et à pieds, ce n’est pas de tout repos. J’ai des ampoules et des courbatures monstres.

Sinon, l’ambiance est bonne. Philippe, le directeur des fouilles est franchement sympa. Ses connaissances et son humour nous entrainent dans de grandes parties de rigolades sérieuses. Si si !!! Et hier, je me suis couché pour la première fois dans un cercueil : fameux sarcophage en falun spécifique à cette région et qui ont été exportés dans toute la France, en Europe et même au-delà de la méditerranée, avant l’apparition du Christianisme.

Ouais, et bien c’est une expérience qui fait froid dans le dos, moi je dis ! Le falun, c’est drôlement gelé ! :p

Les mérovingiens ne semblaient pas être aussi petits qu’on le pensait car j’ai pu me coucher de tout mon long avec mon mètre quatre-vingt-cinq. Par contre, niveau carrure, soit il fallait leur broyer les os, soit ils étaient moins carrés que nous… Et que dire des gros costauds ? D’après Philippe, le poids du couvercle réglait le problème, beurk !

Ci-joint, et pour ceux que cela intéresse, un article sur mes découvertes et sur les sarcophages de Doué. Plein d’infos en tous genres. Suivez le lien !

Demain, nous devrions mettre à jour une nouvelle carrière, encore totalement inexplorée. Quelles surprises nous révèlera cette journée ?

Léo L’archéo a partagé un lien : Les sarcophages de Doué-la-Fontaine

http://www.troglo-sarcophages.fr/1024/default.asp?ref=’fr’

 

Mahaut

Voilà que ça recommençait… Cela faisait bien dix années qu’ils n’avaient plus été inquiétés par ce qui se passait au-dessus de leurs têtes. A l’époque, il avait fallu que Mahaut les alerte. Eux, n’y avaient pas prêté attention.

Elle avait été la première à ressentir les martèlements. Jeune fille à peine pubère, elle était d’une fragilité extrême et la plus fine, la plus hâve de toute la fraternité souterraine. C’était une enfant douce et mystérieuse. Silencieuse plus que la moyenne chez un peuple déjà peu prolixe. Elle passait pour être un peu magicienne, ou à tout prendre, une « passeuse » entre le monde souterrain et celui d’en haut, un lien entre la divinité du Falun et la communauté. Sa mère était morte en couche, et son père ne s’était jamais révélé, de sorte qu’elle avait été élevée et choyée comme l’enfant de chacun et tout le monde l’aimait tendrement. Elle était l’enfant de la communauté.

— Il se passe quelque chose chez Ceux d’en haut Mâtres, avait-elle annoncé un matin au cours du grand rassemblement.

La tradition voulait que la communauté se réunisse une fois par jour afin de rendre grâce au Falun. Chacun pouvait à cette occasion s’exprimer devant ses pairs et prendre à partie le Mâtres, pour quelque sujet que ce soit, tant qu’il concernait le plus grand nombre et non l’individu.

— Parle, Mahaut, avait encouragé le vieillard avec bienveillance. Qu’as-tu donc à nous apprendre sur les barbares ?

— Oui, raconte ? Sont-ils en route pour une nouvelle guerre ?

— Nos murs vont-ils trembler et viendront-ils se réfugier dans les galeries voisines aux nôtres ?

— Faudra-il creuser plus profondément le Falun afin d’échapper à notre découverte ?

— Je ne peux encore le dire mes frères. Je ne sens pas la guerre. Je sens des vibrations, un grondement cyclique qui semble se déplacer régulièrement et s’arrêter à intervalles réguliers. Je crois qu’ils creusent, mais ils restent en surface. C’est comme s’ils enterraient quelque chose.

— Hum… Penses-tu qu’il faille envoyer les nôtres en observation ?

Un murmure sinistre parcouru l’assemblée. Un vent froid. Suivis d’un silence funeste. Cela faisait plusieurs décennies que personne n’avait approché la surface, mais le souvenir de la dernière expédition restait profondément marqué dans les consciences. Les Terriens s’étaient une nouvelle fois adonnés à la guerre et les murs avaient tremblé. Nombres des-leurs, envoyés en reconnaissance n’étaient pas revenus, s’étant tout simplement fait prendre sous des éboulements.

— Je crois qu’il faut encore attendre… ne prenons pas de risque.

Alors, ils avaient attendu. Les mois avaient passé. Tous avaient fini par identifier les vibrations qui allaient et venaient loin au-delà des voûtes. Elles se répétaient effectivement régulièrement, formant un territoire, comme un lacis dont ils n’avaient pu déterminer les dimensions mais qui couvrait plus que leur espace personnel de plusieurs kilomètres de galeries.

Et puis cela passa. Plus de martèlements, plus de tremblements. Le calme, enfin. Qui loin de les rassurer, apporta une angoisse. Comme un manque. Comme quand un mal chronique auquel on avait fini par s’habituer disparaissait soudainement et que loin d’être soulagé, on ressentait une nouvelle forme de malaise.

Ce fut alors que certains enfants ou vieillards commencèrent à ressentir des maux de tête. D’abord furtifs et épisodiques, ils devinrent vite violents et incessants. Timéo, trois ans fut le premier à succomber. Sans qu’aucun remède n’y put rien. Et le mal se répandit dans le sang et l’incompréhension.

A son grand désarroi, la population souterraine n’était pas égale face à ce fléau inconnu. Les uns continuaient à vivre en bonne santé, ignorant la souffrance, alors que les autres, et peu importait leurs conditions physiques, se pressaient les tempes pour atténuer leurs maux, commençaient à maigrir et à saigner du nez, se tordaient de douleur comme si leurs organes pourrissaient de l’intérieur. Et chaque fois les symptômes identifiés, les malheureux périssaient en quelques mois, dans l’impuissance générale et la frustration la plus totale. Le deuil et la tristesse s’emparèrent de la communauté qui cherchait des réponses auprès du Falun, lui qui ne les avait jamais trahis depuis l’ensevelissement…

Mahaut se sentait coupable. C’était par elle que le mal était arrivé. Avant qu’elle ne l’identifie, personne n’avait capté le bruit. Mais une fois qu’elle s’en était ouverte au conseil, c’était comme si elle avait ouvert la porte à Ceux d’en haut qui avaient, par quel maléfice ?, réussi à les atteindre, traverser le Falun, les envahir à nouveau, semer la mort et la terreur.

Trente-sept des leurs étaient décédés depuis lors, réduisant encore leur fragile communauté. Comme il était apparu que les plus touchés étaient les familles vivant juste au-dessous des sources de nuisances sonores, les cellules s’étaient vidées et de nouvelles habitations avaient été creusées, toujours plus profondément dans les entrailles de la terre.

Mahaut avait décidé de se rendre au Dieu Falun afin d’attirer sa clémence. Ainsi, s’était-elle enfoncée seule dans la galerie de non-retour, celle où se rendaient ceux d’entre eux désireux de terminer leurs jours sans être un fardeau pour leurs pairs. Au fond de cette galerie, coulait une cascade bouillonnante d’où émergeaient des rochers acérés.

Le temps avait eu raison du fléau, comme si les nouvelles générations étaient plus vigoureuses et résistantes au mal que leurs aînés. Il ne restait plus qu’une centaine d’âmes, mais ils avaient résisté à l’envahisseur, une fois de plus.

Cela se passait lors de l’essor d’Internet, de l’ADSL et du câble. Et tout semblait sur le point de recommencer !

 

Léo

Léo l’archéo :

Quelle découverte fascinante ! Hier, nous avons trouvé une nouvelle cave. Qui aurait cru que les mérovingiens et leurs descendants avaient pu creuser si loin ? Surtout, ce qu’il y a de formidable, c’est la nature cette découverte. Il ne s’agit pas de déchets de sarcophages. Nous avons découvert une pièce immense, aux parois couvertes de sculptures d’animaux et végétaux à corps humains. Des personnages fantaisistes dont on n’a jamais vu d’équivalent ailleurs.

Quelle espèce de nouvelle religion avons-nous mis à jour ? Quels hommes vivaient là ? A quelle époque ? Quel était leur mode de vie ? Venaient-ils là pour prier ou participer à quelque rituel inquiétant ? Pourquoi n’avons-nous aucun document sur ce lieu, ses habitants et leurs pratiques ?

Je dois dire que mon excitation est à son comble et que mon imagination galope !

Il y avait des traces de pas dans la poussière ! Que ce gros balourd de Pierre-Yves a chamboulé sans même y faire attention. Il dit que j’ai rêvé ces marques ! Vous vous rendez compte ! ? Peut-être cinq-cents ans que cette foutue trace était là et zou ! Disparue dans un courant d’air !

Philippe est fou ! Excité comme un gosse à Noël. Il a déjà envoyé des centaines de mails à travers le monde à des confrères spécialistes du Moyen-Age ou des troglodytes pour venir étudier cette grotte, ce temple comme on l’appelle déjà. Nul doute qu’il nous réserve encore des tas de surprises.

Il y avait un passage pour sortir de cette pièce mystique à l’opposé de notre entrée, mais au moment où nous donnions le dernier coup de pioche pour nous laisser le passage, un éboulement nous a bouché cette issue ! Gabriel y a récolté un bras cassé, le maladroit !

Il nous faudra encore des centaines d’aller-retour avec des seaux pleins de gravas pour dégager ce passage. Mais vous savez quoi ? J’aurai juré avoir vu briller une lueur derrière les éboulis…

Demain, nous continuerons à creuser.

L’objet

La caractéristique première des Sous-Terriens, était leur prédisposition à l’intériorité, au silence. Leur capacité à se mouvoir sans se faire remarquer, à ne pas dire tout ce qui leur passait par la tête, à réfléchir avant d’agir. Ainsi ce monde, leur monde, était-il silencieux. Du plus petit enfant à la plus espiègle de leurs chèvres malingres, parce que le moindre bruit pouvait être de nature à bouleverser l’ordre établi, pouvait semer la discorde et le chaos au sein de la communauté tout entière.

Sous terre, les gens étaient humbles, graciles, affables et délicats. Chacun de leurs gestes était empreint de pudeur, de douceur et de précaution. Ils savaient toujours ce qu’ils devaient faire et pourquoi ils le faisaient. Ils ne se posaient guère de questions. Ils n’avaient pas une once de sentiment individualiste en eux. Ils obéissaient, sans discuter la loi du Mâtres. Chacun savait qui il était pour la communauté et ce qu’on attendait de lui. Tous avaient conscience que leur survie dépendait de cela. Qu’il y avait des choses contre lesquelles on ne pouvait rien. Qu’il ne fallait pas jouer avec le feu.

La fraternité ne connaissait pas le conflit et encore moins la violence. Le vol n’existait pas car il n’était tout simplement pas concevable. Dans un monde clos comme le-leur, où s’échapper avec son larcin ? Où le cacher et surtout, pourquoi faire ? Il n’y avait pas d’argent. Tout appartenait à tout le monde et en cas de litige, la question était tranchée en conseil de communauté par l’ensemble des habitants.

Certes, dans cette étrange société, il n’y avait pas de place pour les découvreurs et autres aventuriers. Il n’était pas possible de partir en voyage quand on était cerné par le Falun. Remonter à la surface était interdit et ce sujet tabou ne souffrait aucune discussion. Les artistes œuvraient essentiellement sous forme de sculptures et de décorations des murs, sur les colonnes, dans les cavernes et les dédales de couloirs. De même, le silence étant de mise, la musique était absente de leur culture. Les instruments de musique n’existaient pas. Seules les modulations de la voix et le chant étaient autorisés car c’était l’un des rares loisirs, l’une de leurs rares sources de plaisir. Ainsi, les inventifs, avides de création, le faisaient-ils au sein de la communauté, pour le bien de la communauté, et dans le strict cadre de la loi. L’ordre était établi depuis des siècles, depuis le décret de Grégoire de Théoadus, 1er du nom, pour être exact et nul ne songeait à le remettre en cause. Jusqu’au jour où l’objet fut découvert…

 

Théodore

Il dévalait prestement le corridor des quatre vents. Ses cheveux blancs flottaient au gré des bourrasques espiègles. Il souriait, entrainant par la main sa petite amie, Bérénice. Leurs pieds nus effleuraient à peine le sol poussiéreux qui formait de légers tourbillons cotonneux dans leur sillage. Ils ne faisaient pas de bruit cependant. Même leurs éclats de rire étaient silencieux et raisonnables, à l’image de ce peuple des profondeurs, taciturne et jaloux de sa sécurité autant que de sa tranquillité.

Théodore était le fils du Mâtres Gragouard. C’était un rescapé de la maladie de Mahaut, un miraculé. Seul de sa famille à être sujet aux maux de têtes, il avait été évacué de la cellule familiale dès l’apparition des premiers symptômes et s’était rétabli, contre toute attente, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Aux yeux de la communauté, il avait été marqué par le Falun pour succéder à son père. Aux siens, il avait reçu un appel d’en haut…

Car c’était une ce qu’on pouvait appeler un original, Théodore. Un rêveur, un bâtisseur.

Depuis tout petit déjà, même avant sa maladie, il riait plus que les autres, aimait parler, sautiller sur place, frapper dans ses mains, gazouiller pour le plaisir.

Son éducation avait, bien sûr, étouffé dans l’œuf ses aspirations personnelles et sa prédisposition au bonheur. Mais comme il est possible d’éduquer le « moi », il n’est, en revanche, pas possible de changer le « soi ». Théodore avait donc appris à se taire, à faire « comme si », sans pour autant se renier, et il avait continué à rêver, à observer son monde et à étudier les possibilités de liberté conférées par ses pairs afin d’en profiter au maximum, d’aller le plus loin possible sans être hors la loi.

Car hors la loi, il n’en était pas loin. Les bruits étaient sa passion secrète. Il les collectionnait, les répertoriait dans l’intimité de sa cellule individuelle en gravant dans le Falun un symbole pour chacun d’eux. Ainsi avait-il créé ce qui pouvait ressembler à un langage codé, à mi-chemin entre un alphabet, des notes et des hiéroglyphes.

Il ne s’en était ouvert à personne bien sûr. Il faisait partie des profondeurs, il vivait pour la communauté avant lui-même. Avec cette force en lui prête à exploser. Si tant est que l’étincelle jaillisse pour allumer sa flamme.

Léo

Léo l’archéo

Une vie Intra-Terrestre ! Voilà ce que nous avons découvert. Plus de doutes possibles. Morceaux de tissus, cheveux blancs, outils en os, humains pour certains… Nous attendons les résultats de la datation des trouvailles, mais c’est déjà énorme et l’on dirait que les lieux ont été abandonnés hier ! Les plus éminents chercheurs en ethnologie et étude des civilisations arrivent en trombe. C’est l’effervescence autour de Doué-la-Fontaine ! Jamais cette petite ville touristique, pourtant réputée, n’a autant fait parler d’elle !

Malheureusement, nous n’avons pas assez de crédit pour continuer les fouilles lorsque notre mois s’achèvera. Certes, nous avons de quoi retourner en labo et en fac pour étudier ces trouvailles et écrire quelques dizaines de thèses. Nous en avons même pour une bonne dizaine d’années, sans rire. Mais ce serait risquer de perdre un temps précieux et rater une découverte sensationnelle, la découverte du siècle pour ne pas dire du millénaire, sans exagérer, attention !

Car nous pensons qu’il y a une chance pour qu’il y ait encore de la vie sous le site !

Nous avons besoin de vous !

Nous en appelons à votre bonne volonté, à votre bénévolat pour creuser, à vos dons pour le financement des recherches et l’achat de matériel, pour la mise à disposition des connaissances, outils et savoir-faire. Mobilisons-nous ! Que le Réso’ diffuse l’information au plus grand nombre. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère !

 

Gragouard

            — Au commencement étaient nos ancêtres de la surface. Fiers et travailleurs. Ils vivaient en paix avec les villages et en harmonie avec la Terre. Le Falun était leur première ressource. Ils le travaillaient, le façonnaient avec cœur pour le salut des âmes. Les sarcophages, demeures sacrées des corps après la mort, leur permettaient, en effet, d’accéder au jardin des délices pour des siècles paisibles.

» Puis est venu le temps du Dieu unique et les carrières ont été peu à peu abandonnées. Ce mode de conservation des morts ne correspondant plus aux croyances et valeurs de la nouvelle religion.

» Mais qu’à fait ce Dieu nouveau et unique pour les Hommes d’en haut ? Les a-t-il protégés des géants du nord assoiffés de feu et de sang ?

— Rien ! Il n’a rien fait ! répondirent en cœur les quelques dizaines de personnes réunies autour de Gragouard et de son grand autel.

— Rien, mes frères. Il n’a rien su faire. Et les nôtres ont vécus dans la terreur, la misère pendant des décennies, priant vainement ce Dieu impuissant.

— En vain !

— Mais le peuple de Théoadus a trouvé son salut !

— Son salut !

— Et par qui a-t-il obtenu ce salut ?

— Le Falun ! Le Falun !

— Oui, mes frères ! Le Falun ne connait pas la rancœur, ni la vengeance ! Alors même que celui-ci l’avait abandonné, le Falun a sauvé notre peuple !

» Comme jadis il conservait le corps des morts, ainsi a-t-il conservé nos vies. Par-delà les siècles. Ainsi nous a-t-il toujours protégés ! Nous mettant à l’abri du peuple sanguinaire, de Ceux restés à la surface !

— Le Falun ! Le Falun !

— Gloire au Falun ! Gloire au Mâtres Grégoire qui nous a préservés ! Gloire à la Cité de Théoadus pour toujours et à jamais !

» Voilà plus de sept-cent années que nous vivons sous terre. Petite communauté se suffisant à elle-même, se développant dans les entrailles du monde.

» Nous avons prospéré malgré les années de disette et les épidémies. Nous avons appris à vivre dans l’obscurité, captant la lumière comme nous le pouvions, sans aide extérieur. Nous avons su nous adapter, tant aux carences alimentaires qu’au manque de matériel. Utilisant l’os quand le métal nous a manqué. Nous avons su détourner à notre profit les sources d’eau potable, pour créer nos bains et nos latrines. Nous avons troué nos cheminées pour aérer nos pièces et évacuer nos déchets. Afin de nous nourrir à satiété et de nous vêtir, nous avons su tirer parti maximale des plantes et bêtes assez résistantes pour ce mode de vie. Nous avons créé une société unique, basée sur l’égalité entre les hommes, sans hiérarchie autre que celle de l’âge et du respect des traditions. Sans guerre et sans violence. Nous avons scrupuleusement respecté les lois édictée par Mâtres Grégoire afin d’échapper aux tourments d’en haut et au risque d’être découvert !

» Oui ! Et nous avons survécu à l’envahisseur du nord, puis aux tentatives d’intrusion au fil du temps.

» Le monde du dessus n’est pas le nôtre. Laissons-le à ses turpitudes, à ses combats et à ses bouleversements dont nous ne voulons rien savoir !

» Chaque génération a vu son lot d’épreuves et toujours nous nous sommes relevés. Chaque génération a fait preuve d’ingéniosité et d’innovation pour améliorer notre quotidien. Nous pensions être loin des soucis d’invasion, être assez profondément enfouis pour ne plus redouter Ceux d’en haut. Hélas, mille fois hélas, la menace pèse à nouveau sur notre peuple. Une menace plus réelle que les petites incursions auxquelles nous avons été confrontés jadis. Plus grave encore que la maladie de Mahaut ou les tremblements de guerre. Car aujourd’hui, ils ont réussi à pénétrer jusqu’à nous…

 

Philippe

            — Merde, enfoirés de Geeks !

Il était plutôt furax, Philippe Sauveur, alors qu’il se frayait un chemin à travers la foule, jouant des coudes à l’occasion et tapant volontiers dans un seau, une canette de bière ou, bonheur suprême, un sac à dos certainement bien garni d’appareils ultrasophistiqués !

Ce n’était pas qu’il en voulait au gosse, avec son portable greffé à la main. Mais tout de même, il avait réussi à lui retourner son chantier, le Léo, avec son « Réso ». Voilà qu’ils étaient près de cinq-cents aujourd’hui. Et ils avaient décidé d’organiser une rave party. Il paraissait qu’on appelait ça « technival » maintenant, mais il devait être trop vieux déjà pour que cela lui importe.

Les alentours du chantier de fouilles n’étaient que bruit, tentes igloos, musique abrutissante, odeur de cannabis et fiestas interminables. Flashs, vidéos, photos, rien ne lui était épargné, il avait sa trombine affichée partout. Car à son grand dam, tout était relayé, partagé, diffusé sur Le Réso’ à la minute, au jour le jour, attirant toujours plus de curieux. Des passionnés d’abord, de gentils allumés, de doux rêveurs en mal d’expériences nouvelles et de moments inoubliables. Mais aussi des ignorants qui ne savaient même pas pourquoi ils étaient là et saccageaient son travail.

A vrai dire, beaucoup espéraient passer à la postérité du mois. Etre « aimés » sur leur page ou « partagés » sur celle des autres. Tous rivalisaient d’ingéniosité pour entrer dans la zone interdite et balancer leurs photos sur le net. Et tant pis s’ils ruinaient la recherche et polluaient le site, le rendant inexploitable…

 

L’objet

Il tomba alors que Théodore et Bérénice s’approchaient. Il glissa le long du boyau poussiéreux, d’en haut jusque la cuvette, sans faire de bruit.

Petit, de forme rectangulaire, assez plat, il semblait recouvert par une enveloppe souple, lisse, sorte de carapace protectrice de couleur noire. Un truc, un machin que personne ne connaissait. Que personne n’avait jamais vu. Totalement incompréhensible aux membres de la communauté, mais totalement fascinant.

Les jeunes gens regagnaient leurs cellules respectives après la réunion du matin. Théodore avait choisi de passer par cette galerie peu fréquentée car la cheminée principale était propice à des hurlements du vent qui terrifiaient les Sous-Terriens. Mais pas lui et il voulait faire découvrir ces subtilités sonores à sa petite amie. La situation était tendue depuis la perte de la salle commune et le dernier éboulement. Cela le mettait mal à l’aise. Les Terriens étaient à leur porte. Les siens étaient terrorisés et lui ne savait qu’en penser.

Car il avait découvert autre chose que le sifflement du vent en prenant place dans la cuvette sous la goulotte. C’était une ouverture sur l’extérieur, par laquelle il entendait des voix. Et cela le bouleversait ! Il ne pouvait plus garder une telle découverte pour lui seul.

Théodore venait de prendre Bérénice par la main, pour la conduire doucement vers le trou d’air quand une bordée de mots inconnus et clairement furibonds, voire, à la fin, passablement désespérés, se répercutèrent jusqu’à eux dans une bourrasque.

Tétanisés, anxieux et méfiants, ils observèrent un moment l’objet sans oser bouger, s’attendant presque qu’à ce qu’il ne leur saute à la figure pour les égorger.

Mais à part ces cris étranges et lointains, rien de dangereux n’advint et Théodore en déduisit que la haut, quelqu’un regrettait cet étrange outils. Subjugués, Bérénice et Théodore décidèrent de taire leur trouvaille, ou tout au moins de prendre le temps de l’étudier avant de la diffuser au groupe. Passée la première frayeur instinctive, ils ne se sentaient plus en danger, mais savaient que les-leurs verraient en lui une arme, une malveillance délibérée de Ceux d’en haut.

A force de le triturer et de le retourner dans tous les sens, Théodore réussit à ouvrir la carapace en deux, révélant l’objet caché. Il était noir aussi, mais beaucoup plus lisse et il faillit le laisser choir lorsqu’il aperçut son reflet dedans, un peu comme à la surface de l’eau, mais beaucoup plus nettement ! Afin de capter un peu plus de lumière, il se déplaça de quelques pas, juste sous la bouche d’aération. Il y avait quelques protubérances sur les bords de la chose. Il finit par appuyer sur l’une d’elles et son doigt s’enfonça légèrement. Alors la chose s’illumina de l’intérieur, révélant une image en couleur, une personne, très semblable à Bérénice et pourtant tellement différente, figée dans un large sourire et entourée de tas de signes étranges.

Le cœur de Théodore s’emballa. Il s’assit un moment pour retrouver son équilibre. Soudain, il eut l’intime conviction que les barbares n’étaient pas ce que soupçonnaient les siens. Qu’ils n’avaient rien de sanguinaire et aucune visée conquérante. Que lui, pouvait faire le lien entre les deux peuples ! Que le Falun en avait décidé ainsi.

— Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté, susurra-t-il une étincelle au fond des yeux.

 

Siméon

Le vieillard fut prévenu par les médias. Via son compte Réso’. Il était sur la terrasse de la Maison des Anciens où il sirotait son whiskey en jouant avec sa tablette numérique. Une découverte fascinante ? De la vie sous terre ? Fadaises ! Il savait, lui, ce qu’il y avait là-dessous. C’était encore un coup de ces satanés clandestins ! Ces envahisseurs des temps modernes qui, terrés comme les rats qu’ils étaient attendaient leur heure pour se révéler à ces benêts d’étudiants idéalistes et naïfs. Mais lui n’était pas dupe ! Cette histoire de fouilles était un canular, un fake, pour parler jeune et il le prouverait ! Encore une idée des associations humanitaires pour faire de la pub à ces saletés d’étrangers ! Il voyait ça d’ici ! La découverte d’un camp illégal de réfugiés du « Bouibouistan » ! Des gosses malingres aux yeux immenses et des mères courages qui émouvraient la populace et qu’il faudrait accueillir, nourrir, loger et assister jusqu’à ce qu’ils viennent vous égorger dans vos lits pour vous voler jusqu’à votre identité culturelle !

Une bombe, voilà ce qu’il fallait foutre là-dedans, une bonne grosse grenade bien puissante et on n’en parlerait plus. Il allait alerter l’opinion publique. Lui ouvrir les yeux ! Il utiliserait sa page Réso’ et le Parti de Protection Nationale pour l’aider. Ce serait son plus beau coup d’éclat.

 

Bérénice

Le changement d’attitude de Théodore finirait par se voir, Bérénice en était persuadée. Quelques jours avaient suffi pour qu’il devienne méconnaissable. Qu’avait fait de lui cet objet d’aspect si inoffensif ?

Il devenait distant avec ses pairs et délaissait ses tâches quotidiennes. Il passait des heures dans sa cellule, à étudier cette chose qui était devenu son obsession.

Un soir, effleurant l’une des icônes, il avait même hurlé d’exaltation, manquant de réveiller la communauté. Tout ça, lui apprit-il plus tard, parce qu’il avait trouvé d’autres images à l’intérieur de l’objet, comme un témoignage de Ceux d’en haut. Il avait contemplé le ciel, lui, tel un élu, un découvreur, et comprit ce qu’était la lumière du jour, combien fascinantes et nombreuses étaient les couleurs, combien différents entre eux étaient les barbares, et combien ils avaient l’air heureux…

Deux jours plus tard, il annonça sa décision à Bérénice : il allait remonter à la surface. Il rencontrerait les barbares, il briserait l’ultime tabou. Il était temps que les siens sortent de l’ombre. C’était sa mission.

— Et pourquoi est-ce que je ne devrais pas y aller ? Donne-moi une seule bonne raison ! l’avait-il durement rabrouée lorsqu’elle s’était opposée à lui.

Elle n’avait pas su lui répondre. A quoi bon ?

Bérénice savait qu’il serait condamné à la galerie de non-retour s’il tentait de quitter la communauté. Elle l’aimait trop pour le laisser risquer sa vie, aussi exaltantes que puissent paraître ses découvertes. Mais rien ne le raisonnerait. Il ne l’écouterait pas. Sa seule passion à présent était de caresser cet objet pour le faire réagir et de regarder ce qu’il voudrait bien lui montrer.

Elle devait faire quelque chose. Elle devait le protéger, même s’il fallait le trahir pour ça…

 

Patrick

            — Nous voici en direct de Doué-la-Fontaine. Cette petite bourgade près de Saumur défraye actuellement la chronique sur le net. Qu’y a-t-il réellement dans les carrières de falun ? Serait-il possible qu’une population troglodytique y ait survécu à travers les siècles et à l’insu de tous ? C’est ce que pensent une poignée d’étudiants en histoire et archéologie occupés à fouiller le site, et à leur suite, quelques centaines de fidèles ralliés à leur théorie via Internet.

» Ou serait-ce un camp de réfugiés clandestins, cachés-là par un groupuscule illégal de vendeur de sommeil peu scrupuleux, comme le clament les partisans du PPN ?

» A moins que nous ayons affaire à une base secrète, à une cellule mafieuse ou terroriste comme pourrait l’attester l’arrivée de l’armée ? La question reste entière. Mais ce qui est certain, c’est que la cohabitation n’est pas simple et que des échauffourées entre extrémistes du PPN et étudiants ont déjà donné lieu à plusieurs hospitalisations.

» Pour la Première Chaine, Patrick Chazal, à vous les studios.

 

Théodore

Le jeune homme était soucieux. La lumière avait faiblit. Une inscription qu’il ne connaissait pas clignotait rouge en haut de la partie qui offrait les images. C’était un signal d’alarme, il n’en doutait pas. Mais qui annonçait quoi ? Que l’objet était en fin de vie ? Il devait se dépêcher de découvrir les derniers secrets de son trésor. Aussi pianota-t-il de plus belle, fébrile et tremblant.

Lorsqu’il réussit à donner la parole à cet être extra-sous-terrien, il poussa un cri de surprise mêlé d’une joie presque insupportable. L’objet émettait un chant magique accompagné d’une myriade de sons irréels et envoutants.

— Théodore ! Qu’as-tu fait ? lança une voix brusque derrière lui.

Damian se tenait dans l’embrasure de sa cellule. A ses côtés, Barbérius et Roseline. Derrière eux, Bérénice, complètement dévastée.

— Il a amené le malheur chez nous, voilà ce qu’il a fait, répondit l’autre garçon.

— Il faut prévenir la fraternité.

— Je t’en prie, Damian. Ne fais pas une chose pareille.

 

Philippe

Mais bon dieu, que venait foutre l’armée ici !? Y en n’avait pas assez déjà avec tous ces internautes à la masse ? Fallait en plus que les troufions débarquent ? Et sérieux qui plus est ! Avec attirail haute technologie et tout le toutim ! Comme dans les films d’anticipation à la télé. Genre : « Laissez faire, on maîtrise la situation. On casse tout, on brûle tout et après on négocie ! »

Cela pouvait paraître cliché mais Philippe n’avait pas beaucoup de références et ces types, sortis de la jeep avaient tout l’air d’adorer jouer à la guéguerre. Surtout le gradé, là. Un Commandant ? Un Capitaine ? Il ne savait pas au juste. Il n’y connaissait rien. Lui était objecteur de conscience.

Il s’appelait Jean Snavely , s’il avait bien compris, et il foutait salement les foies. Il avait commencé par s’entretenir plusieurs heures avec Claire au sujet de la perte de son mobile. Comme si cela pouvait avoir une quelconque importance dans l’affaire. La gamine en était sortie toute tourneboulée au point qu’il serait bien allé dire deux mots au bonhomme si on l’avait laissé approcher. Et puis, les choses s’étaient emballées. L’armée avait fait boucler le périmètre autour du site et jusque l’antenne relais, cinq-cents mètres plus loin. Elle n’avait pas encore fait évacuer les gamins, mais l’entrée de la « Cathédrale souterraine » comme il se plaisait à l’appeler, leur était désormais interdite. Certes, cela n’était pas pour lui déplaire, mais son équipe et lui n’y avait plus accès non plus. Trop dangereux, paraissait-il ! M’enfin, ce n’étaient que de petits accidents idiots et sans gravité comme il y en a toujours sur un chantier de fouilles de cet envergure. Juste un manque d’attention. La faute à pas de chance. Pas du sabotage ! Un bras cassé ne devrait pas susciter l’intérêt de l’Etat, si ? Une civilisation inconnue et cachée depuis des siècles ne devrait pas mobiliser de drones !

Car c’était bien un drone, qu’ils s’apprêtaient à envoyer en reconnaissance, non ? Cet espèce de jouet téléguidé par satellite avec caméra embarquée.

Philippe n’y tenait plus. Il était responsable du chantier de fouilles et de ses étudiants. Cette nouvelle civilisation était leur bébé, ils ne pouvaient pas se laisser déposséder de leurs découvertes ! Et s’il ne pouvait rien faire pour empêcher l’espèce de truc robotisé à mi-chemin entre une fourmi et un chiot de pénétrer son sanctuaire, il allait exiger de profiter, au moins, de ses découvertes !

Il en était là de ses réflexions, alors qu’il approchait du fourgon de Snavely, quand une énorme déflagration retentit, soufflant les vitres du véhicule et le projetant au sol avec force.

Grand Dieu que venait-il de se passer ?

Autour de lui, c’était la panique. Etudiants, touristes et soldats galopaient de toute part. Fuyant, accourant, hurlant des ordres ou beuglant d’incompréhension, filmant le nuage de poussière qui s’échappait de l’entrée du site troglodytique. On se serait cru dans un désert en pleine tempête de sable. Les rayons du soleil qui filtraient à travers le falun en suspension rendaient le paysage irréel, fabuleux, fascinant, apocalyptique…

Toujours à plat ventre, Philippe dont les oreilles bourdonnaient atrocement capta les mots : sabotage, bombe, PPN et terrorisme. Il eut vaguement conscience d’être soulevé de terre et trainé vers l’arrière par une paire de bottes noire et cru reconnaitre au loin Jean-Rambo-Snavely. Accoutré d’un masque à gaz et d’une combinaison digne des meilleurs films de science-fiction, il prenait le commandement d’une escouade et se dirigeait vers le site. Philippe eut un coup au cœur. S’en était fini de son rêve de mettre à jour une nouvelle civilisation.

 

Gragouard

            — Il nous faut parler de ce nouveau péril que représentent les barbares de la lumière, déclara Gragouard d’une voix emplie de gravité.

L’ambiance était à couteau tiré autour de l’autel du Dieu Falun. Pour la première fois, une violente dispute avait éclaté dans la cité de Théoadus. Pour la première fois, les règles avaient été transgressées et pour la première fois, Ceux d’en haut avaient réussi à pénétrer leur refuge et à empoisonner leur existence. Barberius était à la droite de Gragouard, l’œil mauvais et la lèvre toujours enflée. A ses côtés, Damian et Roseline. A la gauche du Mâtres, Bérénice et Théodore, anxieux. Entre les mains, de Gragouard, l’objet de la discorde.

— Il y a plusieurs faits à prendre en considération avant de prendre toute décision, continua le Mâtres, une fois que chacun eut raconté sa version des faits. Premièrement, Théodore nous a caché délibérément sa trouvaille. Il a enfreint la règle d’or qui dit que tout rapport aux barbares doit aussitôt être porté à la connaissance du groupe. Ce qui est encore plus grave quand on considère que l’ennemi est à notre porte. Deuxièmement, il s’est approprié un bien, alors que la propriété personnelle ne fait pas partie de notre culture. Il avait le devoir de la partager, en dehors de toute considération externe quant à la dangerosité et la sécurité des nôtres. Enfin, il a fait preuve de violence, ce qui prouve le pouvoir néfaste de…

— Ce n’est pas vrai, père ! Je n’ai pas frappé le premier. Il a fallu que je me défende, c’est tout…

— Te défendre ou défendre cette chose ?

— C’était vrai au début. J’avais peur de votre réaction. Je ne voulais pas qu’il soit détruit. C’est un objet inoffensif qui peut nous en apprendre tant sur Ceux d’en haut !!!

— Mais c’est quoi au juste cet objet ? demanda Mariam, la guérisseuse. Et pourquoi te fascine-t-il autant ? Alors que tu sais que ce qui vient d’en haut est si mauvais ?

— Il n’est pas mauvais ! Il y a des sons qui en sortent, inconnus mais merveilleux. Et des images aussi. Mais pas comme dans le livre du Mâtres. Pas dessinés par les hommes. Pas comme nos sculptures de Falun. Des images vraies ! J’y ai vu Ceux d’en haut comme s’ils étaient à l’intérieur de la boite. Avec leurs sourires et tellement de couleurs !

— C’est un objet du malin ! Il faut le détruire ! argua Roseline à l’évidence, terrorisée.

— Non ! Il nous montre que l’on se trompe sur Ceux d’en haut. Ils ne sont pas sanguinaires. Ils ont dû évoluer, nous l’avons bien fait nous même ! Ils sont créatifs, heureux, beaux ! Faites-moi donc confiance, ne suis-je pas le miraculé ?

C’est alors que la terre se mit à trembler violemment. Les habitants de Théoadus, saisis de panique, se figèrent. Atterrés. Ils restèrent un moment sans bouger ni dire un mot. Ecoutant le grondement sourd, au loin qui fondait sur eux.

L’enfant qui déboucha du corridor ouest les surprit à ce moment-là :

— Ils arrivent, Mâtres ! Gragouard ! Les barbares, les envahisseurs, ils sont là…

 

Léo

Léo l’archéo :

Putain, c’est vraiment la merde ! Y a une bombe qui vient d’exploser sur mon site de fouille ! J’en ai encore les doigts qui tremblent…

Simon Lys:

Et toi tu actualises ton statut !!! Mdr ! Prends des photos, fait une vidéo ! Reste pas comme ça Léo ! :p

Carine Longlet :

Mince Léo ! Tu déconnes pas ! La nouvelle est déjà sur Le Réso’ et y a des images sur Myvid’. Tu crois qu’il se passe quoi ? Parait qu’il y aurait un réseau souterrain de terroriste.

Bastien Loud :

Mdr, une base souterraine comme dans James Bond !

Léo l’archéo :

C’est du grand n’importe quoi ! C’est comme l’autre allumé de Pierre-Yves qui dit que ce sont des clandestins qui se cachent ! Comment voulez-vous qu’ils soient passés inaperçu ????

Julie Eznatt :

D’un autre côté… y quelqu’un ou pas en bas ?

Léo L’archéo :

Y a quelqu’un, j’en mettrais ma main au feu !

Julie Eznatt :

Et qui ce serait d’après toi ? Si ce ne sont ni des terroristes, ni des clandestins ?

Bastien Loud :

Des Intra-terrestres Julie !

Claus Verner :

Des rats mutants !

Léo l’archéo :

Une population souterraine ! J’en ai la conviction. Si on nous avait laissé faire, on en aurait appris bien plus et l’on aurait pu entrer en contact, se découvrir. Mais le commandant nous a bien mis les bâtons dans les roues. Je suis sûr qu’il nous cache un truc depuis qu’il a tracé le téléphone de Claire. Ils nous ont sabotés purement et simplement.

Bastien Loud :

Envoie-leur une demande d’ami à tes intra-terrestres :p

Léo L’archéo :

Rigole, Bast, rigole. Il n’empêche que ce qui se passe ici en ce moment est grave. J’ai bien peur que l’on coure au massacre…Faut voir avec quoi ils ont investi les lieux…

 

Donatien

Cette fois, la terre avait tremblé furieusement. Les secousses étaient bien réelles. Les cris aussi… Complètement affolé l’enfant courait dans le dédale de couloirs, nus pieds dans la poussière de falun, sans donner l’impression de savoir où il allait, mais sans jamais se cogner, ni contre les parois, qui se rapprochaient sans crier gare, ni contre le plafond qui fondait sur lui avec férocité, comme par malice.

Il était petit, maigre et aussi pâle que la poussière dont il était couvert. Ses cheveux ternes, raides et filasse étaient blancs. Ses prunelles effrayées, d’un bleu presque translucides qui se noyait dans la blancheur laiteuse du reste de l’œil. Sa pupille noire, étroite et féline, ressortait étrangement sur cette pâleur générale conférant à son regard un aspect terrifiant.

Ses vêtements étaient gris, simples et sans apprêts : chemise grossière lacée sur la poitrine et pantalon court sur les mollets.

L’ensemble conférait une impression de fragilité extrême et donnait pourtant la chair de poule. Ses membres étaient calleux, ses ongles quasi-inexistants, ses bras et ses jambes finement musclés. Mais seules ses mains et ses pieds attestaient d’une certaine robustesse. Ils paraissaient disproportionnés par rapport au reste du corps.

Sa course dura quelques minutes, à travers les enfilements ininterrompus de couloirs et de galeries plus sombres les uns que les autres. Et les bougies étaient toutes éteintes. Il avait bien croisé quelques puits de lumière, mais ils ne pouvaient suffire à éclairer grandement les lieux. Sous chacun reposaient des pots de terre dont les plantes filaient avec avidité vers le soleil et la vie. Tiges et feuilles étaient blanchâtres, hâves et tordues, torturées, à l’image du gamin qui courait toujours.

Il déboucha finalement dans une pièce large, circulaire, dont les parois étaient creusées de niches, éclairées par une multitude de petites chandelles tremblotantes. A intervalles réguliers, on remarquait des colonnes de falun finement sculptées de feuillages à visages mi-humains, mi-végétaux.

Au centre, se trouvait un autel creusé d’un foyer où brûlait quelques flammes fugaces, elles aussi aspirées vers la voute percée de-ci, delà. L’autel en lui-même était entièrement gravé de fleurs et de feuillages. Quelques bols et pichets emplis d’eau claire reposaient sentencieusement.

Gragouard était posté devant, sombre et sévère. Il tenait un petit objet sombre de forme rectangulaire entre ses doigts. Autour de lui, l’assemblée passablement soucieuse scrutait la voute en silence, les yeux exorbités. Tous tournèrent la tête vers lui comme il commençait à crier :

— Ils arrivent, Mâtres ! Gragouard ! Les barbares, les envahisseurs, ils sont là…

 

Jean

Lorsqu’ils eurent dégagé l’entrée et qu’il pénétra dans la « Terre-d’en-Dessous », comme le site avait été baptisé par les internautes, et entendez bien là un site de recherches, un lieu bien tangible et pas un site dans le sens virtuel, le commandant Snavely se fit la réflexion qu’il était probablement arrivé en enfer. Encore une fois ! Son premier réflexe fut donc de faire signe à son lieutenant de contenir les étudiants à l’extérieur de la grande grotte. Et de sortir son arme de poing.

Mais rien n’advint.

Les poseurs de bombes avaient dû faire un bon nettoyage depuis l’extérieur. A se demander s’il fallait les pourchasser pour les enfermer ou leur décerner une médaille… Il fit avancer son unité et s’enfonça plus profondément dans les galeries.

L’atmosphère était lourde et poussiéreuse, la vue désolante. Tout attestait le sort funeste de ces vauriens, même s’il n’y avait aucun cadavre. A vrai dire, il avait en tête l’image d’un astéroïde aride et caillouteux, comme il en avait traversé plusieurs dans la « Sphère de Sarensa », le jeu en réseau le plus à la mode du moment. Sable jaunâtre, rochers, cratères, courants d’air froid, vent salé. Obscurité. Silence. Non vie… D’autres images se superposèrent à la première. Celle du grand désert du Balouchistan, près de la frontière Afghane. Quand il était à la poursuite des rebelles des montagnes. Quand il avait traqué ces hommes jusqu’aux grottes de Maruf.

Snavely secoua vigoureusement la tête afin de chasser souvenirs et maux de tête. Il devait rester ancré dans la réalité. Rien ne ressemblait plus à un jeu vidéo qu’une mission de reconnaissance ou de sauvetage dans l’obscurité, avec oreillettes, et lunettes électroniques infrarouges.

Il gratta le sol du pied et délogea un nuage de suie, de terre sèche, de cendres ? ou de tout autre matière dont il ignorait le nom, qui s’épanouit à hauteur de visage et lui gâcha la vue. Des particules de poussière pénétrèrent le filtre de son masque. Ses yeux rougirent et piquèrent atrocement. Quelle nouvelle allergie allait-il développer ?

Il retint un juron. Il en avait assez de servir de cobaye ! La dernière fois, il avait passé une semaine en sas de décontamination et il gardait encore sur le visage, les stigmates de son éruption cutanée.  Mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle, non ? Il fallait bien déloger ces saletés ! Et il était bon à ce « jeu ». C’était d’ailleurs pour cela qu’on l’avait dépêché sur place. Personne ne savait ce qu’ils allaient trouver au juste, mais il fallait un spécialiste.

Le téléphone ne devait pas être très loin, la balise de localisation clignotait toujours. Le signal était faible car le réseau Internet passait difficilement au milieu de cette roche poreuse. Mais il passait ! Brave gosse accro à la technologie dernier cri ! C’était grâce à elle et à son appareil de cinquième génération qu’on avait découvert qu’il y avait du mouvement en sous-sol.

Dire qu’il avait fallu le battage médiatique du Parti de Protection Nationale et ses menaces sur Le Réso’ pour que l’armée se soucie de la découverte de ces allumés d’archéologues ! Ils auraient pu passer totalement à côté. Et l’auraient amèrement regretté le moment venu. Car il n’en doutait pas, ce qui se tramait là-dessous avait à voir avec le terrorisme. Et il fallait dégager ces raclures de là sans autre sommation.

Toussotant pour éjecter de ses poumons cette substance néfaste et insidieuse, il laissa ses yeux reprendre le contrôle et inspecta les alentours avec précautions.

 

Claire

          — Pourquoi suis-je ici ?

La question tournait en boucle dans son crâne. Il fallait avouer qu’elle était perdue, là. Comment avait-elle pu se retrouver au cœur d’un tel bin’s ? La seule chose qu’elle avait fait c’était participer à des fouilles archéologiques, et laisser tomber son téléphone dans un trou ! Et voilà que ça se mettait à péter ! Que le site était envahi par l’armée, par des partisans du PPN et que ses amis du net et de la fac faisaient front pour rejoindre les premiers à l’intérieur du temple et empêcher les seconds de les suivre.

C’est sûr, ça l’avait bien fait suer, au début,  la perte de son Smartphone. Elle ne savait pas s’en passer. Il y avait toute sa vie dedans. Son histoire d’amour SMS avec Samuel, plus les illustrations photos, à ne pas mettre entre toutes les mains. Ses contacts, les vidéos de ses soirées les plus délirantes. Ses notes et pensées personnelles, celles qu’elle prenait n’importe-où-n’importe-quand, pour garder trace de son inspiration. Bref, il faisait partie d’elle-même, littéralement. Et elle n’avait pas su refouler les larmes de rage et de frustration au moment où elle avait réalisé qu’elle ne reverrait plus ce petit morceau de son âme.

Elle s’était reprise toutefois. Il fallait relativiser. Les données les plus importantes étaient stockées sur son ordinateur, ou sur Internet. Elle remettrait la main dessus facilement. Quant au reste, il n’y avait pas de risque que quelqu’un tombe dessus. C’était au moins ça.

Et puis le commandant Snavely était apparu. Sévère, malgré une certaine jeunesse de traits et marqué d’une multitude de petites cicatrices sur la figure. Le genre de type pour qui elle aurait pu craquer s’il n’avait de l’armée que le côté cow-boy de l’espace et pas tant ce côté obtus et administratif. Et elle avait dû se résoudre à répondre à ses questions.

Oui, elle avait fait tomber son portable dans un trou, et alors ? Il avait dû atterrir dans une grotte de falun, combien de dizaines de mètres plus bas ? et elle le retrouverait peut-être un jour, si elle continuait de creuser avec les autres étudiants.

Son numéro d’Imei ? Qu’est-ce qu’elle en savait ? Mais Léo pourrait bien aider à le trouver si c’était si important que ça. C’était un crac dans le domaine, Léo.

Quoi d’autre ? Etait-il en veille, allumé ou éteint lors de la chute ? Heu… Il était en veille. Et son autonomie de batterie était d’une semaine. C’était un GSM de cinquième génération, qui captait à travers des murs très épais et dans les coins les plus reculés du globe d’après ce qu’elle savait. Le nec plus ultra de la téléphonie mobile, s’il ça l’intéressait.

Y avait-il une chance pour qu’il ait résisté à l’impact ? Qu’est-ce qu’elle en savait !? Mais peut-être, après tout ? Il avait une coque de protection et il avait été fabriqué dans des matériaux innovants en matière de solidité.

Pourquoi était-ce donc si important ? Pourquoi toutes ces questions ?

 

Jean

          — Commandant. Les gamins arrivent. Nous ne pouvons pas les contenir plus longtemps. Ils sont trop nombreux, ils filment tout. Nos menaces n’ont pas d’effet.

— Font chier… Laissez-les passer lieutenant, que voulez-vous. Plaise à Dieu qu’ils ne se retrouvent pas au cœur de tirs croisés ! Mais veillez bien à les prévenir des risques encourus, face caméra et en articulant clairement !

Le commandant étouffa un nouveau juron. Maudite technologie ! Il en adorait les applications dans son job et dans ses jeux, mais en détestait les travers, les conséquences et tout ce qui ne servait pas ses intérêts.

Le signal GPS du téléphone de la petite Claire le ramena à la réalité. Ils y étaient. Le mobile avait cessé de se déplacer. Il devait se trouver à moins de dix mètres de lui. Lorsqu’il serait assez près, il pourrait même récupérer du réseau.

Encore quelques pas dans la galerie. Encore de la poussière à laisser retomber. Puis il déboucha dans une caverne monumentale. Plus grande encore que celle qu’avaient mis à jour les archéologues.

Ses hommes balayèrent le périmètre à l’aide de leurs torches ultra-puissantes. Mais la vue vers les hauteurs était occultée par le falun en suspension, et où qu’ils posent les yeux, ils ne distinguaient rien d’autre que de la pierre brute ou sculptée. Soudain, alors que sa lampe passait par le centre de la grotte pour la troisième fois, Snavely aperçut une forme. Un être se tenait devant lui. Plutôt petit et malingre. Cheveux blanc, peau et vêtements maculés de pierre en poudre, une main levée pour abriter des yeux plissés et l’autre tenant le téléphone contre son sein. Il semblait être aveuglé par les lampes. Il était seul, sans armes à première vue.

Eux, avaient des lunettes infrarouges. Snavely ordonna à ses hommes d’éteindre les torches, mais de ne pas baisser leur garde.

La tension était palpable. L’étrange jeune homme les observait, sans faire un geste. Jean se dit qu’il n’avait rien de comparable avec des terroristes, finalement. C’était peut-être bien une communauté de sans papier après tout… Ou alors ces allumés d’intellos avaient raison, ils avaient découvert une nouvelle civilisation. Combien de temps mettrait leur société moderne pour la réduire à néant ?

Le commandant s’autorisa un sourire. Une telle découverte allait faire du bruit, pas de doute. Le PPN n’avait pas fini de râler ! Les internautes de « touliker ». Les historiens et les écrivains de rêver !

Devant lui, le gamin, car il n’avait pas l’air d’avoir plus de seize ans commença à bouger.  Il leva vers eux le téléphone, une espèce de sourire tordu sur la figure. Aussitôt, Snavely sentit ses hommes se crisper sur leurs armes.

— Ne bougez pas, leur intima-t-il. Attendez mes ordres.

Il leva les bras à son tour. Puis, lentement, il se baissa pour déposer son pistolet au sol.

 

Théodore

Aveuglé par une multitude d’éclairs scintillants, il n’arrivait pas à détourner le regard. Figé. Les mains à hauteur des yeux. Qu’avait-il fait ? Il voulait juste leur rendre leur outil. Il voulait juste entrer en contact avec Ceux d’en haut.

Théodore avait conscience que l’avenir de son peuple reposait entre ses mains. Il leur avait demandé de lui faire confiance. Mais à présent il n’était plus sûr de rien. Avec leur œil géant sur le front, ils ne ressemblaient pas à ce qu’il avait vu jusque-là. Ils étaient terrifiants à la vérité. Tout comme l’avait toujours dit son père.

L’obscurité se fit à nouveau. Face à lui, l’homme qui semblait être le chef déposa un objet au sol et s’avança les mains en l’air. Cela pouvait être un piège, ou un signe de paix. N’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, Théodore évita d’intervenir. Il savait que ses frères et sœurs étaient en embuscade, prêts à le défendre. Les vieillards et les enfants avaient fui vers la galerie sans retour. Ils s’y mureraient si les choses tournaient mal.

Soudain, une cavalcade détourna son attention. Son cœur s’accéléra furieusement. Parmi les jeunes gens qui arrivaient en courant et en criant des mots incompréhensibles, il reconnaissait ceux qu’il avait contemplés si longuement sur la face brillante de sa trouvaille. Instinctivement, il fit un pas, le corps tourné dans leur direction, et se retrouva à moins de trois mètres du chef des barbares et de ce qu’il ignorait être un radar GPS. L’objet qu’il tenait entre les mains se mit à vibrer, puis à sonner férocement : une pétarade, qui fit aussitôt réagir les hommes en armure.

 

Claire

C’était l’intro de « One », l’une de ses chansons préférées tirée d’un live de Métallica et qu’elle utilisait comme signal d’alerte sur son téléphone. Claire sentit ses pieds se dérober sous elle lorsqu’elle comprit ce que cela venait de déclencher. Le jeune garçon au centre du temple avait poussé un cri de surprise avant de s’écrouler, criblé de balles. Au-dessus de lui, les siens avaient hurlé avec une intensité qu’elle n’avait jamais approchée. Ils attaquèrent les soldats avec des pierres. Et ceux-ci répondirent avec leurs mitraillettes. Des corps blafards tombèrent autour d’eux, pauvres pantins gris désarticulés.

Terrifiée, elle ne songeait même pas à se mettre à l’abri et ne dû son salut qu’à la célérité de Léo qui l’entraîna vers l’arrière en beuglant au carnage, à l’injustice et à l’incompétence des forces armées.

Dehors, le soleil avait repris ses droits. Les lieux n’avaient malheureusement plus rien à voir avec le camp de fouilles joyeux et festif. Ils avaient tout de la zone de guerre. Jeeps, 4×4, ambulances, pompiers, camionnettes de journalistes, hélicoptères, sirènes stridentes… Cela tournait, criait et courait dans tous les sens. Exténuée et tremblante, Claire cherchait le réconfort de sa tente et n’aspirait qu’à se lover dans son duvet pour pleurer. Mais dans le champ d’igloos multicolores, elle ne parvenait plus à retrouver son antre. Elle était à bout de force. L’herbe grasse s’offrait à elle, elle s’y étala de tout son long.

 

Philippe

Il n’avait pas bien compris ce qui avait déclenché ce cataclysme. Ni pourquoi on lui avait permis de rester sur le site et de s’y balader sans être inquiété. Encore que… Une enquête était ouverte, nombre de ses étudiants avaient « été invité » à ne pas quitter les lieux, tous leurs moyens de communication avaient été confisqués et il s’attendait à être cuisiné sérieusement lorsque son tour viendrait.

Etouffer l’affaire ne serait pas facile. La cyber police allait devoir s’en mêler. Que lui proposera-t-on pour son silence ? Abattu, il errait dans les décombres de sa cathédrale, de son graal réduit à néant. Une civilisation complète anéantie, pas un survivant, pratiquement rien pour témoigner de cette culture inconnue. Tout ça à cause de qui ? A cause de quoi ?

Quel gâchis ! Des têtes tomberaient, il n’en doutait pas. Mais rien ne pourrait rattraper cette tragédie.

Assis au pied de ce qui avait dû être un autel, Philippe foula le sol du pied. Ils n’avaient même pas encore fait le « ménage ». Seuls les corps avaient été photographiés, puis emportés vers quelque destination secrète. Maîtriser l’information était leur premier souci. Plus tard viendraient les experts et autres scientifiques.

D’un tas de poudre de falun émergea le fameux téléphone de Claire. Il clignotait toujours, petite merveille de technologie. Pourquoi avait-il fallu qu’il se mette à sonner dans un moment aussi critique ?

Philippe le ramassa et pressa le bouton de mise en marche. Le mobile s’illumina joyeusement. Sur l’écran fendu, on pouvait lire :

Notification !

Karl Rugbuch vous invite à devenir son ami sur le Réso’…

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