Challenge d’écriture n°44 – Rob-Jotüh


Rob-Jotüh
10.3/20 ?????
7ème

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Les Glaces Eternelles

Le troll s’acharnait. L’être devant lui était sur son territoire ! Pour cela, il devait mourir ! Mais la créature ne comprenait pas pourquoi elle n’arrivait pas à atteindre son ennemi. A chacun de ses assauts, elle ressentait une vive douleur. Cependant les trolls des glaces sont connus pour leur opiniâtreté ! Il continua, cherchant désespérément à enfoncer les défenses d’acier devant lui.

Malheureusement pour lui, l’humain n’en était pas à son premier combat. Hache dans une main et épée longue dans l’autre, il opposait une farouche résistance. Las ! Il tenta une offensive osée : foncer droit sur le monstre de poils blancs, armé de griffes noires, de dents ivoirines pointues. Il le percuta violemment, le renversant, le faisant rouler sur l’immensité enneigée.

L’humain courut alors et profita que le troll, sonné, mît trop de temps à se relever, pour le transpercer de part en part de son épée, libérant un sang vermillon qui fit fondre la neige immaculée.

Le troll hurla de rage, de douleur et de peur, avant d’expirer.

Arvitus souffla. Il n’était jamais simple d’affronter un troll des glaces. Il rengaina ses armes et se laissa tomber sur les genoux, histoire de récupérer. Ses mains gantées s’enfoncèrent dans la neige et portèrent cette dernière à sa bouche. Il avait soif, et malgré le froid ambiant, sa gorge brûlait des efforts fournis.
Tout en mangeant la neige, il s’attarda sur le visage de la créature. Comme celui de tous les trolls de glace, son regard restait particulièrement troublant. Ses traits simiesques et velus s’effaçaient devant deux iris d’un bleu azur, si perçants, presqu’incroyablement humains, deux iris qui fixaient à présent le ciel de la même couleur.

Une légende affirme qu’autrefois les trolls des glaces étaient des hommes ayant courroucé le Quinotaure, le Dieu suprême de Kelangal, le Maître de l’Eau sous toutes ses formes, et qu’il les aurait ainsi transformés, punis, bannis à jamais des terres fertiles et exilés de force sur la Mer des Neiges.

Arvitus soupira de dépit.
Trois semaines. Trois semaines qu’il traversait cette satanée Mer. Une étendue blanche, froide, glaciale et morbide. Une immensité qui, chaque année, grignotait toujours un peu plus les terres du Sud et celle du Royaume de Kelangal.

Cette plaine maudite était fuie des hommes. Bien que peuplée d’ours blancs, de phoques à oreilles blanches, de trolls des glaces et tant d’autres créatures, rares étaient les hommes qui s’y hasardaient.
Mais Arvitus devait continuer vers le Nord, car tel était son devoir. Il fallait donc encore affronter les blizzards, les trous sous la neige, les mouvements de glace, les attaques des calvormes et tous les autres obstacles que le Domaine Blanc imposait à chaque humain trop intrépide.

Car son souverain, le puissant Clodion, le lui avait ordonné. Et comme Arvitus ne jouissait plus de la confiance du Roi, il espérait réussir sa mission et retrouver ainsi les faveurs de son seigneur.

Alors, malgré la blancheur du paysage qui lui brûlait les yeux, malgré le vent qui lacérait son visage de morsures glacées et violentes, malgré les attaques des trolls et autres monstres, il devait continuer.

Mais à peine avait-il avancé d’une lieue qu’un nouveau danger apparut.

La neige bougea. Il savait ce que cela signifiait. C’est pas vrai ! Encore ! maugréa-t-il intérieurement.
Il posa son paquetage et ne s’arma que de sa hache à lames doubles. La bosse sous la neige s’allongea et s’étendit avec célérité en sa direction.

Juste avant qu’elle ne l’atteigne, il se déplaça sur sa droite. La neige s’ouvrit alors sur une sorte de trou hérissé de dents bleues comme la glace. Un sifflement glaçant en sortit. Puis, un être tubulaire jaillit de la Mer des Neiges.
Un calvorme. Un ver géant à la peau visqueuse et quasi-translucide, vivant dans la froideur de la neige, attaquant çà et là les êtres qui avaient le malheur de croiser sa route.

Arvitus frappa un premier coup de sa hache, le blessant sous l’abjecte bouche. Ce n’était pas le premier qu’il affrontait. Il savait donc qu’une épée longue pouvait être enfermée dans la gueule cylindrique sans blesser le ver et que celui-ci, vu sa force, n’aurait aucun mal à le désarmer.

En revanche, la hache aux larges tranchants empêchait toute emprise de la part du monstre et lui élargirait encore plus son sourire ovoïdal.
L’ennemi était rapide. Le ver frappait de ses crocs bleus comme des stalactites de glace pointus. Tel un serpent, il balançait sa tête hideuse et ridée, avec rapidité, cherchant à attraper un bras, une jambe ou tout autre membre de l’humain afin de le dévorer vivant. Mais Arvitus l’évitait avec aisance, lui assénant ici un coup de manche, là, un tranchant de hache, là encore, un puissant coup de pied.

Ce n’était pas la première fois qu’il affrontait un calvorme. Aussi parvint-il rapidement à décapiter la créature dans une gerbe de liquide bleu faisant office de sang. Mais le monstre n’était pas mort. La tête bougeait toujours, hargneuse et bavante, recouverte d’un mucus bleuâtre. Déjà, la plaie de la créature s’activait à se refermer. Et le calvorme sans corps s’efforçait de s’approcher du guerrier du mieux qu’il le put.

Si Arvitus eût été un novice, il aurait certainement abandonné la créature dans la neige, certain de sa mort prochaine. Mais en agissant ainsi, celle-ci aurait la capacité de se régénérer entièrement en quelques heures seulement. Et par la suite, elle s’acharnerait à le retrouver, car ces bêtes-là sont têtues ! Elles poursuivent leur proie sans relâche jusqu’à leur capture… ou jusqu’à leur propre mort.

Aussi, Arvitus chercha quelque chose dans son paquetage – il en avait le temps car, pourvu de sa seule tête, le calvorme avançait avec lenteur. Il sortit un briquet, une sorte de rectangle gros comme le poing, fait en fer blanc. Il le tendit en direction du ver et le frotta avec insistance. Le génie du feu qui y vivait fut réchauffé et, quand il jugea les frottements agréables, fit sortir du briquet une gerbe de flammes qui se déversa sur le monstre des neiges, non seulement sur la tête, mais aussi sur le reste du corps – on n’est jamais trop prudent.

Le monstre s’embrasa comme un fétu de paille, poussa un intense sifflement glaçant. L’humain supporta avec peine le bruit strident, mais il tint bon. Et le calvorme finit par succomber aux flammes.

Arvitus soupira. Ce devait être le quinzième monstre de ce genre qu’il avait affronté. Ajoutez à cela quatre trolls des glaces, trois ours, cinq vouivres blanches et neuf morses. Et que dire des pièges que l’étendue immaculée tendait à son encontre ?
Le troisième jour après son entrée sur la Mer des Neiges, il tomba dans un trou que la neige avait recouvert – heureusement peu profond. Le lendemain, un craquement sous ses pieds l’avertit qu’il était sur de la glace, et que celle-ci allait céder. Il ne dut son salut qu’à des réflexes exceptionnels et à la chance. Ces scénarii se répétèrent trois ou quatre fois. Et n’oublions pas ce puissant blizzard qui l’empêcha d’avancer, et ce pendant quatre journées. Lorsqu’il cessa, sa tente en peau de renne et d’ours était recouverte d’une couche de neige d’une telle épaisseur qu’il crut même ne jamais pouvoir en sortir.

Non. Il n’était pas aisé de traverser le Domaine Blanc. Il éprouvait à la fois les muscles et les nerfs, car le froid était tel qu’il engourdissait l’esprit. Il espérait sincèrement que toutes ces épreuves en valaient la peine et qu’il saurait retrouver son statut d’autrefois, quand Clodion le considérait comme son meilleur combattant, son meilleur capitaine, son meilleur confident.
Il soupira une seconde fois et jeta un nouveau coup d’œil sur les restes du calvorme. Il remercia le génie du feu d’une caresse et fit disparaître le briquet dans son paquetage.
Le soleil était au Zénith. Il était temps pour lui de manger. Arvitus avait encore besoin de trois jours de marche pour atteindre son objectif : le Palais des Glaces. Enfin, s’il ne s’était pas égaré…

***

Enfin ! Après cette intense marche dans le froid mordant, après tous les combats menés contre les créatures du Nord, après les obstacles contournés et les pièges évités que la Mer des Neiges tendait, enfin !, il touchait au but !

Exténué, les jambes tremblantes, il s’agenouilla de fatigue et de soulagement, car devant lui s’élevaient des murs de glace sous une toiture enneigée, un iceberg dans la Mer, taillé et creusé par une puissance ancienne, refuge des naufragés du Domaine Blanc et demeure des sages Barbes Froides : le Palais des Glaces.

Arvitus se mit à rire de joie, ses yeux luisirent de larmes étincelantes, reflétant la lumière d’un soleil froid, avant de se cristalliser aussitôt.

Il était éprouvé, physiquement et moralement. Les trois derniers jours ne furent pas de tout repos, car il dut affronter pêle-mêle des ours, des trolls, des calvormes, bien plus que pendant la totalité de son voyage.

Et sincèrement, il espérait que la mission qu’il avait à remplir en valait la peine ! Car c’était là le problème : il l’ignorait !

Clodion, le puissant souverain de Kelangal, lui avait ordonné de partir jusqu’au Palais des Glaces. Il lui donna une lettre cachetée qu’il ne devait ouvrir que lorsqu’il serait devant le bâtiment-iceberg.

Toujours à genoux, il laissa tomber son paquetage et, d’un geste las, le fouilla. Après quelques secondes, il en ressortit la lettre et l’ouvrit. Le cachet sauta. Il déplia le parchemin et lut à haute voix :
— Demandez à recevoir les Glaces Eternelles.

Les Glaces Eternelles ? Il n’en avait jamais entendu parler. Ce devait certainement être une substance précieuse, magique, divine même ! Après tous ces dangers, elles ne pouvaient qu’être exceptionnelles !

Une fois reposé, il se leva et marcha en direction du Palais des Glaces.

Mais le Quinotaure ne voulait pas qu’il y entrât.

Devant lui, un homme de fine stature, portant un manteau noir qui le recouvrait entièrement, sa tête protégée par une capuche, avançait vers l’Est. Il aperçut Arvitus et l’attendit.

Le guerrier arriva vers lui, les yeux plissés par les reflets du soleil sur la neige. Il remarqua que l’encapuchonné portait une barbe blanche. Celui-ci lui dit, d’une voix de vieillard, alors que son visage était celui d’un quadragénaire :
— Tu es bien loin de chez toi, étranger. Que fais-tu ici ?
— Je viens voir les Barbes Froides.
— Je suis l’un d’eux, affirma l’encapuchonné.
Surpris et impressionné, Arvitus ne répondit pas.
— Et bien ? s’impatienta son interlocuteur.
— Mille excuses, grand sage. Mais on m’a toujours dit que les Barbes Froides étaient des êtres vieux de plusieurs vies d’homme ! fit Arvitus avec respect.
— Et bien on ne t’a pas menti. J’ai plusieurs siècles de vie, répondit le sage sans s’émouvoir. J’espère que tu n’as pas fait tout ce chemin pour me dire ceci !
— Non, non ! fit Arvitus en s’agenouillant. Je suis au service du puissant Clodion, Roi…
— Je me moque de ce que tu fais dans la vie, le coupa le Barbe Froide. Je t’ai demandé pourquoi tu étais ici.
Comme un enfant grondé, Arvitus fixa de ses yeux le sol enneigé. Il lui dit alors :
— Pardon. Je suis ici pour recevoir les Glaces Eternelles.

Le sage, de sa hauteur, le toisa sans rien dire. Arvitus osa lever la tête mais la baissa aussitôt. Pour une raison qu’il ignorât il se sentit…
— Ridicule…
— Pardon ? demanda Arvitus au sage qui venait de parler.
— Tout ce voyage pour cela ? fit en riant le Barbe.
— Je ne comprends pas… avoua le guerrier, perdu et un peu inquiet.
— Les voici, tes Glaces Eternelles, celles qui ne fondent jamais. Tends tes mains.

Sans chercher plus loin, Arvitus obéit. Le sage fit alors apparaître par un simple claquement de doigts un coffret en pierre qui tomba dans les mains du guerrier. Puis, le Barbe Froide lui tourna le dos et partit en clamant :
— Tes Glaces sont dedans. Maintenant, pars ! Le voyage de retour est encore long !

D’ordinaire, Arvitus aurait réagi avec colère, lui qui espérait un peu de repos avant de retourner auprès de son souverain. Mais sans savoir pourquoi, il obéit et se détourna du Palais des Glaces, s’en allant affronter, à nouveau, les dangers de la Mer des Neiges.

***

Le retour lui prit une semaine de plus que l’aller et avait même été plus éreintant : cinq trolls, vingt-et-un calvormes, quatre ours, cinq vouivres blanches et trois morses, dix-sept craquements de glaces, sept jours d’immobilité due au blizzard et vingt trous sous la neige.

Arvitus était moralement et physiquement vidé, à tel point que les gardes du Palais royal faillirent ne pas le reconnaître. Car c’était tout dépenaillé et affaibli qu’il se présenta devant son souverain.

Clodion, assis sur son trône en chêne sculpté, le dossier s’élevant d’un pied au-dessus de sa tête et se terminant par une représentation d’une hache à deux lames, était un homme d’âge mur à la longue chevelure grisonnante. Resplendissant dans ses habits noirs et or, il lisait tranquillement une missive concernant les affaires courantes du Royaume de Kelangal.

Arvitus s’agenouilla et dit, la tête baissée entre ses deux bras tendus, le coffret de pierre en offrande :
— Mon Souverain, voici les Glaces Eternelles que vous m’avez fait quérir.
— Ah ! Mon cher Arv… Tudieu ! quel dégaine ! Vous auriez pu prendre le temps de vous changer avant de vous présenter à moi ! lui reprocha le monarque.
— Mille excuses, votre Majesté, mais j’ai préféré venir vous rapporter le fruit de mon succès immédiatement. Vous m’aviez demandé de vous rapporter les Glaces Eternelles, les voici ! ajouta le guerrier en levant la tête vers son Roi.

Il ouvrit le coffret. Une lumière bleue s’en échappa aveuglant Clodion le Magnifique. Puis, quand ses yeux s’habituèrent à la lumière, ce dernier put voir les Glaces Eternelles, pilées en de petits cailloux d’eau pure gelée. Il sourit alors.
— Merci, Arvitus ! fit Clodion en prenant le coffret. Le guerrier baissa la tête avec respect, souriant, convaincu qu’il allait retrouver les faveurs du monarque.

Mais, à sa grande surprise, le Roi lui redonna le coffret et dit d’une voix distraite :
— Donnez les au Maître des Cuisines. Tout doit être prêt pour recevoir l’émissaire de l’Empire Nomade, ce soir. A ce propos, on peut dire que vous rentrez à pic ! Sans vous, la réception n’aurait pas été parfaite, et elle nous évitera à coup sûr une guerre que nous ne saurions gagner.
Clodion s’assit à nouveau sur son trône et reprit la lecture de sa missive.
— Je… Je ne comprends pas… soufflèrent les lèvres d’un Arvitus dépité.
— Mon cher, avec ces glaces et grâce à vous, reprit Clodion sans quitter les yeux de son parchemin, nous allons enfin pouvoir boire de bons verres de pastis bien glacés ! Ce que ne manquera pas de remarquer l’émissaire !
Le Roi releva la tête et dit :
— Allons, ne faites point cette tête ! Vous rendez-vous compte que vous avez peut-être sauvé le Royaume ?
Arvitus restait coi, incapable de prononcer une seule parole. Toute cette dangereuse traversée pour de vulgaires glaçons apéritifs ?

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