Challenge d’écriture n°39 – Skritt


Skritt
9.6/20 ?????
5ème

? Les commentaires


Le fort surplombe la vallée à l’est, encaissée entre des pics abrupts au nord et au sud, la forêt épaisse et dense à l’ouest, il a une position idéale pour protéger la frontière. Du haut de ses murailles vertigineuses, les soldats entament leur ronde sereinement. D’un côté, la nature brute et impassible, de l’autre la civilisation où l’homme excelle dans les arts et les sciences.

Les barbares ont bien sûr plusieurs fois tenté de passer le col mais sans succès. La forteresse est imprenable. Sa position lui donne un avantage immense sur les armées ennemies qui souhaitent s’emparer des richesses de l’empire qu’elle protège.

Jason se trouve sur le chemin de ronde, derrière les créneaux imposants et protecteurs. Une courte épée dans le fourreau, un arc en bandoulière, quelques flèches dans son carquois qui repose le long de sa cuisse, il discute avec son partenaire tout en marchant tranquillement. Qui voudrait s’attaquer à l’empire, et de nuit de surcroît. Ils parlent de la vie chez eux, de souvenirs d’enfance, des filles qu’ils ont rencontrées et aussi de l’ennemi qui se terre en bas. A la recrue pour le service militaire, la question était « que voulez-vous faire pendant les deux prochaines années ? », Jason avait répondu « Voir du pays ! ». Ils l’ont donc envoyé à l’autre bout de l’empire pour qu’il voie du pays. D’une belle cité portuaire au climat agréable, il se retrouve aux confins des régions civilisées, dans le froid mordant de la brise, à plusieurs lieues de la première taverne.

Depuis quelques jours, des tentes ont été installées dans la vallée, quelques dizaines tout au plus. Les éclaireurs ont rapporté que l’armée ne représentait à peine moins qu’une petite garnison, composée d’hommes armés d’épées et de gourdins, sans machine de siège. Un fétu de paille qui viendra s’écraser de lui-même sur les murs d’enceinte avant de refluer vers la forêt qui les engloutira jusqu’à leur prochaine excursion. Le capitaine, fort de ses années d’expérience, n’a même pas souhaité doubler la patrouille, sachant par avance que l’attaque se déroulera vers la fin de la matinée pour finalement s’étioler en début d’après-midi. Quelques salves de flèches, de la poix bouillante, et la menace se retrouvera éradiquer.

 * * *

 Depuis deux jours que les hommes attendent dans la forêt. Les quelques tentes montées dans la vallée nous permettront peut-être de réaliser un exploit. Mon père, mon grand-père, ont tenté de prendre cette place forte, mais aucun n’y ait parvenu. Aujourd’hui, je sens mon jour arrivé. Il suffit parfois d’écouter les conseillers et d’éviter de foncer tête baisser. Je les ai écouté, j’en ai repoussé certains, j’en ai accepté d’autres. L’heure de gloire est proche.

Dans un premier temps, j’ai laissé quelques centaines de guerriers s’installer. Les tentes ont été placés l’une derrière l’autre à partir de l’orée de la forêt sur quelques toises jusqu’au chemin qui grimpe jusqu’au col. Le reste des troupes attendent avec moi, aucun feu, aucun bruit, la nourriture est froide, l’humeur maussade. Les heures paraissent interminables. La nuit vient de tomber, encore une heure et nous pourrons avancer.

 * * *

 Que les nuits paraissent longues sur le chemin de ronde. La plupart des soldats se sont assis contre la pierre pour discuter et beaucoup se sont déjà assoupis. Jason n’entend plus que chuchotements et ronflements. Il aurait aimé se trouver ailleurs, dans une petite garnison d’une ville. Boire dans les tavernes, séduire des filles, s’amuser comme tous les garçons de son âge. Mais ce n’est pas en ville qu’il pourrait admirer la voûte céleste et ses milliers d’étoiles qui clignotent.

 * * *

 La nuit sans lune est presque noire, il faudra avancer dans le calme le plus pesant. Nous nous déployons entre les tentes jusqu’au chemin qui monte. Une marée de guerriers, aux boucliers peints en noir tenus au-dessus de leur tête, l’épée cachée dans son fourreau, s’étale. Seuls nos yeux brillent, notre visage est noir comme le charbon que nous nous sommes passés quelques temps plus tôt. Les échelles, les grappins et les béliers, protégés, arrivent plus lentement.

Une heure plus tard, les troupes sont prêtes à gravir le col, dans cet ordre. Une partie des hommes se trouvent encore dans la forêt.

Ordre et discipline sont les maîtres mots de mon armée. En première ligne, devant les quatre colonnes, j’ordonne l’ascension, en silence. Deux heures de marche dans le noir. Ils sont avertis. Le premier qui parle se fera trancher la langue. Je n’aime pas faire ce genre de choses mais les punitions pour le bon maintien de l’ordre sont nécessaires. Il y a quelques semaines, j’ai dû poignarder un homme valeureux qui rechignait pourtant à s’entraîner. La sentence est tombée. Alors que deux gaillards le tenaient, je lui ai planté une lame dans le cœur, pour le simple prétexte qu’il n’en mettait pas justement.

Je sais être dur avec mes hommes, mais ils savent que je suis bon avec eux. Lors de notre avancée, je les laisse piller et violer jusqu’à plus soif, ou jusqu’à ce qu’ils soient à sec. Mais j’exige d’eux en contrepartie obéissance ainsi que la plus indéfectible des loyautés.

 * * *

 Un cor résonne, fort et long. A quelques toises seulement. Jason s’assoupissait déjà, mais rapidement il se retrouve camper sur pieds. Il cherche dans l’obscurité au delà des remparts, dans la plaine, mais ce qu’il voit le laisse pantois.

 * * *

 C’est le signal, les dernières troupes sont sorties du couvert des arbres de la forêt et sont en place. Je fais quelques pas puis me retourne face à mon armée. Je suis fier d’être là, devant eux. C’est un honneur pour moi de mener cette bataille qui sera historique. Je prends le cor qui pend à mon cou et souffle de toutes mes forces trois fois.

 * * *

 La plupart des soldats qui dorment ne se sont même par réveillés, mais les trois coups qui sonnent à nouveau, presque au pied des murailles est puissant. Plus aucun doute, nous sommes attaqués et nous étions en train de nous reposer sur nos lauriers en pensant que notre ennemi pourrait être aussi bête que ce le capitaine pouvait prétendre.

Quelques compagnons de fortune me rejoignent aux créneaux. Nous n’avons pas quelques centaines de guerriers sous nos yeux, mais des milliers et leurs cris de guerre est comme une tempête prête à nous balayer comme un fétu de paille.

Je me lance vers la cloche que je secoue énergiquement. Aux armes ! Aux armes !

 * * *

 La visibilité n’est pas bonne, mais nous sommes à ce niveau du moins, sur le même pied d’égalité que notre adversaire. Notre nombre et surtout l’effet de surprise sont notre force.

Nous courrons vers le pied de la muraille et déjà les premières échelles se dressent pour se poser dans un bruit de bois qui craque contre les murs. Les grappins sont lancés. Dans quelques minutes, le bélier sera sur les portes.

Il a été difficile de les contenir jusqu’à aujourd’hui, mais maintenant, ils lâchent toute leur frustration, leur haine, et leur envie de découdre n’en est que plus grande.

 * * *

 Le capitaine arrive enfin, les attaches de son plastron pendent mollement, l’air hébété. Je lui explique la situation, lui expliquant ce que j’ai organisé avec les quelques archers disponibles. D’un ordre, il nous ordonne de tirer des flèches enflammées. Les cordes se tendent et se détendent dans une harmonie disgracieuse. Ce tir nous permet d’évaluer l’étendue de leurs forces, mais c’est une mauvaise idée. Les flèches décrivent un arc de cercle parfait pour retomber au milieu d’une marée humaine. Le capitaine retourne dans sa cellule d’où, je l’espère, il procédera à un ordre de bataille.

Les archers sur les remparts ont une cadence infernale, mais leurs cibles sont bien trop sombres dans la nuit pour qu’ils puissent faire mouche à chaque fois.

Et déjà, les premiers envahisseurs posent les pieds sur la muraille.

 * * *

 Il s’agit de tenir maintenant. La surprise étant passée, je ne compte plus que sur notre surnombre. Comme exemple pour mes hommes, je grimpe les barreaux d’une échelle.

 * * *

 Les arcs ne nous sont plus d’aucune utilité maintenant que nous sommes dans la mêlée. J’essaye de remonter le moral de mes compagnons qui essaient pour la plupart de fuir. Mais nous devons tenir. Les archers dans les tourelles arrosent l’ennemi, toujours plus nombreux.

Rapidement, je suis obligé de me replier. Le combat fait rage, les cris des mourants, le choc de l’acier contre les os résonne dans mes oreilles comme autant de notes discordantes. J’ai peur et pourtant je suis toujours là, à me battre pour ma patrie.

 * * *

 Maintenant que nous commençons à prendre la place, les combats nous paraissent plus faciles, aux lueurs des torches. Les défenseurs tombent comme des mouches. Un de mes lieutenants m’annonce que certains étaient encore dans leur couche à rêver de leur mère.

 * * *

 J’ai le bras, à force de manier l’épée, qui est lourd, les muscles tétanisés. Je me sens fatigué, la fin approche.

 * * *

 Toutes les poches de résistance ont été… exterminées, sauf une. Un beau diable qui se bat bien. Je vais donner l’ordre de se replier pour lui laisser la vie sauve. Il faut qu’il aille raconter et semer les graines de la peur, parce que nous arrivons.

Mon chéri, mon chéri…

Ces barbares sont toujours aussi nombreux, mais je crois qu’ils se défilent.

Mon chéri, nous sommes arrivés, réveille-toi…

 Oh Maman, j’étais en train de rêver du château. Dis-moi, on pourra y retourner la semaine prochaine…

 Pas la semaine prochaine mais une autre fois, oui, ça t’a plu ?

 Oui, je rêvais de la guerre et du soldat dans la château, il était très courageux.

 Allez, sors de la voiture, et à la douche. Je t’appelle pour manger.

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