Challenge d’écriture n°39 – Atorgael


Atorgael
12.4/20 ?????
4ème

? Les commentaires


Le chemin des Sardaghis

« Que pensez-vous de tout cela Loghaf-brâs ? »

Encore peu habitué à son titre de chef de la confrérie des Épées rouges, Loghaf ne répondit pas immédiatement et prolongea son silence pour réfléchir à la situation.

« J’en dis que j’ai le sentiment d’être un animal qu’on emmène se faire équarrir. »

Les hommes rassemblés autour de lui approuvèrent sans mot dire. Tous étaient parfaitement conscients de la situation et la question que venait de poser Borf, le second de la confrérie, taraudait les esprits depuis déjà quelques jours.

« Mais, poursuivit Loghaf, je ne suis pas un animal, nous ne sommes pas des bêtes de somme dont on se débarrasse une fois le travail accompli. Vous me connaissez tous comme je vous connais et je me doute de ce que vous pouvez penser. Je peux vous assurer que je ne vais pas laisser les Rathis disposer ainsi de nous. Et s’il nous faut rejoindre les Sardaghis, qu’il en soit ainsi. »

Loghaf s’interrompit un instant et regarda le visage de chacun de ses hommes. La lueur de la petite flambée dans la cheminée ne permettait pas de distinguer tous les traits des visages, mais Loghaf savait reconnaitre les signes de nervosité ou d’assentiment de ses hommes rien qu’à leurs façons de se tenir. Tous savaient qu’ils n’avaient le choix qu’entre quitter Loghaf et la confrérie en faisant allégeance à la cité de Shahar-Rathad, ou bien tenter leur chance sur les routes, restant ainsi fidèles à la confrérie et au serment qu’ils avaient tous prêté en la rejoignant.
La décision qu’ils s’apprêtaient à prendre allait leur donner la possibilité de vivre libres mais pourchassés par les cités et les Bardaghis ou bien servir et être à la botte de la cité pour en assurer la protection et celle des caravanes commerciales.
Loghaf, pour son cas personnel, n’avait pas un tel choix, son influence au sein de la garde de Shahar-Rathad commençait à faire de l’ombre à quelques commerçants et adeptes, certains militaires voyaient également d’un mauvais œil un étranger prendre le pas sur leurs prérogatives.

« Demain, je pars. » Conclut-il.

Les uns après les autres, tous ses hommes hochèrent la tête, confirmant qu’ils suivraient leur chef dans son aventure. La confrérie allait perdurer.
En attendant, chacun regagna son couchage dans la grande salle mise à leur disposition par la cité.

Loghaf était fier de ses hommes, bien que se doutant qu’aucun d’entre eux n’allait le laisser partir seul, les voir affirmer leur solidarité lui avait fait chaud au cœur. Les prochains jours allaient être périlleux, jusqu’à ce qu’ils se soient suffisamment éloignés de la cité ou qu’ils aient rejoint une place-forte tenue par des Sardaghis, leurs vies seraient en danger. Mais, même une fois à destination, leur destin pourrait tourner court et rencontrer une fin rapide et funeste, tout comme il pourrait se révéler être un nouveau chemin de liberté. Le pari était osé mais les hommes de la confrérie semblaient vouloir le tenter.

Les Sardaghis étaient considérés comme les parias de ce monde et s’y accoquiner revenait à céder son âme aux bêtes des Abysses. Mais quelle liberté avaient-ils au sein des cités où jamais ils ne seraient considérés comme de vrais membres de la communauté, toujours suspectés et mis à l’écart des affaires publiques ? Leurs confrères Bardaghis qui se faisaient, eux, un devoir de respecter l’ordre et la loi des cités, avaient plus de droits que certains des citoyens qu’ils protégeaient.

Loghaf et ses hommes avaient soif de liberté et de mouvement, venus de cités différentes, ces hommes avaient en commun cette volonté de ne pas voir leurs vies dirigées par d’autres qui ne soient pas aussi méritants que le brâs, le chef élu de l’unité. Alors quitte à choisir un chemin, autant choisir celui qui, bien que risqué, leur apporterait le plus de latitude quant à leurs choix. Les Sardaghis pouvaient être ce chemin. Et dire que l’origine de tout ça n’était due qu’à leur refus d’intégrer la Confrérie des Épées Rouges aux unités titulaires des Bardaghis de Shahar-Rathad.

La question avait été mise à la discussion comme toute décision impliquant l’ensemble des hommes et le vote unanime de rester indépendants des Bardaghis avait fortement déplu au capitaine Miral, commandant de la garnison de ces soldats d’élite. Les relations s’étaient dégradées et les provocations multipliées sans que jamais les hommes des Épées Rouge n’y répondent. La dernière provocation avait été de les envoyer en patrouille le long de la faille où des activités suspectes avaient été repérées. Chacun savait que ces activités étaient très certainement l’œuvre d’une unité de Sardaghis venue tester les défenses de Shahar-Rathad, nul doute qu’une belle embuscade attendait les troupes qui y seraient envoyées.

***

Au petit matin, les hommes de la confrérie se préparèrent pour la mission sans rien changer à leurs habitudes. Ils prirent cependant autant de provisions que possible, bien plus que pour les quatre jours supposés de la patrouille. Les quarante hommes franchirent les portes de Shahar-Rathad en milieu de matinée, essuyant au passage quelques moqueries supplémentaires des Bardaghis de garde. Accompagnés de deux mulets, ils prirent la direction de la faille. Ils devaient la longer sur son côté sud pour en déloger toute bande de pillard qu’ils rencontreraient.

Le campement du premier soir fut dressé sur une petite proéminence du terrain d’où ils pouvaient encore voir la lumière du feu trônant sur le toit du palais gouvernemental. La petite flambée de leur campement était également visible depuis la cité, suffisamment alimentée, elle avait pour objectif de rassurer les observateurs Bardaghis et confirmer à leur commandant que la confrérie suivait bien ses ordres. Ce que ne pouvaient pas voir ces observateurs par contre, c’est qu’autour de ces feux, il n’y avait pas quarante hommes en train de se reposer, mais un seul et unique : Abim le vétéran à l’œil vif mais aux os perclus de rhumatismes. Abim était resté en arrière pour donner le change, bien conscient qu’il ne pouvait accomplir le chemin que ses compagnons avaient déjà entamé. Loghaf et ses hommes étaient partis plein sud en direction des montagnes de Namir à la faveur de l’obscurité afin de mettre le plus de distance avec la cité le plus rapidement possible.

Trois jours plus tard, les hommes de la confrérie n’avaient pas atteint les montagnes qu’une unité montée de Bardaghis leur tomba dessus. Préparés à cette confrontation, les hommes de Loghaf renversèrent leurs assaillants en scandant le nom d’Abim, les combats furent d’autant plus violents que ces hommes vidèrent leurs frustrations des brimades et moqueries supportées à Shahar-Rathad. Quatre hommes ne se relevèrent pas et cinq autres grièvement blessés furent incapables de reprendre la route. Des Bardaghis, aucun ne retourna à la cité.

Ce ne furent pas les seules pertes pour la confrérie. D’autres restèrent sur le bord du chemin, victimes de leurs blessures et de l’épuisement. Quand ils atteignirent les premiers contreforts de la montagne, la troupe s’accorda enfin une halte prolongée sur une partie de terrain facilement défendable en cas de nouvelle tentative pour les arrêter. Des quarante hommes partis, il n’en restait plus que vingt-cinq capables de continuer le périple. Harassés, la volonté des hommes n’était pas affectée, mais elle fut mise à rude épreuve dans les heures qui suivirent leur arrivée.

Cela commença par un homme porté manquant à l’appel du lendemain, Cetin, qui avait pris le dernier tour de garde, ne fut pas retrouvé à son poste ni ailleurs. Le soir même, des feulements sinistres empêchèrent les hommes de trouver le sommeil et, au matin, il manquait Hikan sans que personne ne puisse dire quand il avait disparu. Loghaf décida de repartir au plus vite de cet endroit maudit et à la mi-journée, la confrérie reprit la route.

Malgré leur envie de continuer le plus longtemps possible, le terrain accidenté leur imposa une halte dès la tombée de la nuit. La bête qui les traquait et s’amusait avec eux les avait suivis et ils finirent par la voir. Le prédateur avait été une fière panthère des montagnes mais la malédiction des Dieux avait transformé le noble animal en une abomination de chairs corrompues et de crocs démesurés : une bête des Abysses.

L’animal attaqua sans préavis, la bestialité dans ses yeux ne laissa pas de doute quant à l’affrontement, il serait sans merci. Les hommes recommandèrent leurs âmes à Saoghal et se jetèrent dans la bataille. Comme il s’était attendu à une telle confrontation, Loghaf avait disposé ses hommes en bon ordre pour soutenir la furie de la bête. Le premier rang armé de piques longues comme un homme et demi tinrent l’animal à distance, permettant aux archers de placer quelques tirs. Mais les armes et les coups portés ne semblaient pas blesser le monstre, ce ne fut que lorsque Loghaf lança la charge à la tête des vétérans que l’espoir naquit chez les Épées rouges. Les lames de Maendu, ce minéral plus résistant que l’acier et issu des profondeurs de la terre, infligèrent les premières blessures graves à la bête des Abysses. Elle recula pour s’éloigner du danger mortel que représentaient les lames mais Loghaf poussa son avantage et finit par acculer leur adversaire. La mise à mort fut rapide et sans esprit de vengeance.

Le lendemain, moins de vingt soldats poursuivirent le voyage.

***

Trente huit jours de marche dans les montagnes de Namir et le terrain finirent de prélever leurs dus; chutes, crevasses, maladies et éboulement diminuèrent encore la troupe à une douzaine d’éléments. Mais quand enfin l’objectif du voyage se révéla, aucun ne regretta avoir entreprit ce chemin.

La confrérie des Épées rouges arriva sur une série de plateaux ceints par de hautes montagnes infranchissables, le passage d’un plateau à un autre se faisant par des cols escarpés et dangereux. En débouchant sur le troisième plateau, les hommes de la confrérie ne poussèrent pas de cris de joie tant leur fatigue était grande, mais les sourires qui s’affichaient un à un sur les visages montraient bien toute la satisfaction d’être arrivés.

Fort Sirkewa se dressait face à eux. Monument improbable après des jours de marche sans voir une seule construction humaine, le fort étendait ses remparts pour interdire tout passage. Les bâtiments abrités derrières ces protections semblaient gravir les flancs de la montagne, vigiles immobiles scrutant toutes tentatives pour passer en territoire Sardaghis. Un chemin étrangement bien entretenu menait à la seule porte massive permettant de traverser les fortifications. La troupe l’emprunta et se dirigea vers le but de leur voyage.

Instinctivement, les hommes se rapprochèrent les uns des autres au fur et à mesure qu’ils avançaient vers ces murailles qui devenaient de plus en plus impressionnantes. Sur les chemins de rondes, des soldats étaient en position de tir, le destin de la confrérie allait se jouer ici et en cet instant délicat.

Les hommes qui les surveillaient étaient des combattants disciplinés et prêts à cribler leurs cibles au premier ordre, mais celui-ci ne vint pas. Au lieu de cela, la porte de la forteresse s’ouvrit en grand cédant le passage à un homme. Loghaf reconnu un adepte, un pratiquant de la magie. Sorti seul, l’homme n’affichait aucune crainte et encore moins de respect pour Loghaf et ses hommes. Ce dernier tenta de se présenter :

« Je suis Loghaf-brâs, command… »

Comme l’homme leva la main d’un geste brusque Loghaf se tut immédiatement. L’homme s’avança alors vers lui et le regarda droit dans les yeux. Loghaf ne sut reconnaitre sa cité d’origine et craint soudain d’être en face d’un Siyan. Il savait que les Sardaghis étaient en étroite relation avec eux, mais en voir un d’aussi prêt et être sondé par celui-ci était une expérience à laquelle Loghaf ne s’était pas préparée. Il lui sembla que son âme lui était arrachée pour être pesée, estimée. Sans qu’il s’en rende compte, le sondage avait cessé, le Siyan était passé à un autre membre de la troupe, il scruta ainsi chacun des hommes venus se présenter aux porte de fort Sirkewa. Quand il eut finit, il repartit sans un mot en direction du fort.

Loghaf ne savait pas trop quelle attitude tenir car les portes étaient restées ouvertes, mais avant qu’il ne décida d’entrer, un groupe de soldat sortirent, armes aux fourreaux avec un air plutôt engageant. Celui qui devait en être le chef s’adressa alors aux Épées rouges.

« Bienvenus à fort Sirkewa, vous avez subi de lourdes épreuves pour nous rejoindre, le chamane vous a jugé dignes de faire partie de notre communauté, alors soyez les bienvenus parmi les Sardaghis. Vos lames sont nos lames et ensemble nous allons œuvrer pour les Dieux. »

Loghaf et ses hommes se réjouirent alors ouvertement de la fin de leur voyage, se donnant de grandes bourrades dans la dos et serrant les mains de leurs nouveaux compagnons d’arme, ils étaient arrivé chez eux, ils étaient libres. Le prix de cette liberté portait cependant les noms de leurs camarades laissés en route et en leurs noms ils allaient maintenant entamer une nouvelle vie.

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