Challenge d’écriture n°33 – Texte n°3

Pierre A.

La porte des enfers

Concepts

Au commencement, les forces de la Terre, du Feu, de l’Eau et du Souffle Divin étaient réunis en une seule force. Le monde était pure énergie, la perfection était lumière et les créatures n’existaient pas encore.
Après cela, le désordre fit son apparition et l’Univers plongeât dans l’obscurité. Les forces se séparèrent et firent naître le Néant en leur milieu. Le Néant fût la nouvelle force du monde et tout ce qui existerait par la suite serait retenu prisonnier du Néant.
Le Néant engendra l’Univers qui engendra lui-même la matière et le temps. Le temps devint alors le maître de la matière et de l’Univers. Tout ce qui vivrait maintenant à la surface de la Terre serait soumis à la volonté du temps et retournerait vers le néant à la fin.
Avec le temps, la matière se concentra pour atteindre des densités colossales. De ces densités sont nées les étoiles et les constellations. Au milieu des constellations, un monde nouveau apparu. Ce monde fût nommé du même nom que la première des forces la “Terre“.
Ce fût le commencement de la Terre.
C’est alors que les dieux se manifestèrent et commencèrent à modifier les forces de vie et de mort sur toute la surface des mondes de l’univers. Les abymes, les enfers et les nirvanas devinrent peu à peu les demeures des morts. La terre était la demeure des vivants et il existait des frontières entre les mondes.
Une de ces frontières entre la terre et les enfers était située sur les rives du Styx et la terreur régnait sur ces lieux maudits.

Terreur

Le fleuve sombre serpentait dans une plaine entourée de parois de roches déchirées, meurtries par l’assaut des vents, des pluies acides et des décharges foudroyantes du ciel. Des créatures hideuses et redoutables, résultat de millénaires d’une évolution monstrueuse hantaient les lieux. Comment imaginer que cet endroit avait été paradisiaque avant l’union du géant Typhon et de la femme serpent Echidna.
Des boues pestilentielles stagnaient de part et d’autre des rives, au pied des murailles martyrisées. Le ciel strié de volutes jaunes et violettes qui vomissaient leur lot quotidien d’acide, cachait un astre lointain dont la lumière était pervertie. Quelques plantes survivaient dans une lente et infinie douleur en s’accrochant aux roches noires transpirant des larmes d’hydrocarbures qui tombaient dans le remous du fleuve en longues gouttes luisantes et visqueuses.
Plongeant dans la nuit d’une caverne géante, les eaux noires et polluées du Styx se jetaient dans un gouffre sans fond à quelques centaines de coudées de l’entrée monumentale.
Le fracas de la masse liquide violant éternellement les bords du gouffre était amplifié par l’enceinte de l’immense bouche hérissée de roches aux dents acérées, écumante de bave sombre. Les abords du fleuve se prolongeaient à l’intérieur de la caverne entourant le gouffre en s’enfonçant plus loin, et passait progressivement de la roche fracturée en un terrain plat terminé par une plage de sable jaune. Une arche de quartz translucide dispensait une lumière violette issue de réactions inconnues, de la matière qui se trouvait plus haut dans les entrailles de la montagne.
Une porte de pierre massive se trouvait au fond de la caverne tout au bout de la plage de sable jaune. Derrière, les rugissements du gouffre semblaient n’être plus qu’un souffle lointain. Dans l’air, froid et humide, flottait une odeur de cendres chargée d’effluves sulfurées. La porte massive, monolithique, noire comme du charbon ne reflétait aucune lumière, ou plutôt, on aurait dit que toute lumière était absorbée, anéantie éternellement par sa surface mâte. Elle semblait faire partie intégrante de la paroi rocheuse, et occupait précisément la place centrale du fond de la caverne. Le calme apparent du lieu n’était pas moins hostile que l’environnement extérieur de la caverne. Et pour tout être vivant, c’est l’intuition de la présence d’un grand danger que pouvaient susciter les différents éléments perceptibles. L’idée que tout pouvait prendre fin d’un instant à l’autre et que tout serait irréversible, le malaise, la peur, c’est ce qui exhalait de cet espace. Curieusement, même le bruit lointain du tumulte des eaux du Styx semblait se perdre brutalement à l’approche de la porte, si bien qu’une frontière étrange se manifestait, au-delà de laquelle, plus un son et plus de lumière n’étaient diffusés. Cette zone singulière semblait localisée au centre de la porte, mais même la perception de l’espace aurait été perturbée en un tel endroit. Rien de vivant n’aurait pu se trouver dans cette zone. La terreur était ici…
Car ici se trouvait la porte des enfers. Et nul ne pouvait revenir des enfers et de nouveau franchir la porte et la zone de néant pour revenir parmi les vivants. Il était là pour que cela n’arrive jamais.

Cerbère

Aller sans retour possible vers la plus terrifiante des dimensions du Néant, être exclu du monde des vivants, perdre le statut de mortel, et entrer dans le monde souterrain, c’était le sort de ceux qui étaient projetés au travers de la porte des enfers. Les distorsions du temps qui régnaient derrière la porte martyrisaient éternellement les âmes prisonnières perdues et dépouillées de leur corps. La porte et la zone singulière constituaient une barrière infranchissable aux appels à l’aide des damnés.
Un nuage de lumière blanche était en train de se former au dessus des roches situées en amont de l’aire de sable jaune. Une forme humaine sombre se matérialisa progressivement à l’intérieur du nuage de lumière jusqu’à devenir parfaitement identifiable. Après quelques instants d’immobilité silencieuse, l’étrange apparition fût le siège de pulsations qui ressemblaient à un battement de coeur. Le rythme des pulsations se faisait plus rapide et dans le même temps, la lumière se fit de plus en plus aveuglante. Soudain, comme si il voulait se purifier, le nuage de lumière intense vomit la forme humaine et se propulsa à la vitesse d’un éclair vers la sortie de la caverne. La masse sombre de la créature humaine fût projetée violemment sur le sol avec un bruit effrayant d’os brisés. Un flot de sang presque noir, bouillonnant de petites bulles se répandait comme un ruisseau sur la roche avant de se diviser en de multiples filets pour aller se mêler aux eaux empoisonnées du Styx qui se ruait furieusement vers les entrailles de la terre.
Après quelques fractions du temps qui s’écoulait sur ce sol maudit, la forme humaine commença à se mouvoir en poussant un râle de douleur. C’était un éphore. Cette créature avait servi les dieux et les avait déçus en projetant sur les héros de Mars, la défaite et la mort devant le défilé des portes chaudes.
L’éphore regardait de ses yeux rouges les alentours avec effroi. De sa bouche informe, gonflée, tuméfiée et mutilée par la lèpre s’échappait une substance visqueuse verdâtre mêlée de sang. Il regrettait amèrement le temps ou son pouvoir sur les hommes lui permettait de décider du sort des hilotes ou de celui des périéques. Ce temps était révolu et son ordre avait été dissout par un roi. Le temps de l’éphorat était passé. Déchu de son pouvoir, transformé en monstruosité hideuse rongée par la lèpre, il attendait la fin en rampant sur ce sol hostile. C’est alors que venant de la porte du fond de la caverne, une onde de choc projeta le corps de l’éphore au bord du précipice. Celui-ci, dans un sursaut de vie, s’agrippa de toutes les forces qui lui restaient aux roches tranchantes comme des couteaux qui bordaient le puits du Styx. Ce qu’il vit soudain le remplit d’effroi et d’espoir d’en finir vite avec cette vie.
Trois énormes gueules hérissées de crocs presque fluorescents brillaient aux dessous de trois paires d’yeux jaunes et piqués de noir. Trois têtes de molosse chacune aussi grosse que celles de deux taureaux réunies se balançaient au sommet d’un corps de quadrupède emplissant toute la hauteur de la caverne. Les trois têtes étaient entourées de cheveux étrangement épais gesticulants comme des vers de terre géants. Des serpents, c’était des serpents dont les yeux commençaient à s’ouvrir les uns après les autres. Les yeux des serpents, aux reflets argentés se focalisèrent immédiatement vers la créature qui gisait plus bas au bord du puits. Aussitôt la multitude de voies aux intonations à la fois masculines et féminines des serpents, crièrent de concert en direction de l’entrée de la caverne : « Ephore, voici ta dernière demeure ».
Des sifflements assourdissants suivirent et la bête colossale se mit en mouvement d’un pas puissant et véloce. Chacun de ses pas faisait trembler le sol. Des morceaux de roche qui se détachaient du haut de la caverne, tombaient sur lui et sur la créature désespérée qui tentait de fuir en rampant. Trois monstrueux rugissements accompagnèrent les sifflements des serpents. Un instant plus tard une des gueules lui arrachait un bras et des lambeaux de chairs et d’os volèrent sous l’énorme pression de la mâchoire surpuissante. L’éphore se trouva de nouveau projeté au dessus du sol et allait tomber dans le puits au moment ou la deuxième mâchoire attrapa son corps au vol. Dans un violant mouvement de balancier animé par la tête, le corps se disloqua de part et d’autre du puits. La troisième mâchoire arracha un morceau de chair qui pendait de celle du milieu. Les nasaux se fermaient et s’ouvraient projetant dans l’air des postillons de sang et de matière translucide visqueuse, se précipitant en cristaux de roche noire en touchant le sol.
Le Cerbère se délectait des chairs de ses victimes et en peu de temps, tout ce qui restait de la misérable créature maudite fût englouti par les cruelles et terrifiantes mâchoires. Lorsque le pachyderme carnivore eut complètement terminé son festin, il se dirigea vers l’entrée de la grotte et poussa de nouveau trois rugissements qui se répercutèrent en échos dans l’immense corridor que formait le canyon du Styx. Les serpents projetèrent à leur tour des crachats de venin fumant qui transformèrent la terre et les rochers alentours en magma rougeoyant.
Le gardien de la porte des enfers avait de nouveau accompli son oeuvre. Nul ne pouvait le défier, car il avait été conçu par la volonté des dieux d’unir un géant et une femme serpent.

Passage vers les enfers

Dans le fond de la caverne, sous la lumière violette de la voûte de quartz, se déroulait une autre scène encore plus étrange. Au dessus du sol, une bulle d’air chaud faisait osciller localement la lumière violette qui la traversait comme si elle avait été surchauffée par un feu invisible. Après quelques instants, d’autres bulles se formèrent de manière éparse dans la caverne qui s’éclairait peu à peu de tous ces lampions scintillants. Lentement, les lampions convergèrent les uns vers les autres jusqu’à se rejoindre pour former un volume qui se métamorphosa progressivement en corps humain d’air chaud scintillant de lumière violette. Soudain, l’air contenu dans ce volume se mit à vibrer et un son grave résonna dans la caverne. Un peu plus loin, l’aire de sable jaune s’anima sous l’effet de cette vibration et des milliers de grains de sable s’élevèrent au rythme des pulsations acoustiques et commencèrent à tournoyer pour bientôt former un vortex. Ce vortex s’étira pour aller toucher la zone singulière qui se trouvait devant la porte au fond de la caverne. La rotation du vortex prenant de la vitesse, attirait inexorablement le corps d’air chaud scintillant dont la vibration de plus en plus puissante et rapide devenait un son strident assourdissant qui aurait été impossible à supporter pour n’importe quel être vivant s’il y en avait eu en ces lieux.
Pendant ce temps, une ouverture circulaire noire comme le néant se dessinait au centre de la porte et en un instant, aspiré par le vortex, le corps qui était devenu brûlant et aveuglant de lumière blanche s’étira et disparu à travers l’ouverture vers le néant. Le sable retomba comme une pluie légère sur le sol et le silence terrifiant régna de nouveau au fond de la caverne.
Le pas lourd du monstre tricéphale se fit entendre. Il revenait vers la porte.
C’est alors que la voix douce et puissance d’Hadès, dieu des enfers qui semblait venir de nulle part, appela : « Cerbi, rentre à la maison maintenant, tu as assez joué pour aujourd’hui mon garçon »…

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