Challenge d’écriture n°26 – Texte n°6

Alice

« Seul le plus valeureux pourra engendrer un Roi ». Ainsi avait parlé l’Oracle il y a des générations de cela.
Une fois l’annonce diffusée jusqu’aux confins des régions les plus reculées, et même au delà des frontières, tous les mâles du royaume s’étaient fait leur propre interprétation. Mais les prêtres étaient allés un peu trop vite en besogne à propager ainsi la nouvelle. Rapidement, l’excitation populaire fut à son comble. Et pour calmer les hordes de manants qui commençaient à s’agglutiner aux portes de la citadelle, le Roi fut obligé de proclamer un édit afin de forcer sa vision des choses sur la population. L’Édit de la Descendance, comme il fut appelé par la suite, marqua le début du calvaire des filles de lignée royale.
Le Roi avait été très clair. Puisqu’il était question de sa succession et que la problématique n’existerait qu’en cas d’absence d’héritier mâle, il s’agissait bien de maîtriser qui ses filles épouseraient. Seuls ceux qui s’étaient montrés les plus valeureux auraient donc l’autorisation d’approcher ces damoiselles. Mais il entendait bien définir lui-même les critères et les épreuves de sélection. Après des semaines de conférence avec les maîtres des guildes et le grand prêtre lui-même, la construction du Site de l’Epreuve débuta.
Plusieurs membres du clergé furent assignés à la garde du lieu et à son entretien. Tous les artisans ayant travaillé à ce projet furent voués au secret. Nul ne sait quels furent les arguments du Roi ou quelles menaces furent proférées, mais jamais aucune personne extérieure ne réussit à obtenir le moindre indice sur le contenu du Site.

Bérénice avait maintenant vingt ans. Elle était légalement en âge de ce marier. Et une fille de Roi se doit de suivre la tradition, pour le bien du Royaume du Dragon. Son père n’avait pas eu de fils. Et malgré quatre ans de mariage avec ce chevalier aimant mais non aimé, sa sœur aînée n’avait toujours pas d’enfant. C’était la première fois dans l’histoire du Royaume que cela se produisait. Elle devenait peu à peu le dernier espoir de son père pour éviter que l’anarchie s’installe dans ces contrées. L’ouverture du Site pour elle était donc le sujet de tous les ragots de tavernes, de toutes les discussions entre matrones et surtout de tous les murmures entre jeunes hommes. Pour Bérénice, difficile d’encourager une personne en particulier. Entre Damien et Jean, les fils du Duc de Pyranée, son cœur balançait. Ils avaient grandit ensemble à la Cour et étaient devenus inséparables. Elle priait tous les soirs sa mère décédée pour que la légende construite autour de l’Epreuve et leur père ne les dissuadent pas de tenter leur chance. En effet, pour le Duc, ce n’était pas vraiment une aubaine. Si les deux se présentaient à l’Epreuve, dans le meilleur des cas, l’un serait le vainqueur et l’autre disparaîtrait. Dans le pire des cas, les deux n’en sortiraient pas. Dans tous les cas, il perdrait ses propres héritiers.

« Que les courageux s’avancent ! » tonna le grand prêtre, masqué comme tous ceux de son ordre, pour débuter la cérémonie. Dans le silence attentif de la foule, on entendit bien le hoquet furieux du Duc de Pyranée voyant ses deux fils se présenter devant le vieil homme. Aux côtés de son père, Bérénice serrait la main de sa sœur. Il y avait douze prétendants. L’un d’eux sera peut-être l’homme avec qui elle devra passer le reste de ses jours, le père du futur Roi, l’homme de l’ombre jamais couronné, le soutien inconditionnel de la Reine-mère. Déjà, ses yeux embués de larmes se fixaient sur la sortie, située à quelques mètres de là. Elle savait ce jour là qu’elle allait perdre au moins un ami. Il allait maintenant falloir attendre, trop longtemps.

Le vieil homme retira son masque et les toisa d’un air inquisiteur. « Je vais être très clair Messieurs. Les épreuves que vous allez subir tiennent aussi bien du domaine du corps que de l’esprit. Je serai présent à chacune d’elles. » Il tendit alors le bras devant lui et tous purent voir la griffe du Dragon, comme marquée au fer dans le creux de la paume de sa main. « Tous ceux qui échoueront seront d’une façon ou d’une autre marqués de la sorte. Vous aurez alors le choix entre le sacerdoce ou la mort. Je vous accompagnerai dans cette réflexion. Quelle que soit votre décision, vous ne sortirez pas du Site par la porte officielle. » Se retournant, il désigna l’entrée de la première salle. « Ce lieu est en réalité une succession de salles dans lesquelles vous subirez vos épreuves. A l’issue se trouve votre destinée. » Les sourires nerveux s’effacèrent un à un. Le mystère sur le déroulement de l’Epreuve était levé. La résolution s’affichait maintenant sur les visages. Et les difficultés commencèrent.
Dans chaque salle, un acolyte spécialisé attendait le groupe. Deux membres furent mis de côté dans la salle de Vérité. Le télépathe leur expliqua qu’ils s’étaient leurrés sur leurs motivations, que leurs discours ne correspondaient pas à leurs pensées profondes, qu’il n’y avait pas de place ici pour les personnes avides de pouvoir. Le fer déjà chaud, disposé près de la porte, marqua rapidement leur poitrine, annonçant que leur cœur n’était pas pur. Dans la salle de l’Equilibre, un seul, rendu maladroit par sa nervosité, chuta sur le parcours. Il fut marqué à la pante du pied gauche, geste signifiant que son chemin n’avait pas été sûr. Dans la salle de la Persévérance, trois furent éliminés. Ils avaient perdu leur calme face aux diverses petites énigmes à résoudre et avaient tenté de forcer un passage au lieu de le contourner simplement. La griffe leur fut appliquée sur l’épaule droite, là ou sont tatoués les mulets. Quatre autres sortirent à la salle de la Tentation. Ils avaient cédé aux illusions des prêtres, choisissant quelque vice. Pensant s’octroyer une pause, ils s’étaient détournés du droit chemin. Ils furent marqués au front tels les coupables d’infamie.
Il ne restait plus alors que les deux frères. Ils passèrent sans encombre les salles suivantes, de la Générosité, de la Peur et d’autres encore. Le grand prêtre qui, fidèle à sa parole, les avaient accompagnés tout au long du parcours leur dit qu’ils étaient maintenant dans la dernière salle. Celle-ci baignait dans une ambiance solennelle. Des torches, appliquées au mur, éclairaient la porte opposée. Elle était conforme au souvenir qu’ils avaient du dessin de la porte de sortie, vue de l’extérieur du Site. Au centre de la pièce, deux prêtres, visages masqués, encadraient une sorte d’autel sur lequel se tenait un sceau brûlant portant la griffe du Dragon. « Un seul d’entre-vous peut sortir par cette porte. A vous de choisir qui appliquera sa main sur le sceau que voilà », dit le vieil homme en désignant l’autel. Nous ne tolérerons aucune violence. Votre décision doit être consensuelle et acceptée de plein gré.
Après de longues heures de discussions, emplies parfois de paroles véhémentes, parfois de tentatives doucereuses de séduction, Jean décida de laisser la place à son jeune frère. Il pensa à la vie de sacerdoce qui l’attendait et estima qu’il la supporterait mieux que celui-ci. Il s’approcha délibérément de l’autel et plaça résolument sa main sur le sceau. Damien, triste de ne plus voir son frère mais pensant déjà à sa vie aux côtés de celle qu’il aimait, se dirigeait vers la porte, sourire aux lèvres. C’est alors que l’illusion se dissipa. Ne ressentant aucune brûlure, Jean souleva le bras et vit que l’emblème représentait maintenant la tête du Dragon. En un instant, il comprit qu’ils avaient été bernés. Il venait en réalité de passer l’épreuve du Dévouement. Il se jeta vers son frère pour l’empêcher d’agripper la poignée leurre, il le devinait maintenant, portant la griffe du Dragon. C’était un sceau à peine camouflé. Mais il ne fut pas assez rapide. Plié en deux sous le choc d’une douleur inattendue, celui-ci fixait sa main, marquée à jamais. Car malgré le geste désespéré de Jean, Damien avait déjà ouvert la porte, scellant ainsi leur sort à tous les deux.

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