Challenge Flash n°6 – Franck

Juste passagers

Il marchait sur ce sable que la douceur du soir n’avait pas su encore refroidir tout à fait ; il sentait les grains passer entre ses orteils pourtant habitués au contact doux et glissant de ce sol sec et rarement généreux. Pourtant il pouvait ressentir sur sa gauche l’humidité du fleuve qui semblait paresser en contre-bas, à quelques coudées seulement : l’eau coulait paisiblement vers le large delta tandis que lui remontait la rive, sa tête baissée emplie de souvenirs d’enfant.

Il se rappelait son père qui, à la nuit tombante, s’amusait à le faire frissonner en lui racontant des histoires de brigands maladroits ou d’animaux aux traits trop humains pour être honnêtes ; ses récits, aussi, des Dieux courroucés par l’attitude désinvolte des Hommes manquant de sagesse (à moins que ce ne soit le contraire ?). Ou plus pudiquement évoquer la disparition de sa mère emportée par une injuste fièvre des marais alors qu’il n’était encore qu’un trop jeune enfant pour avoir pu garder nettement la mémoire de ses traits aimés.

« Le temps passe vite mon fils, souviens-t’en ». Ces paroles qui resurgissaient de nulle part dans son âme à nouveau attristée lui semblaient si fraîches, si proches ; pourtant oui, le temps avait filé tel le sable entre des doigts serrés, telle l’eau sur les pierres qui ne savent la retenir.

Vingt ans déjà qu’il était parti…

Depuis chaque année, à la même époque, avant que la crue ne donne un peu de ce limon fertile, il aimait suivre à rebours le rivage de ce coté-ci, soleil couchant. La veille, toujours à l’heure indécise où le Jour et la Nuit se coudoient sans sembler devoir s’affronter, il avait parcouru le chemin d’en face, descendant cette fois par le profil droit du Nil.

Sur ce flan oriental la naissance puis la vie qui suit son cours, sans espoir de revenir sur ses pas ; alors le Grand Passage vers l’occident et l’autre monde, celui d’après celui-ci ; enfin le retour aux sources – à la source – regard tourné vers l’amont, feignant de croire que la perte des êtres chers puisse avoir  un sens qui s’inscrirait quelque part dans les cieux que Sirius enchante au matin. Il ne cherchait pas plus loin : cette marche qui ne se prétendait pas funèbre l’apaisait simplement.

 

Au petit matin, il était revenu au point de départ, ou presque : retraversant pour retrouver les siens, du côté des vivants donc, il s’aperçut que l’humble maisonnée était calme, silencieuse. Lui qui aurait aimé entendre les bruits d’une quelconque activité après le périple contemplatif de ces deux jours derniers, de ces deux dernières nuits…

Il profita cependant de ces quelques instants encore frais que le matin peut offrir malgré la saison chaude pour se promettre qu’à partir de maintenant, il cesserait de se lamenter sur sa jeunesse passée. Son père que le dur labeur avait vieilli prématurément lui avait fait promettre d’utiliser à bon escient l’éducation et le savoir qu’il avait eu la chance d’acquérir. En bon scribe curieux qu’il était, il connaissait les comptes et les nombres, savait les écrits et les contes…

Ce fut le disque rouge du soleil apparu derrière les collines qui le sortit de ses pensées, ou plus précisément l’ombre que ce dernier faisait s’allonger sur le sol ; une silhouette connue et chérie s’avançait vers lui d’une façon enjouée, les bras tendus : son fils âgé de presque cinq années que son épouse, toute souriante, avait laissé courir à sa rencontre.

Ils s’assirent tous les trois sur le sable près du large fleuve presque paresseux qui suivait immuablement son cours. L’homme regarda l’eau précieuse qui simplement coulait devant eux, puis pris une poignée de ce sable si fin et le laissant lentement filer entre ses doigts pourtant serrés, dit avec une émotion difficile à cacher :

« Tu sais, mon fils, pour le moment tu penses avoir tout le temps devant toi ; mais regarde ces eaux qui passent sans nous attendre, regarde ce sable que je ne peux retenir… Je sais, mon père déjà disait la même chose, et déjà je le l’écoutais pas vraiment. Pourtant sache ceci Imhotep : nous avons beau construire des monuments éternels, écrire des textes inoubliables et croire que nous façonnons notre propre histoire, bientôt, bien plus tôt que tu ne le crois, tu seras à ma place et moi à celle de ton grand-père, quelque part là-bas. »

 

Quelque part, de l’autre côté du fleuve…

Note finale : 2.8/5

Une réponse le “Challenge Flash n°6 – Franck

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Très joli texte, tout simplement. Un beau moment de lecture.


    J’avoue ne pas avoir compris ce texte. C’est en Egypte antique, mais quelle est l’histoire exactement ? J’avoue que le nom d’Imothep ne m’a rien évoqué, là comme ça.


    Texte très imagé, trop peu être, et puis des répétitions à revoir…
    On ne réussit à se situer qu’à la fin du récit, sans qu’on sache situer cet Imhotep de manière précise.
    La trame est maitrisée et l’écriture très correcte malgré les répétition, mais je n’ai pas été transporté outre mesure par ce récit.


    Un récit poétique mais manquant d’un objectif précis. C’est agréable à lire mais je regrette peu de caractéristiques égyptiennes. Point de felouques ou de papyrus, l’univers est suggéré mais pas décrit, ça m’a manqué.
    Mais sinon, c’est une bonne situation ça, scribe ? 😀