Challenge Flash n°5 – Estée R.

Secret de famille

Lentement, Louis ouvrit le grand livre interdit. Ses petits doigts potelés tremblaient. Il l’avait tant convoité !

Il lui avait fallu déployer des trésors de patience pour l’obtenir, lui qui le narguait depuis des jours du haut de l’étagère où il siégeait, souverain et fier dans son cuir tanné…

Certes, si l’oncle Harold ne lui avait pas expressément défendu d’y toucher, il ne s’en serait jamais soucié, de ce livre. Car c’était bien le propre de l’enfance, de l’esprit de contradiction et l’attrait de l’interdit qui guidait Louis en ce moment même. Qui le taraudait depuis son arrivée dans la vieille demeure, voilà déjà une semaine.

D’une certaine manière, le gamin était reconnaissant à son oncle de lui avoir fourni matière à réflexion, un défi à relever, un but à ces assommantes journées de vacances, loin du village et des copains. Car on s’ennuyait ferme chez l’oncle Harold, qui n’était qu’un vieil ermite géant et bedonnant, le cheveu aussi rare que sa conversation. La seule chose agréable chez lui était qu’on y mangeait très bien. Louis pouvait se régaler à volonté de gâteaux, sucreries et autres douceurs dont les placards regorgeaient. Et bien sûr il y avait, en haut de la plus haute étagère du salon, ce vieux livre de famille qui devait recéler un secret important puisqu’on n’avait pas le droit de le lire.

Il lui avait fallu une semaine avant de craquer. Ses parents lui avaient bien recommandé, avant de lui dire adieux, de toujours obéir sagement à son oncle, de ne jamais le contrarier, lui qui était si bon pour eux. Sa mère avait même versé une larme en parlant ainsi, serrant son fils contre son sein, et il avait trouvé qu’elle en faisait un peu beaucoup. Ce n’était pas comme s’ils se séparaient pour toujours. Certes, il y avait de cela dix jours, il ignorait encore l’existence de ce parent lointain. Mais d’après ce qu’il avait compris, il était impossible de lui refuser quoi que ce soit. Et il avait envie de connaitre son neveu.

Obéir… Bon, c’était tout de même barbant, il fallait bien l’avouer. Et qui en voudrait longtemps à un gosse de dix ans qui aimait la lecture et les vieux manuscrits ? Les autres gamins de son âge ne méprisaient-ils pas les choses de l’esprit ? Ne pensaient-ils pas qu’à guerroyer dans les champs, tirer à la fronde sur les chats et chaparder les pommes des vergers ? Lui, il préférait rester à la maison un livre à la main et une crêpe dans la bouche. Était-ce si grave ?

Donc il n’y tenait plus. Tout simplement. L’attrait et l’ennui s’étaient alliés contre sa raison et sa bonne éducation. Lorsque l’oncle Harold était sorti cet après-midi-là, afin de cueillir des champignons pour la soupe du soir, il avait décliné l’offre, prétextant un léger mal à la tête et le besoin de se reposer. Il avait attendu d’être certain qu’Harold ne reviendrait pas sur ses pas, puis s’était précipité au salon. Le livre trônait toujours, hors de portée. Il lui avait fallu rouler le tapis, pousser la table basse, y poser un tabouret, grimper, et se hisser encore sur la pointe des sabots.

Enfin ! Il était tellement fébrile qu’il avait eu l’impression de se brûler les doigts en attrapant le livre. Il pesait lourd à bout de bras et Louis, déséquilibré, avait culbuté en arrière où le tapis roulé avait amorti le choc. Il lui avait fallu quelques minutes pour reprendre ses esprits. Une bosse lui poussait sur le front. Était-ce un signe ? Une preuve de sa culpabilité qu’il porterait pendant plusieurs jours ? Assis par terre, il s’était senti tiraillé. Il fallait faire vite cependant car tout devait être remis en ordre avant le retour de l’oncle. Que faire ? « Allons », s’était-il morigéné. « Tu n’as pas fait tout ça pour renoncer maintenant ! ». Et lentement, il avait ouvert le grand livre…

« Recettes de famille ! Secrets de cuisine transmis de père en fils. »

Tout ça pour ça ? Quelle déception ! Louis comprenait que l’oncle tienne à cet ouvrage, sa propre grand-mère jalousait ses trucs et astuces en cuisine aussi, mais de là à en faire un tel secret ! De dépit, l’enfant jeta le livre contre le mur du fond et celui-ci atterrit près du gros fauteuil où les fesses de son oncle étaient imprimées à jamais sur le tissu. Soudain, il entendit siffloter au loin et comprit que le maître des lieux, amoureux de la bonne chère, n’allait pas tarder à passer la porte.

Pris de panique, Louis n’en resta pour autant pas comme deux ronds de flan. Il sauta sur ses pieds et s’activa à remettre la pièce en ordre. Il n’avait certainement jamais été aussi rapide à ranger sa chambre et ne comptait d’ailleurs pas renouveler cet exploit. Cependant, alors même qu’il entendait les pas de l’oncle dans le vestibule, il s’aperçut qu’il avait tout remis en place, sauf l’objet du délit. Plus le temps. Louis le ramassa et courut s’enfermer dans sa chambre en passant par la seconde porte du salon.

Il dut rester au lit le reste de l’après-midi et ne mangea pas ce soir-là. Sa bosse le faisait souffrir, mais la culpabilité et la peur de se faire découvrir le rendaient encore plus malade. Il en avait contracté une mauvaise fièvre. A chaque bruit dans la maison, il sursautait, s’attendant à ce que le vieil homme ne se rende compte de la disparition du livre. Mais Harold ne sembla rien remarquer. Il lui porta un bol de bouillon bien chaud et une bouillotte pour ses pieds, lui souhaita une bonne nuit et lui assura qu’une plâtrée de beignets l’attendrait demain pour son petit déjeuner.

Louis ne trouvait pas le sommeil. Les yeux grands ouverts sur le plafond, il réfléchissait. Mieux valait dire la vérité à son oncle. Au pire, il serait si fâché qu’il le renverrait chez lui et son père lui mettrait une raclée pour avoir déshonoré la famille, mais au moins, il aurait meilleure conscience. Cependant, maintenant qu’il avait pris sa décision, il trouvait dommage d’être puni alors qu’il n’avait finalement lu aucun des secrets jalousement gardés. Assumer ses écarts, oui, mais autant que ça en vaille la peine.

Il alluma sa bougie en silence, sortit le livre de sa cachette de fortune et l’ouvrit à nouveau.

« Recettes de famille. Secrets de cuisine transmis de père en fils ».

Étrange, songea le gamin, que cela ne se perpétue pas de mère en fille comme il était de coutume dans son village. Il sourit en pensant que c’était bien chez son oncle qu’on se régalait le plus et tourna la page.

Avertissement :

Avant toute chose, choisissez votre viande avec soin ! Les garçons de moins de 10 ans sont plus tendres et se marient bien avec les légumes de saison, tandis que les adolescents au fumé plus prononcé se conservent longtemps et tiennent mieux au corps pour les longues journées d’hiver.

En tout état de cause, gaver votre futur repas de sucreries donnera plus de saveur à vos plats, c’est une bonne habitude à prendre. L’enfant sera plus dodu et sa chair fondra sous la dent.

Note finale : 3.3/5

Une réponse le “Challenge Flash n°5 – Estée R.

  1. Ils ont commenté :


    La chute est parfaitement trouvée et c’est bien le principal dans les formats courts.
    Quelques errance au niveau des conjugaison mais la lecture reste fluide.


    Très sympa (peut-être un peu long ou insistant sur les sucreries) ! Un mélange entre la Barbe Bleue et Hansel et Grettel.


    Une belle écriture et une chute originale. J’ai eu un doute sur l’époque de l’histoire, ce qui fait que les sabots ont sonné un peu anachronique. A ta place, j’aurai explicitement situé l’action.
    Si l’écriture est belle, je trouve le rythme trop linéaire. Les scènes ont beau être bien décrites, elles sonnent un peu déjà vue. Quelques éléments de surprise ou de tension supplémentaires auraient été bienvenus.