Mariella, pirate

Les étoiles. J’ai toujours été fascinée par ces petites étincelles dans le ciel. Enfant déjà je passais des heures à les observer, assise sur ce petit banc de bois à coté de mon père je l’écoutais. Il me parlait de la constellation du chien, de la croix des morts, du crâne lumineux, ou du dragon de jade. J’entends encore sa voix me décrire toutes les subtiles variations en fonction des saisons et comment toujours retrouver son chemin.

Ses leçons me servent encore aujourd’hui et grâce à lui j’ai pu reprendre le commandement de la flotte. Je suis sûre qu’il serait fier de sa fille s’il pouvait encore voir ses bateaux fendre les eaux. Voila maintenant vingt années que les Voiles Noires écument les eaux et, par la Grâce des Anciens, elles les écumeront encore une paire de décennies.

Je suis Mariella, commandant en chef d’une bande de ruffians qui servent mes intérêts comme ils servirent ceux mon père pour certains. Nous sommes une des pires calamités sur les mers, pillant et arraisonnant bateaux marchands ou de guerre pour notre profit et le désespoir des princes et des comtes et ce soir les voiles noires sont de sortie.

Notre proie est devant nous, exactement là où mes renseignements nous ont conduits. Voila encore un sac d’or bien dépensé. La frégate est telle que la description la donnait. Rapide et légèrement armée, elle nous aurait facilement semés en plaine mer, aucune chance de la battre en vitesse pure avec notre galion. Sa mission nous est connue; l’escorte d’un haut dignitaire, son chargement également; trois caisses remplies d’or et de joyaux gages de la négociation entre deux nations. Mais que nous importe ces affaires, qu’ils restent sur leur terre ferme s’ils ne veulent pas se faire dépouiller en pleine mer.

Insouciant du danger qui les guète le capitaine a jeté l’ancre dans une petite crique. Difficile d’accès en plein jour, la tâche est presque impossible de nuit, mais les voiles noires n’en seront pas à leur premier exploit. Le secret est dans les étoiles, il suffit de savoir suivre un cap, compter les battements de son cœur, virer de quelques degrés, changer de cap compter à nouveau et le tour est joué vous êtes entrés dans la crique. Il nous aurait été possible de les attendre à la sortie de la crique, mais cela aurait été faire fi de la réputation des voiles noires. Où que vous vous cachiez, nous vous trouverons. Sans compter qu’ils auraient pu nous semer à la faveur d’un brouillard matinal. Ils sont fréquents dans cette région à cette époque de l’année.

L’équipage est prêt à l’abordage. Mes troupes sont avides de combats, comme s’ils n’avaient pas eu leur compte de bataille depuis des semaines. La rencontre va être brève; tant mieux, il nous faudra repartir avant de se faire piéger par la marée.
Teabal, notre invocateur a habilement dressé un banc de brumes autour de la frégate, ils ne peuvent nous voir approcher.
Lorsqu’enfin les grappins sont lancés, il est trop tard pour donner l’alerte et les marins de quart sont rapidement maitrisés avant que les renforts n’arrivent. A moitié endormis et désorientés par l’obscurité et la brume, ils offrent peu de résistance. Les renforts sont d’un autre calibre cependant et je repère un lieutenant de marine qui semble être à son affaire en terme de combat d’abordage. Les lignes de combats se stabilisent un temps puis les marins de la frégate sont surpassés par la force brutale et sans retenus de mes hommes. Le lieutenant est le dernier à tomber.
Les coffres sont remontés des cales, l’effort nécessaire à les hisser à notre bord est un gage de leur contenu, la chasse aura été bonne.
L’affaire semble conclue et je m’apprête à donner mes ordres quand une furie pas plus haute qu’un tonneau sort en hurlant de derrière un tas de cordages. Armé d’un gourdin, le garçonnet se précipite sur Gorber notre mousse. Ce dernier se prend un bon coup dans les parties sensibles et s’effondre mollement sur le pont sous l’hilarité générale. Il va mettre un moment avant de pouvoir s’en remettre. Pendant ce temps le gamin continue de distribuer ses coups dans les mollets et les tibias alentours jusqu’à ce qu’une des grosse paluche de Smithy lui tombe dessus et l’arrache du sol. Tenu à deux pieds de hauteur, il gesticule en vain et devient la cible de quelques marins meurtris et revanchards, lorsque les premières lames sont tirées, j’interviens.

« Ça suffit, laissez-le ! »

Smithy m’apporte sa prise qu’il balance sans ménagement sur la dunette arrière. Le gamin se reçoit comme il peut sur le bastingage et va se planquer derrière quelques barriques d’eau potable en me lançant un regard de défi furibond. Quel caractère ! Il doit avoir moins de dix ans et devait servir dans la cambuse au vu de sa tenue tachées qui exhale une forte odeur de poisson.

« Approche, ne fais pas le timide, je sais que tu ne l’es pas. Tu sais te battre, c’est bien. Si tous les hommes de cette frégate avaient eu la moitié de ton courage, ils ne seraient au fond de l’eau à cette heure. »

Le garçonnet, amadoué et flatté par mes paroles, osa pointer le bout de son nez, sortant de derrière les barils, il s’avance doucement puis d’une démarche plus assurée il va s’installer sur le petit banc de bois et commence à observer mes manœuvres et écouter les ordres que je passe pour rejoindre notre port.

« Çà t’intéresse de savoir comment je fais pour ne pas me perdre ? »

Son rapide hochement de tête me confirme mes soupçons, amusée je poursuis.

« Tout d’abord il faut apprendre à reconnaître les étoiles, regarde, là, c’est la constellation du chien, un peu en bas sur sa droite, celle de la croix des morts, celle qui commence à poindre c’est celle du crâne lumineux … »

Les trois heures suivantes, je les ai passées à lui montrer tout ce qu’il y avait à voir par cette belle nuit bien claire, tout comme mon père adoptif le fit, il y a vingt ans.
Les voiles noires ne sont pas prêtes à disparaître de la surface des mers. La prochaine génération est en marche.
Qu’on se le dise !

Commentaires des votants

  • Un très bon récit, bien mené et joliment écrit. Le sujet est très original, et je te félicite, ayant moi même tenté sans succès un truc du même genre. Encore bravo
  • Très agréable à lire, merci.
  • Pas mal, le coup de pirates. Pas mal. Une faute, un petit coup de virgule (suis vraiment chia** avec ça…), ça descend peut-être un peu vite avec moi, mais j’ai pas encore eu le temps de revoir mon barème.

Mon commentaire

Les pirates. Un sujet très inspirant que je souhaitais aborder, voila qui est fait. Evidemment mettre un sauvage pirate sanguinaire aurait été trop facile, alors j’ai mis sa fille. La douceur romantique de la première phrase m’y incitant d’ailleurs fortement.

Un texte qui au final pourrait se retrouver dans un recueil toujours dans un coin de ma tête.


Texte écrit pour le challenge d’écriture n°16

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