Tout a commencé alors que j’avais une dizaine d’années.
Je me rappelle la frénésie des gens de mon village comme si c’était hier. Les voix fortes des hommes, les cris et rires excités des enfants, les hennissements des chevaux et la précipitation de tous. Mais aucune panique ni aucune peur ne flottaient dans l’air empoussiéré du village.
De ce que je me rappelle aujourd’hui, ce fut le chef de notre communauté qui réveilla la fourmilière en lançant son appel aux armes contre l’envahisseur. Je ne sais plus d’où ils venaient ni leur nature exacte, mais peu importait, c’était l’envahisseur et il fallait l’arrêter et le renvoyer dans ses foyers. Nous devions protéger les nôtres en prenant les armes et chaque homme ou femme de plus de dix ans pouvait accomplir son devoir.
Beaucoup de mes camarades de jeu ne partirent pas cette fois-ci, par choix, ou parce que leur parents ne leur permirent pas. Pour moi ce fut ma première bataille.
Les préparatifs furent un moment excitant et plein de découverte comme lorsque je me rendis à la forge pour y recevoir mon équipement. Un petit casque qui me tombait à moitié sur les yeux, un bouclier rond de bois épais et une dague acérée. Ma première arme de guerrier. Je la porte toujours sur moi.
Puis ce fut le départ et la longue marche pour un enfant de dix ans. Entouré de mes parents, je découvrais la vie trépidante d’une armée en campagne, les camps tous les soirs, les récits au coin du feu, les derniers moments de partages et de souvenirs avant l’affrontement.
Au fil des jours la tension monta et l’euphorie des préparatifs retomba doucement. Les visages se firent graves et concentrés, je regardais mes parents qui me lançaient parfois des sourires forcés comme pour me rassurer, mais je n’en avais pas besoin. Au fond de moi une étrange paix s’était installée, je n’avais pas peur tout en étant parfaitement conscient de ce qui allait se passer. Je pouvais mourir là-bas ou y perdre ceux que j’aimais le plus au monde, mais rien ne venait ébranler cette certitude que je faisais ce qu’il fallait.
Quand nous primes nos positions, mon unité s’installa dans les bois surplombant le champ de bataille. Nous nous y infiltrâmes avec toute la discrétion possible pour ne pas être repéré. Mille fois mon cœur manqua de s’arrêter alors qu’une brindille craquait ou qu’une branche frottait sur les armes et armures. Nous étions proches, très proches des lignes ennemies et s’ils nous découvraient, nous n’aurions eu aucune chance de nous en sortir.
Puis l’attente de l’assaut commença. Elle dura une nuit complète, une horrible nuit à ne dormir qu’à moitié. Je savourais ce moment, peut-être était-il le dernier moment calme de mon existence alors j’écoutais les bruits de la forêt. Les animaux sentaient bien que quelque chose allait se dérouler bientôt, quelque chose de terrible, mais cela ne les dérangeait pas dans leurs activités nocturnes. Je passai une bonne partie de la nuit à identifier les cris et bruits de la faune qui nous entourait.
Quand une main ferme me secoua au petit matin, la première chose que j’entendis fut les premiers échos de la batailles. On se battait pas loin de nos positions et je vérifiais aussitôt mon équipement. Mon père me tendit un quignon de pain frais à mastiquer, plus pour m’occuper que par réel souci de me nourrir. Était-ce mon dernier repas ? Rien que d’y penser, mon sang se mit à battre plus fort dans mes veines, la frénésie du combat montait en moi et déjà j’imaginais mes hauts faits d’armes avant de me voir allonger dans une flaque de sang.
Les idées morbides n’eurent pas le temps de me paralyser car une trompe lança une longue plainte sonore. Le signal pour les unités embusquées de passer à l’attaque.
Nous nous levâmes alors, serrant nos boucliers et nos lances ou nos épées et nous avançâmes vers l’orée du bois. En arrivant à découvert, je vis alors la bataille, ma première bataille. Nos troupes avaient reculé et nos ennemis semblaient prêts à les déborder. Mais alors que plusieurs unités de réserves sortaient de leurs cachettes, nous poussâmes nos cris de guerres qui eurent le résultat escompté : Nos ennemis se retournèrent pour voir d’où pouvaient bien venir ces nouveaux adversaires et la désorganisation commença à poindre dans leurs lignes.
Puis ce fut la charge. A partir de ce moment, mes souvenirs se résument à des cris, des coups, du sang et des râles d’agonies.
Un mur de corps se précipita vers moi, j’utilisai mon bouclier bien plus souvent que mon épée, j’avais l’impression de passer plus de temps à me protéger des coups qu’à en donner. Une sourde frustration montait en moi qui me brouillait les sens et l’esprit. Je crois qu’à un moment je lâchai mon bouclier pour me jeter dans la bataille à corps perdu. La frénésie du guerrier s’était emparée de moi.
Le reste de mes souvenirs n’est plus que le rouge du sang de mes ennemis qui jaillissait de mes coups et venait me recouvrir presque entièrement.
Bien plus tard quand le mur de corps cessa de se presser contre moi, je m’abandonnai à la fatigue et m’écroulai sur le sol.
Cette première bataille me marqua à jamais, je savais que mon choix avait été le bon, j’étais un guerrier et la guerre était le souffle divin qui me faisait sentir vivant.
Comments are disabled for this post