Du fond de ma mine

La créature ronronnait doucement, bien calfeutrée dans son petit habitat, tout au fond de la mine de carbone. Ses rêves de grands espaces et de monstres fantastiques tournaient en boucle dans son esprit comme s’ils étaient prêts à en jaillir. Mais le petit être savait les retenir et les contrôler car elle n’osait imaginer ce qui se passerait si elle les laissait s’enfuir. Dans son sommeil, elle se retourna deux fois sur elle-même et retrouva sa sérénité. Il n’avait rien de bien extraordinaire ce petit trou au fond de la mine, mais c’était le sien, celui que le créateur avait choisi de lui donner et la créature s’en satisfaisait depuis des mois maintenant. Elle espérait bien y rester encore quelques semaines mais ne s’illusionnait guère quant au temps qu’il lui restait. La ressource s’épuisait de plus en plus vite, le carbone se raréfiait. Qu’allait-elle devenir une fois la mine tarie ? Devrait-elle retourner au fond d’une mare noirâtre et boueuse ou, pire, au néant ?

Soudain, la créature fut en éveil, autour d’elle tout se mit à trembler et à tressauter en tout sens. Quelle heure pouvait-il bien être ? Bien trop tôt évidemment, mais le créateur était ainsi, il sollicitait et elle s’exécutait. Les termes implicites de son contrat étaient clairs et impossibles à modifier car tel était le destin de la créature, et pour rien au monde elle n’aurait songé à en changer.
Elle délia son corps engourdi par sa longue veille avant que sa lente progression vers l’extérieur ne débute. Elle commença à se frayer un chemin à travers les nombreuses couches de carbone qui formaient comme un cocon autour de son antre ; même si le mot n’était pas le mieux adapté c’est ainsi qu’elle voyait son havre de paix. La créature mit toutes ses forces dans ce lent cheminement, elle ne voulait pas être en retard, le créateur en serait attristé. Elle ne voulait pas cela.

Il était déjà arrivé par le passé qu’elle arrive trop tard, alors même qu’elle avait tout fait pour l’éviter. Les tremblements de la mine avaient alors été terribles et plusieurs couches de carbone avaient cédé sous les chocs. Les colères de frustration du créateur pouvaient être dévastatrices. Non, elle ne voulait pas revivre cela.

Elle tenta d’accélérer mais un tremblement plus puissant que les autres fit céder une couche de carbone et la créature se retrouva bloquée dans une anfractuosité. Sa progression fut stoppée nette et elle se vit bloquée ici, sans espoir de pouvoir sortir à temps de la mine. Son corps se contorsionna en tous sens pour tenter de briser le piège qui la retenait prisonnière, mais en vain. Ses forces diminuaient, elle n’allait pas pouvoir sortir. Mais alors que tout espoir l’abandonnait, une autre secousse la libéra miraculeusement. Le créateur venait de lui permettre de se dégager. Savait-il les difficultés qu’elle rencontrait ? Parfois elle se le demandait et la perspective de cette attention lui emplissait le cœur d’une joie débordante.

Le carbone de la mine se fit enfin plus tendre et elle sut qu’elle se rapprochait de la sortie et de la délivrance de son bienfaiteur. Bientôt une pâle lueur perça à travers les dernières couches et, dans un dernier effort de pure volonté, la créature jaillit en pleine lumière.

Elle avait réussi, le créateur lui transmit une onde de reconnaissance quand elle commença à relâcher enfin le flot impétueux de ses rêves. Les grands espaces aux possibilités infinies plongèrent vers le vide abyssal de la page blanche que l’auteur commençait déjà à remplir de gestes frénétiques. Les créatures les plus fantastiques s’éparpillèrent en tous sens, venant construire une réalité qu’elle avait pressentie comme viable depuis des jours. Elle s’abandonna alors à la fusion avec l’écrivain et ensemble ils parcoururent les chemins du possible en une communion parfaite.

Quand vint le temps de regagner son refuge au sein de la mine du crayon, la muse laissa subtilement une dernière image au créateur. Il ne manquerait pas de la retrouver et de s’en servir un peu plus tard, et bientôt il la rappellerait à lui.

Ainsi naissent les histoires depuis la nuit des temps, au fond d’une mine tout simplement.


Texte écrit sélectionné et paru dans le cadre des Short Short Stories d’Autresmondes. Je vous invite à lire le webzine et découvrir à l’occasion l’illustration imaginée pour ce texte.

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