La longue file d’aérotaxis avançait au pas depuis une bonne heure. P’Mon en profitait pour se gaver des images qui s’offraient à elle pendant le trajet. Cette athlète originaire de Ningar, petite planète perdue et oubliée du troisième quadrant, découvrait l’Empire et ses somptueuses résidences nobiliaires.
Elle était partie très tôt ce matin des arènes Majoris apprêtée comme une princesse. Une drôle de sensation d’ailleurs que de passer de sa combinaison de sport à cette robe pailletée couleur rubis outrageusement échancrée devant et derrière. En la découvrant, P’Mon s’était demandée comment ces petits bouts de tissus allaient bien pouvoir tenir. Mais la robe avait été confectionnée par un des plus habiles tailleur de la capitale et elle s’était auto-ajustée dès que P’Mon l’avait enfilée, un système qui lui restait aussi mystérieux qu’extraordinaire. Ces coéquipiers en la voyant sortir de sa cabine privée s’étaient bien moqués d’elle en la voyant ainsi habillée, les moqueries et autres remarques s’étaient poursuivies durant tout le temps qu’ils avaient attendu le taxi, quelques uns ne perdaient rien pour attendre.
P’Mon avait passé le seul bijou, une pierre taillée grise de Ningar, retenue magnétiquement à une fine chaîne argentée. La pierre reposait entre ses seins, recouvrant une partie de la longue cicatrice qui lui partait de l’épaule droite pour aller jusque sur la hanche gauche. Cette balafre était son signe distinctif au sein de l’équipe où chacun portait les marques typiques du discolame. Ce sport très populaire consistait à se passer un disque, flottant magnétiquement au-dessus du sol, par le biais de longues perches métalliques jusqu’à lui faire atteindre la cible adverse. Les dangers de ce sport venait des lames disposées sur la périphérie du disque qui, envoyé à pleine vitesse, était capable de trancher un bras. Ce danger permanent et les contacts violents entre joueurs faisaient des « lameurs » de vraies vedettes dont les noms étaient connus de tous. Du moins, le temps de leur carrière qui parfois s’avérait être plutôt courte. P’Mon était une véritable héroïne, revenue de sa grave blessure en pleine ascension, elle était parvenue à reprendre son rang puis à le dépasser pour devenir une des lameuses des plus connues. Ceci expliquait pourquoi elle se trouvait dans cet aérotaxi en cet instant.
Le véhicule la conduisait ainsi à la demeure du grand connétable impérial B’Lock, maître des arts et des cultures, éminent xéno-archéologue et, accessoirement, grand fan de discolame. En ce jour, cet éminent personnage organisait une grande fête où toute personne ayant un peu importance au sein des gouvernements, grandes entreprises, artistes de tous horizons et autres individus médiatiquement reconnus, étaient invités.
Plus de trois cents personnes se rendaient sur le petite ile privée du MAC B’Lock (comme il était parfois coutume de l’appeler) car aucun n’aurait manqué de s’y présenter, ne serait-ce pour ne mas indisposer leur hôte. Chacun connaissait le Domaine B’Lock pour l’avoir vu au moins une fois sur la chaîne d’information impériale car B’Lock avait fait de sa propriété une gigantesque musée regorgeant de pièce uniques récoltées sur pratiquement toutes les planètes inféodées à l’empire. Durant ses jeunes années d’archéologue, il avait eu la possibilité de suivre les armées impériales et d’être le premier à pouvoir récupérer des pièces uniques de civilisations et peuples programmés à disparaître rapidement. Par la suite, il avait continué à s’approprier statues, documents, instruments par le biais de nombreuses équipes d’exploration dont les manières se rapprochaient plus du pillage que de la découverte et de l’échange. Ses appuis politiques et financiers lui permirent de demeurer impunis pour toutes les déviations légales rapportées. Son accession au gouvernement lui assura l’impunité complète sur se actes passés. l avait officiellement cessé toutes activités archéologiques mais ses équipes, plus discrètes à présent, continuaient de lui rapporter des œuvres toujours plus fantastiques ou mystérieuses. Dans le même temps, il avait ouvert son musée aux visiteurs à certaines dates, la fête qu’il organisait ouvrait la première date de l’année.
Quand P’Mon quitta son aérotaxi, la fête battait son plein et son arrivée ne suscita que peu d’intérêt. La jeune femme n’était pas naïve, elle savait parfaitement n’être qu’une invitée de troisième catégorie, celle dont on peut se passer, mais cela ne la dérangeait pas, bien au contraire, elle pourrait profiter de la visite plus tranquillement. Toutes les salles présentaient une culture, un peuple, parfois disparus ou délicieusement exotique. Elles regorgeaient de statues, tableaux, objets du quotidien, d’armes rituelles ou d’armes de guerre. Parfois un groupe de danseurs faisaient revivre une cérémonie incompréhensible, parfois un poète déclamait des rimes dans une langue oubliée. Sons, couleurs, odeurs et goûts, tout était fait pour ressusciter une culture, ou pour sublimer une ethnie. Des vins fleuris, des plats épicés accompagnaient ces découvertes pour les visiteurs ravis et conquis.
La fête était un succès, comme à chaque fois, les invités s’extasiaient, s’amusaient, se moquaient et, au centre de tout son petit monde, B’Lock se faisait un devoir de parler au plus de personnes qu’il lui était possible. Dans son sillage, une traine de courtisans ne manquaient rien des paroles de leur idole. B’Lock se comportait avec la plus exquise amabilité, son immense érudition et son implant mnémonique lui permettaient d’apparaitre comme un interlocuteur attentionné et passionné, quel que puisse être le sujet de conversation.
Ainsi, quand il s’adressa à P’Mon, cette dernière eut l’impression que B’Lock avait été joueur de discolame tellement ses analyses de certains faits de jeu étaient précises et pertinentes. Puis, alors qu’il allait rejoindre un autre groupe d’invités, B’Lock posa une question étonnante :
« Ce bijou, est-il dans votre famille depuis longtemps ? »
P’Mon porta instinctivement sa main à sa pierre, surprise de cette demande.
« Il appartenait à mon père, oui, il me l’a confié quand j’ai quitté Ningar pour l’arène Majoris.
—Très bien jeune championne, continuez de profiter de la visite, peut-être nous reverrons-nous plus tard. »
La conversation fut close et le groupe s’éloigna. P’Mon allait en faire autant quand un grand jeune homme l’aborda pour lui faire part d’un message.
« Le grand connétable souhaite vous inviter à découvrir ses dernières acquisitions, un privilège rare réservé à peu de gens. Il vous attendra dans deux heures dans as réserve privée. Vous pourrez vous y rendre en suivant les instructions de ce traceur. »
P’Mon se vit remettre un badge autocollant ultra-fin vierge de toute indication. Voyant son embarras, le jeune homme lui précisa alors :
« Collez-le sur vote poignet et activez-le en pinçant ce coin d’ici une heure, vous aurez alors juste le temps de rejoindre le grand connétable. »
Puis, comme son maître, il s’éloigna sana attendre de réponse de P’Mon, laissant la jeune femme aussi surprise que curieuse.
Elle passa le reste de son temps à passer de salle en salle découvrant nombre de peuplades, coutumes, cérémonies, toutes plus surprenantes les unes que les autres. Le temps passant, les salles se vidèrent lentement, les invités rejoignaient leurs quartiers ou s’étaient regroupés dans la grande salle de réception pour le fastueux repas prévus là. Quand l’heure fut venue, P’Mon activa la traceur et un signal lui indiqua la voie à suivre. Suivant les indications données par le badge, elle put entrer dans des pièces qu’elle n’avait pas encore eut l’occasion de voir, le badge se comportant en clé selon les besoins de sa progression. Les salles traversées regorgeaient de merveilles à peine déballées et parfois stockée en vrac dans un coin, rien n’y était mis en valeur. B’Lock disposait de véritable trésors qu’il traitait comme de vieux objets bons au rebuts. Elle continua d’avancer encore quelques minutes avant que le badge ne cesse de donner des indications. Elle était arrivée.
La pièce où elle se tenait était plongé dans l’obscurité, quelques veilleuses palotes lui montraient des vitrines le long des murs sans qu’elle puisse en distinguer le contenu. Quelques instant après son arrivée, un passage s’effaça le long d’un mur et un couple de personnages entrèrent. B’Lock et un de ses gardes du corps étaient arrivés.
« Ravi de vous revoir ma chère faisons vite, mon holo-discours ne dure qu’une petite heure. Pas de difficultés pour arriver ici ?
— Non, ce badge est une merveille de technologie.
— Remettez-le à mon garde, il ne vous sert plus à rien, tout comme ce déguisement. »
P’Mon retira le badge et commença à retirer son habit de gala, et au fur et à mesure qu’elle se dévêtait, son apparence changea pour faire apparaître une mince jeune femme plus frêle que l’athlète sensé être présente. Ses yeux complètement gris la désignaient comme une métamorphe, certainement une des dernière dans cette région de l’espace impériale.
« Je ne crois pas que je finirait par m’habituer à vote apparence, mais les circonstance étant ce qu’elles sont…
— Merci monsieur, peu de personnes se trouvent à l’aise en ma présence, certainement la raison de l’acharnement des vôtres à nous exterminer.
— Bref, donnez-moi cette pierre, voila des années que je la recherche et enfin elle est à moi. »
La métamorphe détacha la pierre de sa chaînette pour la tendre à B’Lock qui s’en saisit avidement. Il se dirigea ensuite vers une des vitrines qui s’illumina doucement à son approche. A l’intérieur, il n’y avait qu’un seul objet vaguement arrondi aux symboles illisibles, du ningarite ancien. Sur la sommet, au centre de l’objet, une petite cavité semblait n’attendre que la pierre de P’Mon.
Intriguée, la métapmorphe suivi B’Lock pour voir la suite.
« Et la lameuse, qu’est-elle devenue, on avait bien dit…
— Ne vous inquiétez pas, elle se réveillera dans deux jours avec une joli mal de crâne dans une des conduites de ventilation de l’arène.
— Bien, très bien, vote compte sera crédité une fois que j’aurai l’absolue certitude que cette pierre est authentique. »
B’Lock ouvrit le vitrine en grand et avança la pierre pour la mettre en place délicatement.
Au début il ne se passa rien, puis un vrombissement sourd commença à sortir de l’objet. Une lueur enveloppa d’abord faiblement puis de plus en plus fort. B’Lock était aux anges, c’était bien ce qu’il recherchait depuis que cet objet était entré en sa possession. Selon sa traduction il s’agissait d’un « Pacificateur Astral », terme ésotérique qu’il associait à un champ d’apaisement, un puissant artéfact permettant de protéger toute une zone contre les intrusions psychiques et autres écoutes technologiques illicites. Le bouilleur parfait.
Mais B’Lock avait fait une toute petite erreur dans sa traduction du ningarite dont les symboles étaient une forme plus ancienne qu’il ne l’avait pensé : Le « Pacificateur Astral » aurait du être traduit par « Éradicateur Psychique ». Une fois mis en route, une vague de destruction psychique ravagea toute la propriété de B’Lock. Ceux qui purent s’en sortir se trouvaient à la limite du domaine, prêts à repartir, les autres durent être internés pour différentes formes de démences et autres troubles mentaux. De B’Lock et ceux au plus près de la source, il ne resta rien.
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