L’homme entra dans la grande salle surchauffée, il n’était pas le premier mais cela lui importait peu. Sa poche rebondie lui rappelait pourquoi il était là et quel était son but. Il faillit céder mais il ne flancha finalement pas. Il avança d’un pas décidé tel un conquérant prenant possession d’un territoire fraichement soumis. Il était cependant loin de ressentir ce sentiment de toute puissance qu’avaient du ressentir César ou Napoléon. Il suffisait de faire bonne figure et peu importe ce qu’il vivait réellement.
Slalomant au milieu des machines il trouva sa cible et s’installa face à elle. Anonyme, impersonnelle et froide, elle semblait le jauger et l’invitait à céder. Ce n’était qu’une machine, rien de pus pensa-t-il, elle ne pouvait rien lui faire. Il calma son excitation en respirant plus lentement. Il devait absolument retrouver son contrôle et son calme, ce n’était pas le moment de flancher.
Il sortit de sa poche une des pièces qu’il avait amenées, une pièce adaptée à cette machine. Il en avait prévu d’autres, mais cette première pièce serait déjà un grand pas vers on nouvel avenir. Il approcha la main tenant la pièce du bout des doigts de la machine, il se trouva gauche, hésitant, fébrile et indécis. Un combat intérieur opposait son désir à sa raison et personne n’aurait pu dire comment allait finir ce conflit.
Il avait déjà connu ce moment précis où tout pouvait basculer, cette fragile frontière sans retour. Une fois il en était revenu, alors pourquoi pas cette fois-ci encore. D’autres n’en étaient pas revenus, sans doute avaient-ils moins de force d’âme que lui. Lui saurait quand ne pas franchir la dernière limite, celle d’où on ne revient pas.
Ses parents et ses amis l’avaient bien aidé lors de sa première défaite comme il l’appelait. tous avaient été à ses côtés pendant sa convalescence, lui faisant promettre de ne plus défier les machines. Il avait promis alors, trop épuisé pour résister à leurs injonctions. Et il avait tenu. Plus jamais il ne s’était approché des machines se contentant de ce que son quotidien d’employé lui apportait. Il avait bien vu les regards de ses proches, cherchant la faille dans sa résolution, mais il n’avait à aucun moment prêté à la suspicion.
Mais les machines étaient toujours là, quelque part et même sans les voir il savait qu’elles se gaussaient de lui, de sa faiblesse à ne plus vouloir les affronter. Au fil des mois, sa décision murît doucement, et il un jour il se décida : il les affronterait à nouveau et il en serait vainqueur.
Ce jour était arrivé, il raffermit sa prise sur la petite pièce qu’il serait si fort qu’elle en était devenue glissante de sueur. Il l’inséra dans la f ente et actionna le bras de la machine. Les rouleaux tournèrent, lumières et sons hypnotiques jaillirent dans ses tympans. En un instant il quitta la réalité de son morne quotidien. Les rouleaux ralentirent, instant bénis entre tous, il allait savoir : La machine remportait cette manche. Il plongea la main dans sa poche et en sortit une nouvelle pièce, l’inséra dans la fente de la machine et actionna le bras. A nouveau les rouleaux se mirent en branle pour se mettre dans la bonne configuration, il gagna cette manche et la machine lui donna de quoi jouer une bonne vingtaine de parties.
Quand il quitta le casino, il ne lui restait plus rien, il avait du dépenser son dernier mois de salaire en quelque heures. Mais peu lui importait, il avait repris le goût de vivre et rien n’aurait pu changer cela.