Nine-Lives

Le superviseur de sécurité Aravhe faisait défiler les vues offertes par des dizaines de caméras de surveillance. Elles lui étaient transmises par les quinze opérateurs situés plus bas dans la grande salle blanche du contrôle central, blockhaus inexpugnable au dixième sous-sol de la base de recherche.
Abrité derrière sa fenêtre blindée, le superviseur scrutait ces images qu’il vérifiait selon un programme de surveillance infaillible.
Son interface neuronale le reliait directement aux opérateurs, relayant ses instructions en quelques millièmes de secondes.

Depuis trois mois qu’il était à ce poste, les laboratoires de bio-technologie virale n’avaient subi aucune attaque, aucun incident. Le fait d’être un secret jalousement gardé y était sûrement pour quelque chose, mais le superviseur Aravhe aimait se dire qu’il était en grande partie le meilleur rempart aux intrus de tout poil.
C’est dans cet état de sainte béatitude devant un travail bien accompli qu’il fut dérangé sur un canal sonore; un garde d’une des nombreuse patrouilles de la base.

” G23 à superviseur, G23 à superviseur !
– Superviseur, j’écoute. ”

Le garde numéro 23 était posté devant le couloir menant au laboratoire numéro cinq, sa ronde l’amenait à faire de fréquents allers-retours dans le couloir ZC5.

” Je viens de repérer un intrus. ”

L’appel, d’abord surprenant, devint inquiétant.
Pianotant fébrilement ses commandes, le superviseur afficha sur son écran principal, bien en face de lui, l’image relayée par la caméra du couloir en question.
Une forme sombre était agenouillée devant la porte sécurisée du laboratoire numéro cinq. Impossible ! Comment un intrus se serait-il introduit aussi loin dans le complexe sans avoir été repéré plus tôt.

” Interpellez l’intrus avant qu’il ne franchisse cette porte, immédiatement, j’envoie des renforts.
– A vos ordres superviseur. ”

Sur son écran, il vit le garde s’avancer fusil laser armé et pointé vers l’intrus.

” Halte, levez-vous doucement et éloignez-vous de cette porte ! ”

La caméra eut alors toutes les peines à capter le mouvement de l’interpellé, le garde s’écroula, une petite lame plantée dans la gorge.
L’intrus leva la tête vers la caméra et, un instant, Aravhe crut discerner comme un sourire sous le masque noir. Il se mit alors à courir et remonta le couloir en un temps record, les renforts n’étaient toujours pas arrivés.
Tant pis, ils l’attraperont plus loin, il n’avait aucune chance de s’échapper. Pour se consoler, le superviseur se dit que le pire avait été évité, la porte du laboratoire numéro cinq était en position verrouillée, il s’en assura par le biais de sa console de surveillance.

” Suivez cet homme dans ces moindres déplacements, ne le quittez pas de vue, il ne doit pas s’échapper ! ” Lança-t-il aux opérateurs en contrebas.
Il avait cette habitude de leur parler tout en sachant pertinemment qu’ils ne pouvaient l’entendre et que ses instructions leurs parvenaient au cortex branché directement aux pupitres. Une habitude idiote.

La grande salle blanche fut alors baignée d’une lumière rouge, l’alarme générale était déclenchée.

” Patrouille 35, demandons position de l’intrus et instructions !
– Il se dirige vers la sortie ouest par le ZC8, bloquez les issues et chopez-le !
– Bien reçu. Patrouille 35 en déplacement.
– Patrouille 43, nous remontons le couloir en direction du laboratoire numéro cinq, serons sur place dans quinze secondes.
– Détachez un garde pour assurer la défense du laboratoire et remontez par le ZC8.
– Bien reçu. Patrouille 43 en déplacement.

Voila, les gardes se mettaient en place, l’intrus n’avait aucune chance de leur échapper. Dans une minute il serait dans les collimateurs de la 35 et, avec la 43 dans son dos, il lui serait impossible de faire demi-tour.
Les caméras lui montrèrent la scène qui suivit, et il eu du mal à en croire ses yeux. L’individu se jeta sur les gardes de la patrouille 35, évitant apparemment tous les tirs dirigés contre lui. Son arme trancha les gorges, ouvrit les ventres, le sang jaillit et les gardes s’écroulèrent.
Alors que le dernier d’entre eux tombait à genou en se tenant désespérément la gorge, la patrouille 43 arriva sur les lieux.
D’abord choqués, les gardes ne réagirent pas tout de suite, puis, de rage, ils ouvrirent le feu, saturant le couloir de tirs de lasers. Mais l’individu avait disparu.

” Patrouille 43, poursuivez-le, il est parti dans la direction du sas numéro cinq-huit. Bloquez-le là-dedans ! ”

Revenant à ses écrans, le superviseur observa l’intrus tenter de s’échapper. Il constata sur une image arrêtée qu’un de ses opérateurs venait de lui envoyer, qu’une tache de sang souillait le bas du masque du fuyard.

” Au moins tu n’es pas invincible, on va t’avoir, je te le promets. ” Se dit Aravhe.

L’individu entra dans le sas numéro cinq-huit, comme le superviseur l’avait prévu. D’un mouvement sec sur les commandes à distance il ferma les portes étanches. L’intrus se retrouva prisonnier dans un couloir de dix mètres, aucune possibilité de s’enfuir.
Ce qu’il fit laissa perplexe le superviseur une seconde. L’homme s’assit tranquillement en tailleur sur le sol.

” Imbécile !”

Et le superviseur Aravhe pressa la commande qui expédia le gaz soporifique dans le couloir.

” Je t’avais bien dit qu’on t’aurait. ”

L’épais nuage en suspension dans le couloir masquait petit à petit la vue à l’écran quand une explosion ébranla la base toute entière, c’est ce que se dit Aravhe sur le moment car il perçut la déflagration dans son local blindé du dixième sous-sol.

” Opérateurs, localisez l’explosion ! ”

Les images se succédèrent alors sur son écran principal avant de s’arrêter sur la vue du laboratoire numéro cinq, en tout cas, de ce qui avait été le laboratoire numéro cinq. Une plaie béante dans le couloir montrait un intérieur ravagé, il ne restait rien.
Ce maudit intrus n’essayait pas d’entrer, il tentait plutôt de sortir sans se faire remarquer. S’il n’avait pas repéré presque par hasard, personne n’aurait su comment l’explosion avait eu lieu, ça aurait même pu passer pour un accident.

” Procédure de dégazage du sas cinq-huit, récupérez le corps ! Patrouille 43, il est pour vous. Amenez-le en salle d’interrogatoire. ”

Les ventilateurs se mirent marchent pour évacuer le gaz soporifique, un opérateur rapporta alors un dysfonctionnement du gros ventilateur principal, la procédure allait durer un peu plus longtemps que prévu.
Au bout d’une minute, on commença à revoir l’intérieur du sas et il devint évident que le superviseur n’avait pas finit de se faire du souci, le corps ne gisait pas inconscient, il n’y avait pas de corps, juste un masque noir et une veste abandonnés sur le sol.

” OU EST-IL ? Retrouvez-le ! ”

A nouveau, les images défilèrent rapidement sans parvenir à trouver le saboteur.
Le complexe était grand et de nombreuses cachettes étaient facile à trouver, il allait falloir ratisser le bâtiment complètement pour le retrouver.

” A toutes les patrouilles ! L’individu recherché se trouve … dans la base, trouvez-le, objectif prioritaire ! ”

Les comptes-rendus de réceptions arrivèrent aux oreillettes du superviseur qui commença à scruter tous ses écrans pour essayer de trouver une trace du saboteur.

” Patrouille 43 à superviseur, nous sommes dans le sas, l’individu est passé par le conduit du ventilateur principal, je ne sais pas comment il a fait tellement c’est étroit, mais c’est bien par là qu’il nous a faussé compagnie. Impossible d’y aller, on passe pas.
– Bien reçu 43, sortez du sas, je le referme et commencez les recherches à votre niveau. ”

Aravhe lança un programme de recherche afin d’accéder aux plans de la base. Repérant le ventilateur et son conduit il sut où chercher.

” A toutes les patrouilles, dirigez-vous vers le toit et offrez une réception digne de ce nom à notre invité. Opérateurs, scannez le toit et tous les conduits y menant. ”

Quelques instants plus tard, les patrouilles 17, 25 et 67 étaient en position, prêtes à ouvrir le feu au moindre mouvement suspect. Une trentaine de secondes plus tard, une grille de ventilation explosa fauchant deux gardes au passage et laissant passer une mince forme noire, rapide et mortelle.
Les bruits des tirs et des cris se mêlèrent, le sang jaillit.

” G112 à superviseur, envoyez des renforts, elle est trop rapide, on est mal, elle … ” Les derniers mots du garde numéro 112 furent interrompu par une lame d’acier noir.

” Elle ? Mais butez-là bon sang, vous attendez quoi ? ”

Faisant défiler de nouveaux clichés, il constata en effet qu’il s’agissait d’une femme, ses longs cheveux noirs encadrait un visage agréable, même déformé par la rage de tuer, une fleur de lys tatouée sur la joue aurait pu la rendre charmante en d’autres circonstances. Le blouson et le masque lui avait bien caché son identité. Quoiqu’il en soit, homme ou femme, ce saboteur n’allait pas s’en sortir.
Sur le toit le combat sembla se terminer, finalement acculée par les renforts, l’intruse se dirigea en désespoir de cause au bord du toit. Plusieurs blessures déchiraient ses flancs, sa poitrine et ses jambes.

” Halte, ne bougez plus vous êtes coincée ! Lança un des garde. ”

Loin de s’arrêter, elle monta sur le rebord, se tourna vers les gardes et se laissa tomber dans le vide. Une chute de plus de cinquante mètres sur les rochers puis dans les flots en contrebas. Aucune chance de s’en sortir, pas dans son état en tout cas.

” Patrouille 47, c’est fini, on descend récupérer le corps et on vous l’amène.
– Bien reçu 47. A tous, faites moi le ménage, je ne veux plus une trace de tout ce foutoir.
– Il va être difficile de faire disparaître toutes les traces, ne pensez-vous pas superviseur ? dit une voix dans le dos d’Aravhe qui se retourna lentement, sachant déjà qui il allait découvrir.
– Intendant, je ne savais pas que vous étiez ici, depuis quand …
– … je suis cette malheureuse affaire ? Disons depuis que le conseil a été dérangé par une violente secousse. Je pense que vos avez beaucoup de choses à expliquer ! Suivez-moi, le superviseur Neav prend votre place. ”

L’ex-superviseur de sécurité Aravhe regarda une dernière fois ses écrans, derrière la fenêtre blindée, les opérateurs ne remarquèrent pas le changement et tout reprit comme si rien ne venait de se passer.

Les procédures des programmes de surveillance furent réinitialisées. Un seizième opérateur irait bientôt prendre sa place dans la grande salle blanche.

Les commentaires de Baal-Moloch

  • L’idée du sabotage plutôt qu’un assassinat m’a beaucoup plu.
  • Le personnage du superviseur bien installé : j’ai toujours aimé rajouté des détails sur les persos même si ça n’apporte rien de concret à l’histoire, ce qui est le cas ici. ça donne plus de crédit et d’épaisseur.
  • La mort de NL n’a rien d’impressionnant mais tape juste : chute fatale logiquement mais elle s’en ai p’têt ben sortie… va savoir.
  • En bref, du tout bon !

Mon commentaire

Ma contribution à Nine Lives, l’assassin créée par Baal-Moloch dans ses récits, ou comment raconter une histoire de sabotage sans la raconter par le saboteur.

Le point de vue est donc celui du saboté et plus précisément celui qui devrait éviter ce genre de désagrément.

Un texte amusant à écrire, un bon souvenir.


Texte écrit pour le challenge d’écriture n°12

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