Nam Prioris

6

Les lendemains de “fêtes” sont toujours difficiles. Malgré mon envie de rester au pieu, j’arrive à me convaincre, non sans quelques négociations avec moi-même, à ouvrir les yeux. A quelques centimètres au-dessus de moi, deux visages hagards me fixent avec curiosité. Doky et Murdock m’offrent un regard proche de la débilité profonde. Notez bien qu’avec ce qu’ils ont encore dû s’envoyer cette nuit, je doute fortement qu’ils soient capables d’un quelconque raisonnement intelligent. Et ma théorie se confirme lorsque je les regarde plus attentivement : ils n’ont plus qu’une crête de cheveux du front à la nuque.

Je marmonne quelques mots hautement philosophiques.
– C’est pas vrai. A vous deux, vous êtes presque aussi futés qu’un ork.
Pour toute réponse, ils pouffent comme des vierges effarouchées.

– Tu daignes enfin te réveiller ? C’est le Sergent. Bien. Enfile ton paletot et vient me rejoindre dehors, on a à discuter pendant que ces amuseurs de service finiront de se raser le crâne. Ce genre de conneries, c’est bon pour les civils.

Quelques instants plus tard, je rejoins Gustavo qui m’attend près d’un vieux baril vide et rouillé. Il me tend un gobelet de café brûlant.

– Ray, j’le sens mal.

Ah ! Quand il m’appelle comme ça, c’est plus l’officier qui me parle mais mon copain d’enfance, celui avec qui, étant gosse, j’ai parcouru les étroits tunnels sous la capitale de Capella pour dénicher les Stealers à grands coups de lance-flammes. En dix ans, j’ai quasiment tout vécu avec ce gars et c’est l’un des rares hommes que je qualifierai sincèrement de compagnon d’arme.

– Quoi Gus ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
– On r’met le couvert dès demain matin. Ça va être coton.
– Autre jour, même routine. (J’ai décidément un don pour la phrase-bateau, non ?)
– Tu parles. Tuomas nous fait l’honneur de nous désigner comme l’escouade QG de la prochaine mission.
– Je vois toujours pas où est l’embrouille. C’est pas la première fois qu’on escorte le Major.
– Je te fais le topo : intervention en Land Speeder, moitié de l’équipe avec le Paternel, l’autre dirigée par toi… avec Claytus.
– Et merde !

Là, j’dois ouvrir une parenthèse pour vous expliquer qui est ce fameux Claytus. Un fou, un illuminé. Il nous a rejoint y’a bien six ans de ça, durant la campagne de la Faille des Aquitaines contre les Nautils. C’était un de ces gamins naïfs qui avait fait quelques années d’étude au sein de l’Ecclésiarchie avant de vouloir incorporer, seul l’Empereur sait pourquoi, les Chimères Pourpres.

Au début, c’était un marrant, à chaque situation il trouvait le moyen de nous sortir un proverbe impérial. Mais il a fondu un câble quelques semaines plus tard lorsque son parrain, j’ai oublié son nom depuis le temps, a été décapité. Sans que personne ne le sache, Claytus a conservé son crâne pour le nettoyer et le polir, et le boulonner ensuite sur une tige de métal. Il y a alors ajouté du barbelé pour figurer une espèce d’aura crépitante. Au combat, il s’en servait comme sceptre et l’idée a plu au Major Tuomas. Il voulait que les Dead Kings aient eux aussi leurs Chapelains, un peu à la manière des Space Marines, et désigna Claytus aumônier.

– Mais j’ai fais quoi pour mériter ça, moi ?
– Et moi donc ? J’suis obligé de me coltiner la Nounou. Ce coup-ci, il me garde un chien de sa chienne et j’ai sacrément intérêt à m’en méfier. Tiens, d’ailleurs le p’tit nouveau est arrivé, tu le trouveras au mess si tu veux le saluer.
– Pourquoi faire ? Ça sert à rien de s’attacher, c’est un mort en sursis. Tu m’en voudras pas, mais après cette série de bonnes nouvelles, j’m’en retourne me coucher.

Y’a des jours comme ça où il vaut mieux ne pas se lever. Le programme de demain risque d’être chaud et à la réflexion, moi aussi j’le sens mal…

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