Nam Prioris

5

Les gars s’accroupissent en silence dans un ensemble impeccable, Josh suit le mouvement comme un vrai vétéran, sans un bruit, tout en déverrouillant la sécurité de son fusil. Gustavo se porte vers l’avant à côté de Bishop qui, sans un mot, montre nos camarades de jeu pour aujourd’hui. Je vois mal les gestes, Nounou me cache la vue et surtout, je zieute nos arrières, on n’est jamais trop méfiant.

Apparemment ce sont deux patrouilles en train de faire une pause ou d’attendre quelque chose. On a vraiment l’impression que ces Namiens sont comme chez eux, ils ne pensent jamais qu’on peut leur tomber dessus n’importe où, n’importe quand. Qu’est-ce qu’ils croient ? C’est pas parce qu’on a pris quelques kilos de mortier l’autre soir qu’on va rester au fond de nos trous. Grave erreur d’appréciation les zigs.

Pour sûr, d’un autre coté, ils sont bien chez eux, c’est encore nous les intrus.

Le Sergent nous donne nos positions : Bishop et Gambit sur la droite, Vallenciaga, Doky et Murdock sur la gauche, Nounou et moi au centre, Josh avec lui en soutien au cas où. Schéma tactique, on le connaît par cœur.

Joshua me jette un regard avant de rejoindre le Sergent. Je le rassure d’un signe et d’un regard amical – enfin, ce qui s’en rapproche le plus vu la tension qui monte

– Cool petit, quitte pas le Sergent d’une semelle et tout ira bien.

J’aime ces moments de calme surréaliste. On est là dans une jungle détrempée, dégoûtants de sueur, sales comme c’est pas humain de l’être, tranquille quoi, et dans quelques instants, tout va basculer dans une frénésie de tuerie. Le pied !

Doky se sort un petit remontant qu’il se glisse sous la langue, va pas faire bon se prendre une bastos d’ici les deux heures qui viennent si vous voulez mon avis.

Nos arrières sont clairs, mais je reste quand même sur mes gardes pendant que les autres vont rejoindre leurs positions tandis que la Nourrice prépare la sulfateuse. C’est lui qui ouvrira le bal, il adore ça le salaud.

Les potes sont en place, le Sergent donne le signal à Nounou et l’enfer se déchaîne.

Je vois rien quoique j’imagine bien la scène. Les balles fauchent les premiers rangs, les Namiens au centre se précipitent à couvert de toute part pour éviter la trouée mortelle des balles de notre artilleur juste là où les attendent les grenades balancées par Bishop et Gambit d’un côté et celles de Murdock et Vallenciaga de l’autre. Normalement, ils ont pas grand-chose à craindre de celles de Doky : y’a de bonnes chances qu’il ait oublié de les dégoupiller. Ah tiens non, trois explosions de plus que d’habitude, Doky doit s’habituer à son remontant, il lui fait moins d’effet, ou alors il s’est fait arnaquer sur la marchandise.

Le décompte de Nounou m’informe du score. Sa première rafale en a laissé trois sur le carreau ; la seconde, deux de plus. Les grenades surprises ont mis six Namiens à terre. Bref tout est comme d’hab’, pas la peine de me retourner pour…

Nounou se met à gueuler, il vient de se prendre une bastos dans le haut de la cuisse gauche, trois centimètres à droite et Nounou aurait ramassé ses bijoux avec les douilles de sa sulfateuse, il hurle comme un goret. Gustavo lui dit de la mettre en sourdine et de reprendre l’offensive. Nounou l’envoie balader, le ton monte. Ils vont pas se mettre sur la gueule maintenant quand même !

Alors que je veux me retourner pour voir où ils en sont, un mouvement attire mon regard. Ni une ni deux j’allume. Les fils de chien ! Ils ont encore essayé de nous entuber. Dommages mes cailles, c’est Corax qui reçoit aujourd’hui et il est pas d’humeur.

Pendant que j’aligne les cartons, les tirs de la “cracheuse de mort” reprennent alors que Nounou beugle toujours qu’il veut un rapatriement. Un bruit sourd m’informe que le Sergent vient lui signifier une fin de non-recevoir. Gustavo un, Nounou zéro.

Lors d’un changement de position, afin de pas me faire repérer trop facilement, je vois que c’est Josh qui paye sa tournée aux Namiens. Ces cons ont cru qu’une fois notre artilleur hors de combat, ils pouvaient nous foncer dessus. Ça, c’est mal connaître les Dead Kings. En même temps, comme on n’a pas l’habitude de laisser des survivants, ils ont du mal à raconter nos tactiques à leurs potes, histoires qu’ils se fassent pas avoir eux aussi.

De mon côté, c’est clair, quelques tirs plus sporadiques m’informent que la situation est en passe de se terminer. Le Sergent fait le tour, termine les blessés d’un bolt bien placé et balance une carte du Tarot de l’Empereur sur chaque cadavre. Notre signature.

Nounou est toujours dans les vapes. Il aurait dû se rappeler que le Sergent à une bonne droite. Doky s’approche pour voir son patient.

– Tiens Corax encore parmi nous, ça c’est bien passé pour toi ?
– Impec mec, t’as ton matos de boucher ? Y’a Nounou qui pisse rouge là.
– Du calme, il va pas crever le frangin, j’m’en occupe.

Regardant Josh.
– Bien joué p’tit.

Le gosse est encore agrippé nerveusement à la mitrailleuse. Je crois qu’il se rend pas bien compte de ce qu’il vient de faire. Comme baptême du feu, c’est pas mal, je compte cinq corps, joli score pour un bleu.

– C’est bon Josh, tu peux la lâcher maintenant, de toute façon y’a plus de balles.

Je lui donne une ch’tite tape derrière la nuque, il lâche la gâchette, le barillet ralentit doucement sa rotation dans un sifflement aigu.

– Bienvenu chez les Dead Kings, gamin.
– Ouaip, lâche Gambit – pas bavard comme à son habitude.
– Tiens, prend en une rasade, lui propose Bishop en lui tendant sa gourde.

Chacun y va de son petit mot sympa, même le Sergent lui donne une tape dans le dos. Y’a que Nounou qui dit rien vu qu’il est encore dans le gaz…

Au retour au camp, il va y avoir un nouveau Dead King.

Doky s’est occupé bien comme il faut de Nounou, il nous a fait le rituel complet, une aubaine pour Josh qui va comprendre pourquoi il faut pas prendre de balles quand on part avec Doky, outre le fait qu’on peut en crever je veux dire.

D’habitude il peut pas, les gars sont pas d’accord, mais là vu que Nounou pouvait pas dire le contraire.

D’abord le fiole de 4, toujours, puis le scalpel de 30, toujours après et pour finir la bande de 50. La fiole de 4 c’est son désinfectant, dans chaque fiole, 4 doses : une dose pour Doky, une dose pour la plaie, une dose pur Doky et un dose pour le patient ; pour le coup la dernière dose a été pour Doky. Ensuite le scalpel de 30, juste un petit souvenir ramené de Capella, 30 centimètres de bon acier de Catachan trouvé sur Capella. Un coup de poigné expert et l’éclat est éjecté de son logement. Pour finir la bande de gaze appliquée et maintenue comme elle peut sur la plaie. Et voila, un vrai travail de boucher je vous dis. A son réveil Nounou a même pas remercié Doky, quel ingrat, pour une fois qu’il a rien senti.

Le reste de la patrouille s’est passé tranquillement et on est rentré par le même chemin. La Nourrice a pas lâché un mot durant tout le trajet du retour mais si ses yeux avaient été des laser, sûr que je serai devenu le nouveau boss de la 3ème escouade.

C’est Josh qui a porté le bébé de Nounou sur le retour, ce dernier n’arrêtant pas de l’engueuler dès qu’une branche frôlait son précieux engin de mort.

Arrivée au camp, le Sergent est parti faire son rapport, nous on s’est préparé pour la cérémonie, surtout Doky, c’est encore lui le plus occupé : c’est lui qui prépare le DK. Josh est pas tranquille tranquille, il m’a cuisiné toute la soirée pour en savoir un peu plus sur la cérémonie mais je préfère lui laisser la surprise.

A l’heure des quartiers-libres, on s’est dirigé vers le “bar”. On y a retrouvé tout le monde et, comme à chaque fois, c’était une soirée privée. Les Dead Kings n’invitent personne pour l’intronisation d’un des leurs.

Doky a servi la première tournée de DK à l’équipe et on se l’ait enfilée cul-sec. On appelle la mixture de Doky le DK, un nom comme un autre parce qu’on veut pas trop savoir ce qu’il y met. Chacun a servi le sien, l’ambiance est montée, Josh s’est détendu voyant que finalement ça se passait plutôt bien. Quand ça a été son tour, on l’a tous regardé d’un œil mauvais et le Sergent à commencé le rituel :

– T’es qui toi pour offrir une tournée aux Dead Kings ?
– Un Dead King, Sergent, qu’on a repris en cœur avec notre air toujours aussi sérieux.
– J’vois pas d’tatouage les gars, c’est mes yeux ou les traditions se perdent ?
– Non Sergent, c’est juste un bleu.
– Doky, aiguille.
– Oui Sergent, avec plaisir.

Le Sergent s’est alors emparé de l’aiguille de tatouage.
– Relève ta manche soldat.

Josh s’est exécuté. Le Sergent entame le dessin puis chacun de nous l’a complété et j’ai fini le travail en écrivant les mots “Dead King” sous le crâne couronné, l’honneur du parrain.

– Soldat, te voila un Dead King à présent, honore tes compagnons et ils seront toujours là pour toi. Et maintenant tu peux nous offrir un verre.

Josh est désormais un Dead King, un tatoué, un vrai.

On a fini la nuit en se remémorant les gars tombés avant lui, on est un Dead King pour la vie et pour la mort aussi. J’ai fait les comptes comme à chaque fois et j’en suis à mon 28ème DK, j’me rappelle chacun des gars qui sont passés par ce rituel depuis le mien et on est tous pareil. Gustavo en est à son 37ème, Doky son 25ème, Gambit n’est plus le jeunot, il a enfin son 1er DK.

Nounou et Gustavo se sont tirés la tronche et on a même dû les empêcher de se battre à deux reprises. Mais on leur a rappelé où on était et ce qu’on faisait, ça les a calmé, un peu.

Demain la Nourrice va chercher le remplaçant de Spoon, j’espère seulement qu’on aura le temps d’en faire le 10ème Dead King de l’escouade.

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