Nam Prioris

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Je hais le climat sur cette fichue lune ! Il y a encore quelques minutes, un soleil de plomb, harassant, et maintenant, la pluie. Dans cette atmosphère chaude et oppressante, l’eau dégouline de façon désagréable le long de mon échine malgré mon poncho. Je me sens poisseux et sale. Seule me réconforte un peu cette odeur si caractéristique du bitume, chauffé à blanc et à présent détrempé, de l’aire d’atterrissage où j’attends comme une âme en peine l’antigrav.

Je suis de corvée aujourd’hui, c’est à mon tour de chaperonner le bleu qui doit intégrer le peloton Dead Kings. Le petit nouveau va descendre de l’engin et Dutch va monter à sa place, confortablement installé dans son sac bleu nuit. A cette pensée, je me marre un bon coup : pour sûr, Dutch ne se plaindra pas vu qu’il n’a plus de tête…

Le voilà. Bon sang ! Ce n’est encore qu’un gamin, même pas seize ans. D’un air fier et solennel, il s’avance vers moi et me fait le salut réglementaire tout bien comme il faut. Je lui rentre dans le lard tout de suite, histoire de le mettre au parfum.

– Tu peux te garder ton cérémonial, le gosse. J’ai pas du tout envie de me prendre une bastos dans le crâne parce qu’un sniper embusqué croit shooté un gradé ! Tu penses p’têt que maintenant t’es une vraie Chimère Pourpre pour avoir survécu à l’instruction, mais ce n’était qu’un avant-goût de ce qui t’attend ici. Alors évite de faire ton mariolle, colle-moi aux basques comme un bon p’tit toutou et évite de déconner. Si tu survis, je pourrais p’têt alors te considérer comme autre chose qu’un morceau de barbaque.

Pour sûr, mon p’tit discours a fait son effet. Le cadet est aussi blanc que ses épaulettes. J’en profite pour repasser immédiatement la seconde couche.

– Je suis ton parrain, chargé de t’apprendre la vie, la vraie. Je m’appelle Corax Stingray et… et je t’invite à effacer tout de suite ce petit sourire narquois de ta sale gueule. C’est ma maman, une femme très pieuse, qui m’a donné ce prénom.

Le gamin s’exécute, tout penaud. Voilà une bonne prise en main comme je les aime. Je leur débite à chaque fois le même laïus et ça marche à tous les coups. Je lui tourne le dos et me dirige vers nos baraquements. Ni une, ni deux, il m’emboîte le pas sans poser la moindre question. Bien. Sur le trajet, je lui récite le troisième verset de “l’accueil du bleu”.

– Tu l’auras certainement deviné comme un grand, ici c’est pas Capella. Quelques villes minables, de la jungle et des rizières, rien d’autres sur cette satanée lune. Le décor de Nam Prioris est des plus monotones, mais ne t’y trompe pas ! Le danger et la mort t’attendent à chaque pas, c’est notre lot quotidien. Ici, on peut compter que sur nous et certainement pas sur ces pétochards de FDP ! Ils n’ont même pas été foutus de pacifier le secteur et même que la moitié d’entre eux ont rejoint les indépendantistes de nord, c’est dire.

Le temps de faire ce monologue, nous avons rejoint notre campement. A priori, ça ressemble à une série de tentes, classique. Pourtant, faut pas se fier aux apparences : ce ne sont que des bâches soigneusement disposées pour couvrir nos bunkers. Si l’envie prend l’adversaire de nous attaquer, ses premières vagues d’assaut se casseront les dents sur notre plasbéton. Encore une bonne idée du Major Tuomas. C’est déjà lui qui avait pensé à laisser sur les cadavres ennemis cette imitation du Tarot de l’Empereur avec notre emblème au verso, un crâne couronné, le Dead King. Genre c’est notre signature quoi. Je fais rentrer le mioche dans notre blockhaus, noyé dans la fumée de barrettes de Lho, les copains sont tous tranquillement installés sur leur couchette.

– Bienvenu dans la 3ème escouade ! Laisse-moi faire les présentations. Sur ta droite, en train de jouer de l’harmonica, Spoon. Juste derrière lui, le gars qui pieute comme un bébé, Vallenciaga. Et là, au fond, la Nourrice. On l’appelle comme ça parce que pas un seul des jeunots dont il avait la charge n’est resté vivant plus d’une semaine. Le reste de l’équipe est avec le Sergent Gustavo, en patrouille cette nuit. Les gars, voici le digne remplaçant de Dutch… Et mais tu t’appelles comment déjà ? Joshua ? Bon ben voici Joshua.
– Il est pas tatoué, marmonne Nounou tout en taillant un bout de bois avec son couteau.
– Hein ?
– Il est pas tatoué, j’te dis. Il a pas son Dead King.
– Et alors ? J’viens de te dire que c’est le nouveau, fraîchement débarqué. Il n’a même pas encore été au feu. Si il est toujours vivant dans un mois, alors il pourra se faire tatouer, pas avant.
– Depuis quand c’est toi qui décide, Sting’ ? Tu te prends pour un cador ? Toujours à te croire supérieur aux autres, à jouer les vétérans.
– Hé la Nourrice ! Je suis un vétéran. Moi, j’ai bouffé du tunnel sur Capella à chasser du Stealer et toi ? Ce gosse est sous ma responsabilité et je décide pour lui, okay ?

Pour toute réponse, j’ai le droit à un grognement. Stingray un, Nourrice zéro. Allé hop, la sieste.

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