Nam Prioris

13

Après quelques heures d’un repos bien mérité, je m’extirpe non sans quelques difficultés de mon paddock. Je zieute autour de moi, personne dans le baraquement. Merci les copains, c’est sympa de s’occuper de moi comme ça.

Mon estomac crie famine. A vue de nez, j’dirai qu’il est l’heure de casser la croûte. L’averse n’ayant pas cessé, j’enfile mon poncho et trace directe vers le mess. J’m’occuperai de faire un brin de toilette plus tard.

Comme par hasard, la cantina est à l’opposé du campement. C’est donc avec les bottes pleines de boue que j’arrive enfin sous l’immense tente de la cambuse. Je me saisis aussitôt d’une écuelle en métal que je tends avec avidité au cuistot de service, un boutonneux à l’air abruti. Au menu, grox sauce catachanne. Il ne fera pas bon dormir le museau sous la couette c’te nuit, c’est moi qu’il vous l’dis.

J’avise mon équipe au fond du réfectoire, tous accoudés sur une immense table à tréteaux, près d’un gros poêlon noirâtre.

– Salut les aminches, quoi de neuf ?

J’ai le droit à tout un panel de réponses : salut plus ou moins réglementaire et enjoué des trois piou-piou, sourire idiot de Doky et Murdock, grand bonjour de Val’, grognement approbatif de Gambit et même une main au cul de la part de Bishop à qui il faudra que j’explique un des ces quat’ l’art de la bienséance en société.

Y’a que ce gros lourdaud de Nounou qui m’ignore royalement, la tête plongée dans son assiette fumante. On est encore tous un peu sur les rotules, je l’excuse cette fois-ci.

On s’échange quelques banalités, on se raconte nos exploits individuels (plus ou moins vrais) lors de notre chasse aux cafards et on s’marre un bon coup. La bonne ambiance est de retour.

– Que l’Empereur me tripote ! Ce serait-y pas là Stingy et sa bande de bras cassés ?

Ça vient de derrière moi, mais je ne bronche pas : je connais cette voix nasillarde. Joshua m’interroge du regard. Je me penche vers lui comme si que j’voulais lui confier un secret, mais je parle bien fort pour que tout le monde entende.

– T’inquiète pas, le Clebs ne sait faire qu’aboyer, il ne mord pas.
– Pour toi, et pour tous les autres, c’est Carmine Canis. Le Sergent Carmine Canis de la 2nde escouade.

Un gros “Wou-ah !” ponctue la fin de sa phrase.

– Ah ben tiens, le Clebs est venu avec toute sa portée aujourd’hui.
– T’as décidément une trop grande gueule, Stingy.

Alors là, je me lève lentement, imité par mes gars, même la Nounou, qu’est jamais le dernier pour une bonne bagarre. Je me retourne, toujours aussi lentement, pour faire face au Clebs. Le bonhomme ne m’impressionne pas : il est épais comme un coton tige anorexique. Par contre, les aut’ guignols qui l’accompagnent sont des clients un peu plus sérieux, surtout les deux grands blacks qui lui servent de garde rapprochée.

A moi droite, Fat Domino, 120 kg tout mouillé. Des battoirs aussi grosse que ma tête et des pouces comme des pelles à tarte (tarte qu’il aime d’ailleurs à distribuer gratuitement). A ma gauche, Washington, frôlant approximativement le quintal. Un casque tout cabossé de Blood Bowl vissé sur le crâne. Le reste du groupe est grosso merdo dans les mêmes proportions. De beaux gros bébés quoi.

– Et ça semble te poser un problème… Le Clebs.
– T’es qu’un mariole, Corax. Toi et ta tripotée de losers ne perdez jamais une occasion de faire les malins et ça en gonfle plus d’un ici.
– Genre ?
– Genre la ch’tite vanne que vous avez fait à Rippert et à la 5ème l’aut’ nuit. Si un jour il te prend l’envie de renouveler l’expérience avec la 2nde escouade, je te jure que je t’en ferai chier.
– Et tu me rendrais un sacré service : pauvre de moi, je suis apopatodialatophobique.

Je sais ce que vous allez me dire : je pousse un peu. Mais depuis l’temps que je voulais le placer ce mot-là. Oh que ça fait du bien. Canis en est comme deux ronds de flan et baragouine quelques mots. Autour de nous, ça commence à rigoler. Le Clebs ne veut pas perdre la face et met les deux pieds dans le plat.

– Tu vaux vraiment pas mieux que ce con de Gus, tu sais ?

Gravissime erreur. Je sens une grosse colère des familles montée en moi. Les vertus apaisantes du coup de boule n’étant plus à démontrer (elles sont même reconnues d’utilité publique je crois), je lui en assène un de bon cœur, lui mettant le nez en parasol. Ça va p’têt pas le calmer lui, mais ça m’défoule moi.

Et vlan ! Baston générale !

Ni une, ni deux, la Nounou saute sur la table, prend son élan et se jette sur la 2nde qui s’écroule comme un château de cartes. Gambit, Bishop et Val’ viennent nous prêter main forte, suivis par Murdock et Joshua après un bref instant d’hésitation. Les jumeaux se regardent, haussent les épaules et s’accrochent chacun à l’un des bras de Fat Domino. Doky, courageux comme personne, choisit la seule cible à sa taille : le bleu.

Quelques chaises volent et d’autres types se joignent aux festivités. Ils vont être privés de dessert, mais ils s’en foutent.

Je choppe Carmine par le col de chemise. Il pisse le sang comme c’est pas permis. Paf ! Paf ! Paf ! Trois droites dans sa tronche. Je tente la quatrième et le gonz en profite pour plonger sur moi et me plaquer au sol. On roule par terre, on s’échange des coups. Même pas mal.

Du coin de l’œil, j’aperçois la Nounou et Washington, qui a heureusement perdu son casque, se frappant chacun son tour. Manifestement, le premier qui tombe a perdu.

Carmine me touche à la tempe, je vois 36 chandelles avant de me ressaisir et de lui planter mes deux genoux dans l’estomac. Je me redresse et le balance sur la table, il a son compte.

La plupart de mes hommes s’en sortent bien, même Josh’. Wedge et Biggs sont toujours collés à Fat Domino qui remue des bras comme un oiseau, n’arrivant pas à se dépatouiller de ces deux énergumènes. Y’a évidemment que Doky qui se prend une dérouillée par le cadet.

Je me retrouve happé en arrière. C’est le Clebs, titubant, qui en redemande. On se refile encore quelques baffes, je prends le dessus. Je m’apprête à lui porter le coup de grâce lorsque le hululement d’une sirène se fait entendre. C’est une alerte.

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