Nam Prioris

SHAPIRO


Le champ de vision de Shapiro est assez réduit : Stingray penché sur lui, le visage maculé de boue, tente vainement de comprimer la plaie sanguinolente dans son abdomen et lui dispense quelques mots afin de le rassurer. À moins que ce ne soit lui-même qu’il essaye d’apaiser, de convaincre.

– T’inquiète pas mon vieux. Ça n’est rien du tout. Ils vont bientôt arriver. Reste éveillé s’il te plaît.

Au second plan se mélangent aux vents les fumerolles rouges des fumigènes. Ces derniers sont dispersés ci et là, dans une clairière aux hautes herbes grasses, pour les Land Speeder chargés de les rapatrier. Quelque part, au loin, il perçoit des tirs sporadiques.

– Alors ? Résultat du match aller ?
– Les méchants sont en déroute. T’as flingué le salopard qui t’as tiré d’ssus. T’es un vrai revanchard, toi.
– Ah bon ? J’m’en souviens pas. Juste un réflexe… Où est Doky ?
– Il s’escrime sur un gonze de la 5ème escouade. Il devrait pas tarder.
– Rien ne presse : je sens rien.

Corax se contente d’esquisser un pâle sourire, sans grande conviction. Inutile de se mentir, tout deux savent pertinemment que ce n’est pas bon signe. Shapiro est pris d’une quinte de toux, il crache du sang.

– L’agence de voyage a pas fini de m’entendre, tu peux m’croire.
– Je sais, je sais. Ça va déjà mieux : tu recommences à râler.
– J’vais crever ici.
– Dis pas ça.
– C’est drôle : j’pensais qu’à ce moment-là j’aurais les foies. J’pensais même que j’allais chialer. Et puis finalement, rien. On se tape la discute comme si de rien n’était. Marrant…

Nouvelle quinte de toux et encore du sang qui lui rougit les dents et le menton. Sa respiration se fait plus courte, plus haletante. Il regarde dans le vide tel un aveugle.

– Tu t’souviens ? On a appris plein de trucs dans les tunnels de Capella et encore plus à l’instruction. Pourtant, on nous a jamais expliqué comment mourir.
– J’ai pas oublié, non.
– Opération de routine, mission de reconnaissance. Tu parles d’une blague.
– Nom d’un chien, Doky ! Tu vas finir par ramener ton gros derche ici ?! J’ai… Shap’ a besoin de toi !
– Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? J’ai encore plein de choses à vivre, bordel.
– Chuuut. Garde ton calme.
– Ho ! Laisse donc un macchabée en sursis divaguer autant qu’il veut, merci. Et puis vire tes paluches de là, ça sert plus à rien.

À contrecoeur, Stingray relâche la pression sur la blessure et se glisse prudemment derrière Shapiro. Il lui lisse un peu les cheveux et le berce doucement. Il se sent con dans cette position mais n’ose plus changer de peur de lui faire mal.

– Bon… Bon sang. On va passer pour deux tarlouzes.
– On s’en moque. Il est bien temps maintenant que l’on sorte du placard.
– Ha ! Ha ! Nan, déconne pas.
– Désolé.
– Pas de souci. En… En un sens, j’ai tout de même du bol.
– Ah bon, tu trouves ?
– Ben ouais. Manquerait plus qu’il pleuve.

Ils se laissent à rire. Ça n’arrange rien pour les corps, pourtant ça fait du bien à l’âme. Tout en ricanant, Shapiro fouille dans sa veste et en ressort un portefeuille. Corax l’aide à y prendre une vieille photo écornée aux couleurs passées. Il l’a vue déjà un millier de fois, si ce n’est plus.

– Samantha…
– Elle est très jolie.
– J’peux bien te l’avouer : cette photo était déjà dans ce morlingue quand j’l’ai acheté. Y’a jamais eu personne qui m’attende au pays.

Stingray ne répond pas. Que pourrait-il répondre de toute façon ? Il comprend. C’est pareil pour lui.

– J’ai… J’ai soif.

Corax se tortillonne pour extirper à son tour de sa poche-revolver une fiasque sur laquelle est gravée l’emblème des Dead Skulls et la porte aux lèvres de son camarade.

– À ta santé.

Mais Shapiro ne boit pas. Shapiro est mort.

– Vaya con Emperador, mon ami, mon frère.

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