Nam Prioris

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Il fait nuit et il pleut. Encore. Le duel de l’artillerie s’apaise. Les méchants d’en face semblent ne pas apprécier non plus ce climat à la gomme. Pas d’attaque ce soir donc, enfin pour l’instant : on a prévu une opération de sabotage pour un peu plus tard. On leur prépare un chouette beau feu d’artifice, j’vous dis qu’ça.

Moi, plus ou moins bien installé dans un boyau aménagé par mes bons soins à même une tranchée, j’essaie de trouver le sommeil, non sans mal… Me retrouver coincé dans cette espèce de conduit n’est pas sans me rappeler les patrouilles qu’on effectuait dans les horribles égouts de Capella quand j’étais gosse. La Chasse aux Bêtes. Il n’y avait que les rejetons, orphelins désignés volontaires, qui étaient assez petits pour patrouiller dans les étroits tunnels puants qui cheminaient sous le sol de la capitale. Notre boulot : débusquer les créatures ayant survécues aux événements du Jihad Noir. Croyez-moi que c’était pas facile à vivre, effrayant même, quand vous réalisez que les monstres de votre enfance existent vraiment, et qu’ils peuvent vous bouffer tout cru. J’en ai vu des pauv’ mômes se faire massacrer. Ceux qui s’en sont sortis (pas franchement sains et saufs d’ailleurs) ont formé plus tard les premiers régiments des Chimères Pourpres.

Quelque part au loin, on peut entendre Claytus distribuer la bonne parole et s’égosiller comme un beau diable.
– Sus à l’ennemi ! Pourfendez les païens en Son nom !

Le gus s’enfonce tous les jours en plus dans les méandres de la folie. Sa dernière lubie, avant de repartir pour le front, a été de se faire pyroscarifier une Aquila sur le front, histoire d’éprouver et démontrer sa foi qu’il raconte à qui veut l’entendre (ou pas).

Comme si ce cinglé ne suffisait pas à mon bonheur, le Commissaire Ungern traîne dans les parages comme un prédateur à la recherche d’une nouvelle proie, inspectant chaque recoin du campement. Menton fuyant, mâchoire carré, nez écrasé et regard mauvais, cet empaffé a tout du bulldog prêt à mordre. Un conseil : nous vous fiez jamais à sa carrure trapue et sa bonhomie apparente. Hier encore, il s’est installé sur une butte, bien à la vue de tous, amis comme ennemis, et a exécuté sommairement un prisonnier et un Capellan pas assez efficace à son goût, afin de prouver notre détermination soi-disant. Tu parles ! Tous les prétextes sont bons pour ce boucher quand il s’agit de faire couler le sang. Sûr qu’il doit prendre son pied à chaque bougre qu’il descend.

Et pour compléter le tiercé gagnant, v’là ti pas que débarque la Nounou ! Je suis maudit…

– Hé Sting’, regarde mon nouveau copain

Un rat, presque aussi énorme qu’un Hrud, se promène le long de ses épaules. Affectueusement, le gros bébé lui donne un petit bout de pain rassis à grignoter, tout en souriant béatement.

– Il est marrant, nan ? J’vais l’adopter et l’appeler Gus.

A peine a-t-il dit ces mots que je saute à pieds joints de mon pieu de fortune et atterri direct sous son nez, lui plantant l’index dans le thorax.

– Ouvre tes ruches à miel et écoute-moi très attentivement, bille de clown. Et de une, n’envisage pas une seule seconde de donner le nom de Gustavo à cette saloperie de rongeur. Et de deux, balance-moi cette vermine illico avant qu’elle ne te file la chtouille ou une autre saleté. Y’a rien de plus dégueu que ce genre de bestiole !”
Le géant me regarde indécis et larmoyant, la lèvre inférieure tremblotante.
– Mais Ray, mate-moi comme il est tout mignon. J’te promet que j’en prendrai soin.

Irrécupérable…
– Rien à taper mon vieux. Si Ungern ou le Major te voit avec cette cochonnerie, tu vas passer un très mauvais quart d’heure, et moi avec pour le coup. Alors tu t’en débarrasses maintenant et dans la foulée, t’en profites pour rassembler les troupes. Et ça mon bonhomme, que ça te plaise ou non, c’est un ordre, kapiche ?

Il demande pas son reste et disparaît vite fait. Ma main à couper qu’il va quand même garder sa mascotte. Je sais, je sais ce que vous allez me dire : que je tire trop sur la corde avec lui et que je prends des risques. Pourtant, je dois pousser ce grand benêt dans ces derniers retranchements pour voir jusqu’où il est capable d’aller. A l’occas’, faudra que j’en fasse autant avec Doky.

J’me grille tranquille une barrette de Lho en attendant le retour de la 3ème escouade. Je savoure ce petit moment de répit. Le calme avant la prochaine tempête…

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