Nam Prioris

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Nan, vraiment, que du bonheur pour moi aujourd’hui. Mon plus vieil ami mort d’une façon plus que douteuse, me voilà malgré moi à la tête de la pire bande d’abrutis qui soit. Et croyez-moi j’en sais quelque chose puisque j’en suis un moi-même.

La dernière vanne de Nounou volète au fond de mon crâne tel un insecte autour de la flamme d’une bougie, prêt à s’embrasser. Provoc’ ou aveux ? J’arrive pas à me décider et ça m’agace…

Ce dernier n’a pas arrêter de se marrer tout seul en se curant les ongles avec son surin. Je sens bien que ça tourne pas rond. Ma montée en grade peut-être ? Va me falloir trouver un juste équilibre entre le pote et l’officier si je veux que la sauce prenne.

Retour sans incident aux pénates, à l’exception de l’inévitable réapparition de la pluie, pour les survivants de cette fugace excursion et là, badaboum ! Les piou-piou sont déjà là ! Trop efficaces les p’tits gars du Munitorum. Je consulte fissa le carnet, mon carnet maintenant.

– Val’, Bishop, avec moi. C’est vot’ tour de chaperonner. Jouez-la-moi larges d’épaules devant les gosses.

Je prends mon air le plus mauvais, genre le Commissaire Ungern inspectant les troupes, et me dirige d’un pas résolu, flanqué de mes deux molosses, vers les troufions qu’on nous a affectés. Marrant ça, des jumeaux. On me l’avait encore jamais faîte celle-là. Wedge et Biggs qui s’appellent, pas foutu de pouvoir dire qui est qui… Je leur rentre dans le lard de suite.

– Okay les bleusailles, que je vous affranchisse. Les énergumènes derrière moi sont vos parrains. Fini la rigolade pépère du camp d’entraînement. Ici, ça chauffe à tout va, ça dépote à toute berzingue et ces méchants mecs vont vous apprendre à vous brosser les dents avec du barbelé, pisser de l’acide et vous fondre dans le décor, vous adapter, ne faire qu’un avec la nature quand les chiottes sont bouchées. Vous allez devenir de vraies Chimères Pourpres, bienvenus chez les Dead Skulls.

Mes gardes-chiourmes me font aussitôt écho.
– Wou-ah !

A peine ai-je tourné le dos aux gamins, plutôt content de mon speech, que l’un d’eux se permet un bon mot.
– En même temps, j’m’en fous, j’suis constipé en ce moment.

Je m’apprête à passer un savon des familles à ces gros malins sans distinction quand un autre moutard débarque de je ne sais où et me coupe dans mon élan : il me livre un mot doux du Major Tuomas. Mais c’est pas vrai ça ! Même pas l’temps de se refaire une beauté, on repasse la seconde couche dès ce soir !

– D’accord mes mignons, vous ne perdez rien pour attendre. Embarquez vos paquetages, oubliez vos crèmes solaires, on décolle illico pour le front ! Bain de boue au programme.

Alors là, que je vous explique. A ce que pourrait croire le civil moyen ou le planqué, la guerre de tranchées est synonyme d’inaction, limite de détente bien à la cool. Tout faux ! C’est tout le contraire, un combat ininterrompu, éreintant et sans rémission qui exige une attention de tous les instants, un moral au beau fixe et un estomac en airain.

Le topo : des quantités d’obus tirés à la seconde, des masses d’explosifs divers utilisées, des tonnes de terre remuées quotidiennement pour exécuter de nouveaux fossés et conduits, et surtout, surtout, un nombre de tués et de blessés agonisants de chaque côté. En bref, un séjour trop prolongé dans cet univers idyllique suffirait à transformer le plus aguerris des hommes en misérable lopette pleurnicharde.

Voilà ce qui nous attend… Et zou ! C’est reparti pour les réjouissances.

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