Nam Prioris

8

Adossé à un mur délabré, je prends un gorgeon d’eau tiédasse à ma gourde. Je suis harassé. Une fois de plus, les Dead Kings se sont montrés à la hauteur de leur réputation et ont cassé du rebelle. Les gros méchants ont encore mangé la poussière.

Je vois cet abruti de Doky qui se dirige vers moi. Je sens qu’il va encore me taper sur le système et là, c’est franchement pas le moment, mais je prends sur moi.

– Alors Doky, t’es content de ta journée ? Voilà un bon prétexte pour s’envoyer une dose de DK ce soir.
– Euh… Oui… Si tu le dis. Mais je suis pas sûr d’avoir le cœur à ça.
– Et ben qu’est-ce qui t’arrive, mon vieux ? Ton p’tit organisme ne supporte plus les sensations fortes ? Pauvre chou.
– Ça doit être ça. Euh… Y’a le Patriarche qui te demande. Il est sur la place du village, en train de distribuer le Tarot sur les Namiens.
– Mouais. Il pourra bien attendre quelques minutes le grand manitou, on n’est pas aux pièces. Au fait, t’as vu Gustavo ? J’ai gardé un cigare d’algues au frais pour lui et moi.
– J’crois vraiment que tu devrais aller voir le Major tout de suite. Il a des choses à te dire.

Houla. Y’a cachalot sous gravillon ou je ne m’y connais pas. Cette attitude penaude n’est pas le genre de Doky. Ce mec est un glandeur de première toujours prêt à se faire mousser et à se vanter de ses (faux) exploits au feu. Visiblement, il me ménage et me cache quelque chose. Je le sens, je le sais. La place du village qu’il a dit. Ben allons voir ça.

Sur le trajet, une vieille casemate en bois dont la porte est ouverte. Des lumières bleutés en intermittence sur les murs à l’intérieur, des cris étouffés leurs faisant écho. Curieux comme pas deux, je zieute : solidement harnaché à un chevalet de fortune, un rebelle soumis à la question par le Commissaire Ungern. Brrr… Cet homme me fout carrément les chocottes.

J’accélère le pas et me grouille de rejoindre Tuomas qui grille tranquillement une clope sur un tas de gravats près d’une rangée de cadavres de FDP avec tous une carte à jouer dessus. Les nôtres sont alignés en face dans de grands sacs de plastique sombre. Sept en tout. Et plus je cogite, plus je crois savoir qui est dans l’un d’eux.

Le Major écrase son mégot du talon et me jauge froidement, puis désigne les dépouilles du menton.

– On a eu un peu de casse aujourd’hui. Un peu trop à mon goût même… Tu sais pourquoi t’es là, Stingray ?
– Je le crains, Major. J’ai pas trop envie de le savoir, mais je présume que c’est Gustavo.
– Lui, le p’tit nouveau et cinq autres malheureux bougres. On est tombé sur une poche de résistance. On a salement dégusté. Gus s’est manifestement pris une rafale de mitrailleuse dans le buffet. Va falloir le remplacer à la tête de la 3ème escouade et j’ai songé à toi.
– Négatif Major. Donner des ordres, c’est pas mon genre.
– Je t’ai toujours eu à la bonne, tu sais. Mais je me contrefous de tes états d’âmes. Je te nomme Sergent et ça, c’est un ordre.
– Avec tout le respect que je vous dois Major…
– Tu sais où tu peux te le mettre ton respect ? J’ai d’autres chats à fouetter alors rompez, Sergent.

Je m’exécute. Pas le choix. Sûr que Gus, où qu’il soit maintenant, doit bien se fendre la poire. Je farfouille dans les bodybags : je dois récupérer son carnet noir, reprendre le flambeau.

Si ce n’est son bide ouvert et sanguinolent, il a l’air de dormir paisiblement. Vaya con Emperador, amigo. D’habitude, il planque, enfin il planquait, son calepin à l’arrière de son froc. Doucement, je retourne son corps, soulève le pan de sa chemise et… Nom d’un grox ! C’est quoi ce délire ? Une plaie béante entre les reins.
Un coup de couteau.

J’le crois pas. Une espèce de résidu de chiottes l’a planté dans le dos, en traître. Mais qui et pourquoi ? C’est tout de même pas… Non. Il est pas dérangé à ce point. Si ? J’en aurais le cœur net. Je sprinte dégoter la fine équipe.

Je les retrouve planqués à l’ombre d’un portique délabré, réchauffant des rations. Je respire un grand coup et me lance dans mon p’tit laïus. Va falloir la jouer fine.

– Alors mes cailles, on pique-nique ? J’vous dérange pas au moins ? Enfilez-vous fissa vos tartines, on va pas s’éterniser ici. Et tant que j’y suis, j’ai une bonne nouvelle pour vous : c’est moi qui reprends les rênes. Ils sont contents les Dead Kings ?

Tous en cœur et vachement convaincus.
– Ouais…

Je repère et verrouille ma cible.
– Eh la Nounou. T’as battu tous les records ce coup-ci. Ton dernier pioupiou n’aura même tenu un jour. T’es vraiment le plus mauvais tirailleur qui soit dans ce foutu régiment.

Tout le monde rit jaune, surtout Doky. Le bonhomme s’étire nonchalamment, s’avance lentement vers moi et soutient mon regard avec défi. Allez savoir ce qui se passe dans son cerveau reptilien.

– Que veux-tu, Sergent ? Moi, je préfère le surin. Ce qui me manque toujours avec les armes de feu, c’est le contact intime avec la victime agonisante.

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