Challenge d’écriture n°46 – Anthony


Anthony
11.3/20 ?????
1er

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Notre-Dame de la Garde

La Cathédrale Notre-Dame de la Garde s’élevait devant les Clans, monumentale architecture atypique, mêlant arches majestueuses et finement ciselées à des tours octogonales massives, cheminée éteinte depuis des siècles à des contreforts épais. Nul ne savait qui l’avait construite. Elle semblait, de mémoire d’hommes, avoir toujours existé en cet état, immuable, hors du temps. La façade, grand aplat de rocs maçonnés dans lequel s’ouvraient la porte et un gigantesque vitrail, dominait la foule comme pour la mettre au défi d’envoyer quelqu’un franchir son seuil. De mémoire de vivant, jamais la Cathédrale n’avait accueilli de cérémonie, jamais elle n’avait entendu résonner de prières. Elle se tenait, massive et gardienne du col vers les montagnes, prolongeant les murs de sa nef sur des kilomètres, jusqu’à ce qu’ils se noient dans le basalte. De nombreuses légendes étaient nées autour de la bâtisse, sur les mystérieux constructeurs qui avaient su édifier un tel monument résistant aux siècles, sur leurs objectifs, puis sur la montagne attenante. Certaines parlaient de dieux serpents qui s’abritaient dans ces murs lorsque la neige et le gel menaçaient la région, étalant leurs corps lisses sur autant de kilomètres que la Cathédrale en couvrait. D’autres racontaient que si nulle autre entrée n’était discernable ou praticable dans les murs, c’était pour empêcher les importuns d’accéder aux trésors entassés là par des dragons aujourd’hui disparus et que milles pièges et tentations attendaient ceux qui franchissaient le seuil du lieu maudit. De rares histoires allaient à l’encontre des précédentes, arguant que si tous ceux envoyés dans la Cathédrale n’étaient jamais revenus, ce n’étaient pas parce qu’ils étaient morts, mais bien au contraire, c’était qu’ils avaient traversé la montagne et atteint son autre versant, où la félicité éternelle les attendait à bras ouvert.

Parmi les hommes, femmes et enfants assemblés, un Clan se détachait en particulier. Vêtu de leurs plastrons et ayant ceint leurs armes d’apparat, le Clan des Protecteurs escortait l’un d’entre eux, un jeune homme d’à peine vingt ans, jusqu’au parvis de la Cathédrale. Contrairement à sa famille, son épée avait le tranchant effilée des armes forgées pour tuer et ce que son armure n’avait pas en rutilance, elle l’avait en solidité.

— Tu es certain de vouloir y aller ? lui demanda une enfant.

De sa main large comme un battoir, le guerrier ébouriffa les cheveux de sa cousine et lui adressa le sourire le moins triste qu’il pouvait produire.

— On se reverra vite, ne t’inquiète pas. Je suis bien meilleur que tous ceux qui m’ont précédé.

L’homme se détacha symboliquement de son Clan et passa devant les représentants des autres familles de la ville, les Artisans, les Fermiers, les Guetteurs, les Artistes. Quand il arriva devant le dernier Clan, celui des Marchands, leur chef de famille se porta à sa rencontre.

— Sire Galenor, voici le contrat, comme convenu, lui murmura-t-il en lui serrant la main. Vous avez fait ce qu’il fallait pour tous, soyez fier de vous.

Dans sa paume, le Protecteur sentit le raclement d’un parchemin et s’en saisit en retirant sa main. Il glissa le document le plus discrètement possible dans une bourse passée à sa ceinture.

— Votre prix est élevé pour la sauvegarde des miens, Banquieri. J’espère seulement que votre parole sera à la hauteur.

— Notre honneur est nos contrats, lui répondit-il en répétant la devise de sa famille.

Galenor continua seul jusqu’aux portes de la Cathédrale. Il saisit une poignée, un large anneau de fer noir, et éprouva la résistance du battant. Celui-ci glissa parfaitement sur ses gonds, comme s’ils étaient fraîchement huilés du matin. Dans la lumière qui filtrait à présent, à laquelle s’ajoutait celle qui tombait du vitrail de la façade et des autres ouvertures latérales, l’homme découvrit une enfilade de bancs qui se perdait dans les ténèbres, entrecoupée de larges piliers soutenant le toit. Il n’y avait aucune trace des habitants de la ville partis avant lui à la recherche de l’extrémité de la Cathédrale ou de ses richesses, pas plus d’empreintes de monstres dans la pierre ou de reliquats de combat. Tout était parfaitement en place, propre, sans autre poussière voltigeant dans les rais de lumière que celle qui s’engouffrait avec le vent par la porte ouverte. Il hésita à se retourner pour saluer une dernière fois les siens, mais se retint in extremis. Il alluma alors une des nombreuses torches qu’il emmenait dans son paquetage à un briquet d’amadou et entra dans la Cathédrale, fermant définitivement la porte derrière lui. Il venait de sceller son sort, et il ne reviendrait qu’avec la résolution du mystère de cette Cathédrale et des indices sur ce qui était arrivé à la précédente expédition.

Après quelques pas, dans le cercle orange que créait la torche, Galenor nota des détails qui lui avaient échappé jusque-là. Le sol de la bâtisse, par exemple, qu’il avait cru gravé était en réalité strié de griffures parallèles. En se retournant, le guerrier constata qu’il en était de même pour la porte et ses poignées. Il tira aussitôt son épée et tendit l’oreille. Devait-il éteindre son feu ? Galenor estima que non. Si des créatures vivaient ici depuis des siècles, elles devaient s’être acclimatées à l’obscurité. Le sort des membres de la famille Banquieri, partis il y a quelques jours à travers Notre-Dame de la Garde pour ouvrir une éventuelle nouvelle voie commerciale, escortés de deux Protecteurs se devinait presque. Ils avaient dû succomber à une attaque. Quelle folie que de s’engager seul, quel sacrifice que le sien. Galenor serra dans un accès de colère le parchemin que lui avait remis le Marchand, avant de le déplier et de le relire. S’il ramenait des effets personnels, le contrat serait-il rempli ?

 

Nevège, le trois févembre 1298

 La famille Banquieri, représentée par Alfonso Augusto Banquieri, s’engage auprès de Galenor du Clan des Protecteurs, a lui versé mille (1000) onces d’or ou équivalent à son retour de la Cathédrale Notre-Dame de la Garde s’il parvient à prouver la vie ou la mort d’Angelo Banquieri, Crescenzo Banquieri, Lorenzo Banquieri, Romeo Banquieri, Valentino Banquieri et Vasco Banquieri.

Deux mille (2000) onces d’or ou équivalent seront ajoutés s’il parvient à trouver ou aménager une issue débouchant de l’autre côté de la montagne gardée par le monument.

La famille Banquieri s’engage également à armer gracieusement le Clan des Protecteurs pour une durée de cent (100) années à partir de la date d’entrée de Galenor du Clan des Protecteurs dans la Cathédrale.

 Pour la famille Banquieri, Notre honneur est nos contrats

Alfonso Augusto Banquieri

 

Galenor secoua la tête. Il doutait d’être payé s’il se contentait de revenir avec des vêtements tachés de sang. Le Clan des Marchands n’était pas le plus riche pour rien. Les Banquieri avaient, de tout temps, été suffisamment retors pour que leurs fameux contrats soient toujours en leur faveur. Ici, c’était le cas, et le guerrier avait signé en connaissance de cause. Les récompenses en or ne l’intéressaient pas : il payait par son départ et sa vie l’armement de ses parents, frères, sœurs et cousins pour le prochain siècle. Le Clan des Protecteurs, ainsi équipé à neuf, devrait être en mesure d’engranger de nouveaux contrats, auprès des autres Clans ou en tant que mercenaires, et assurer ainsi la survie de la famille. Puis se sortir de la servitude dans laquelle les Banquierie les avaient plongés, eux, mais également les Artisans, les Fermiers et tous les autres clans.

Rangeant le parchemin, Galenor reprit sa route, épée et torche en main. Il passa entre les rangées de bancs, notant par réflexe les marques de griffes, attentif au moindre son qu’il pouvait percevoir, au moindre changement dans l’atmosphère. Les ombres s’agitaient autour de lui au gré des mouvements des flammes et il se retenait de se tourner vers elle à chaque ondulation trop prononcée. Les piliers et les rangées se succédèrent ainsi. Il avait perdu le compte à dix seulement, trop obnubilé par les ténèbres environnantes. Pour les mêmes raisons, il s’empêchait de regarder en arrière pour voir la distance qu’il avait pu parcourir, quand il trouva soudain un cadavre dans son cercle de lumière. Le corps était déchiqueté et il en manquait les entrailles. Galenor avait déjà vu de telles scènes, mais en forêt, après des attaques de prédateur. Le pauvre homme qui gisait ici s’était fait dévoré vif. Ses membres étaient absents, arrachés et emportés plus loin, à en croire les pistes de gouttes rouges séchées qui partaient vers le fond de la Cathédrale. D’intacts, il ne restait qu’une main, ornée d’une épaisse chevalière, et une partie du visage. Galenor poussa le crâne du pied et retint un haut-le-cœur face à la masse grouillante qu’il trouva dans les orbites. Il se pencha toutefois et retira la bague du doigt du mort. Il connaissait cette personne, c’était un Banquieri, et les initiales L.B. sur le bijou indiquaient vraisemblablement le prénommé Lorenzo.

— Si je le peux, je ramènerai ta dépouille auprès des tiens, murmura Galenor en empochant la chevalière. En attendant, il me reste tes cinq parents a trouvé et ton escorte de Protecteurs.

Le guerrier continua son avancée à pas feutrés, suivant les traces éparses de sang. Il arriva enfin à la fin des bancs et se trouva face à un autel. La structure présentait cette fois-ci de véritables gravures et des multitudes de serpents protéiformes, d’œufs, d’écailles y étaient représentées. Aucun objet de culte n’était exposé, et Galenor en vint à se demander si ce que son peuple appelait Cathédrale depuis des siècles était réellement un édifice religieux. Il découvrit bientôt les jambes de Lorenzo Banquieri, à côté de deux autres cadavres, tout aussi défigurés et dévorés. Il trouva une nouvelle chevalière, et reconnut aux armes que tenait un des corps dans ses doigts froid un membre de sa parentèle.

S’ils se font fait attaquer, leur agresseur a dû venir par arrière, pour leur couper toute retraite. Cela ne doit pas faire une heure que je marche, ils étaient une compagnie de huit personnes, ils auraient tout à fait pu courir jusqu’à la porte d’entrée. A moins qu’ils ne se soient fait attaquer plus loin et que Lorenzo Banquieri n’ait été le dernier à se faire attraper…

Les murs ne tardèrent pas à se rapprocher, et Galenor alluma une nouvelle torche avant d’entrer dans le tunnel qu’était devenue la nef. Les murs étaient de roches nues et les parois semblaient étrangement lisses, comme si aucun outil n’avait taillé ce passage, mais qu’il s’était formé par érosion, par le glissement répété d’une masse cylindrique titanesque. Resserrant les mains sur ses arme et flambeau, le Protecteur s’engagea dans le tunnel. Aucun courant d’air ne se faisait sentir, ce qui lui laissa présager qu’il entrait dans une voie sans issue. S’il pouvait trouver les preuves de la mort des derniers Banquieri rapidement, il repartirait comme il était venu jusqu’à sa ville. Tant pis pour les deux mille onces d’or supplémentaires pour un débouché de l’autre côté de la montagne.

Plus Galenor avançait, plus une entêtante odeur de putréfaction se faisait sentir et il ne doutait pas de trouver bientôt de nouveaux cadavres. Toutefois, il n’était pas préparé à ce qu’il découvrit après quelques minutes de marche lente. Il trouva d’abord un Banquieri, puis deux autres, éparpillés dans la galerie, mais reconnaissables tout de même comme deux entités distinctes. Le guerrier ne s’attarda pas à récupérer des effets personnels sur les dépouilles, son instinct de survie le pressait de rester en alerte. Une présence malsaine sourdait dans les ténèbres devant lui, une malveillance écrasante qui semblait vouloir l’aspirer, le pousser à éteindre sa torche, à se trancher la gorge avec sa propre arme. Galenor se concentra sur le mur pour continuer à progresser sans fixer directement le boyau et ne pas être abusé par ce que son imagination concevait dans cette noirceur. Il découvrit enfin, un peu plus loin, le dernier membre du Clan des Marchands. Contrairement aux autres cadavres, il ne présentait aucune blessure infligée par des griffes ou des crocs, mais bien les dommages caractéristiques des armes blanches. Des orifices nets, faits par quelqu’un qui savait manier une lame.

Ce serait Aliénor, qui l’a achevé ?  se demanda Galenor. Ils se sont si peu enfoncés dans la grotte, ils sont morts dès leurs premières heures d’exploration, ce n’est pas possible !

En efffffet… surgit une voix dans sa tête.

— Je m’en ssssuis occupé dès que je les ai ssssentis passsser l’autel. Ccccela fffffaisait longtemps que vous ne m’aviez pas envoyé de nourriture.

A la limite du cercle de lumière, une gigantesque face ophidienne s’était arrêtée et avait parlé, dardant une langue bifide entre des crochets aussi grands que l’épée du guerrier. Galenor réagit aussitôt et brandit sa lame tout en se mettant de profil et en écartant les pieds pour être le plus stable possible. Il doutait de pouvoir arrêter le serpent si celui-ci se mettait à charger, mais s’il parvenait à enficher sa lame dans le crâne du monstre, il pourrait l’achever.

— Non, je ne t’en laissssserai pas l’occasion, petit homme, reprit la créature. Je lis tes penssssées, tu ne peux pas me vaincre, tu ne peux pas me prendre par sssssurprisssse, et je compte te laissssser en vie, de toute fffffaççççon.

— Pourquoi le feriez-vous, alors que vous avez tué les hommes et femmes qui m’ont précédé ?

— Parce que j’avais urgemment besoin de survivre ! Qu’imagines-tu ?

Le serpent avança doucement vers le guerrier, gardant ses yeux aux pupilles fendues sur l’homme. La bête ne cillait pas et aucune écaille de sa face ne bougeait. Les flammes se reflétaient sur les squames et conféraient à la créature des reflets métalliques envoûtants. Galenor sentit ses bras et sa volonté fléchir. Il recula d’un pas, baissant tout à fait sa torche, et le feu lui roussit le bras, le ramenant soudainement à lui.

— Vous ne m’aurez pas avec vos boniments, monstre ! rugit le Protecteur.

Lançant son bras armé en avant, Galenor tenta un coup de taille qui porta mais qui ne fit que ricocher sur les écailles. Le serpent ne broncha ni ne recula. Il laissa l’homme lui porter d’autres coups sans réagir.

— Je te répète, homme, que je ne te tuerai pas. Je te laissssse vivre, de la même ffffaççççon que j’ai voulu laissssser les deux derniers représentants du préccccédent groupe en vie. Ssssi la ffffemme n’avait pas tué sssson compagnon avant de se ssssuiccccider, nous n’en ssssserions pas là, ni toi, ni moi…

Les images du corps du Banquieri transpercé par une arme blanche revinrent en tête de Galenor. Se pouvaient-ils que de telles blessures n’aient pas été causées par une épée ou un poignard, mais par les crochets du serpent ? Non, ces derniers étaient trop recourbés.

— Tu n’as réellement aucune idée de qui je ssssuis ? reprit la créature.

— Nous avons des légendes, répondit Galenor. Elles parlent de dragons et de dieux-serpents qui dorment sur leurs trésors, elles parlent de malédiction, tandis que d’autres parlent de paradis derrière la montagne.

— Je vois, acquiesça le serpent en hochant doucement de la tête. Vous autres, humains, avez la mémoire courte. Sssssi ton peuple et toi ne vous sssssouvenez pas de ccccce que je sssssuis, cccccela explique que vous ne m’ayez pas nourri depuis sssssi longtemps. Il est dommage, par contre, que ccccceux qui ssssont de l’autre côté de la Cathédrale aient une mémoire parfffffaite. Je lis dans ton regard et tes pensssssées que tu n’es pas disposé à croire ccccce que je pourrais te raconter, alors voiccccci ccccce que je te propose, guerrier. Un marché, qui asssssurera d’une meilleure façon la survie de ton Clan et sa prédominancccce que ce que les Marchands te proposaient.

— Ma vie t’appartient, de toute façon, serpent… Tu sais ce que je pense avant que je ne le dise, ce que je vais faire avant que n’agisse, mon épée ne t’égratigne même pas les écailles, alors je t’écoute. Quel est ton fameux marché ?

  ***

 Trois mois plus tard, Galenor du Clan des Protecteurs franchit le seuil de la Cathédrale Notre-Dame de la Garde, habillé de neuf, ayant au front, au cou, aux doigts, des bijoux extravagants, aux côtés des armes neuves qui n’étaient, à coup sûr, pas forgées de ce côté des montagnes. Il débarqua en ville de nuit et fit grand bruit, attendant sur le parvis de l’édifice que les siens le rejoignent. Il ne fallut pas longtemps pour que les représentants de chaque clan arrivent.

— Eh bien, Galenor, quel retour triomphant, intervint Alfonso Augusto Banquieri, en s’immisçant dans les effusions entre Galenor et sa famille. Que nous ramenez-vous là ? s’enquit-il en jaugeant le guerrier du regard.

— Des marchandises de l’autre versant, que m’ont confié vos parents. Voici d’ailleurs des effets personnels qu’ils m’ont donnés pour vous prouver qu’ils étaient en vie et bien riches à souhait. Ils n’ont plus besoin de ces babioles, dit Galenor en faisant nonchalamment tomber au sol les chevalières, bijoux, armes incrustées de pierres qu’il avait récupéré sur les Banquieri.

Au regard brillant que le vieux marchand avait en le regardant et en l’écoutant, Galenor sut qu’il avait ferré sa proie.

— Vous me devez donc, d’après notre contrat, trois milles once d’or ou équivalent, ainsi que l’armement des miens pour cent années. Et j’attends de vous que vous me restituiez mon pendentif d’argent et mes dagues d’apparat. Comme vous le voyez à ma mise, ajouta Galenor en faisant un tour sur lui-même, bras écartés pour exposer ses richesses, je n’en ai pas besoin, mais elles ont une valeur sentimentale pour moi.

— Oui, oui, bien sûr, et même mille onces supplémentaires, comme prime de résultat dirons-nous ! L’autre versant est-il donc si riche ?

— Oh, bien plus que vous ne l’imaginez assurément ! Il est couvert de forêts et plaines giboyeuses, de rivières riches en poisson, le miel coule à flot, tout y pousse de façon monumentale et sans difficulté. Les affleurements d’or et d’argent, de rubis et de diamants sont si nombreux et si accessibles qu’ils couvrent le flanc de la montagne et la vallée de plaques étincelantes sous le soleil ! Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des pépites grosses comme des poings ! Vos parents vous y attendent. Ils ont commencé à établir une ville, réunissant autour d’eux les précédentes expéditions. Ils réclament de l’aide de leur clan.

— Exclusivement des Banquieri ? intervint un Artisan.

— En effet. Ils ne souhaitent pas que d’autres qu’eux puissent posséder l’autre versant.

Galenor s’étonna lui-même de la fluidité avec laquelle il énonçait son boniment. Son visage, souriant devant Alfonso Augusto, ne trahissait aucunement la honte qui pointait en lui. La peur aussi de ce que son retour allait engendrer.

— Hors de question ! rugit un Guetteur dans la foule. L’autre côté de la montagne n’appartient à personne, pourquoi devrions-nous croupir ici alors que Galenor nous conte tant de merveilles ?

L’homme qui avait parlé fendit la foule des siens et se plaça devant tous.

— Parce qu’ils ont un contrat avec le gardien de la Cathédrale ! reprit Galenor, plus fort, pour couvrir le bruit des rumeurs de colère et d’assentiment. Car il y a bien un dragon qui dort là-bas, dressé par les Marchands, et s’ils ont ordonné à leur bête de m’épargner, ce n’est que pour que je puisse vous ramener les nouvelles de votre parentèle, seigneur Banquieri, et informer la région que la voie vous était exclusivement réservée.

Sur ces paroles, le guerrier s’inclina et quitta le parvis, son clan sur les talons. Dans la pénombre des rues, il tremblait de tous ses membres. Tout se passait comme la créature, la Dame de la Garde, lui avait soufflé. Il ne lui restait qu’à annoncer à son clan et à tous les autres à l’exception des Banquieri l’horrible vérité, ou comment leur peuple avait amalgamé les croyances de l’ancien temps, faisant de l’autre côté de la montagne un paradis perdu, alors qu’il avait rejoint cette fameuse terre promise des siècles plus tôt, ici-même, laissant en arrière des hordes de démon avides de sang et de chair, un enfer de flammes et de scories duquel il n’était coupé que par la garde incessante du serpent dans l’unique tunnel traversant la pierre. Il allait devoir leur annoncer également que si la bâtisse était appelée Cathédrale, c’était qu’autrefois, le reptile était honoré comme le dieu protecteur qu’il était, mais que ce dieu avait besoin de se nourrir pour assurer sa tâche. Et avec tous les Banquieri qui allaient se ruer dans son antre, Galenor venait de lui offrir un festin pour les siècles à venir…

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