Challenge d’écriture n°44 – Nadrès Xilock


Nadrès Xilock
12/20 ?????
5ème

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Journal d’un émissaire de la Confédération

C’est dommage. J’aimais beaucoup Cornyr. Mignonne petite planète. Les jolis petits culs des cornyriennes me manqueront, pour sûr.

Maintenant que ses fragments s’éparpillent en météorites, il ne me reste plus qu’à contempler les hologrammes enregistrés par mon vaisseau quelques heures avant sa destruction. Et les comparer avec ceux de l’époque lointaine où sa croûte terrestre était habitable.

Une planète de feu presque convertie en planète de glace. Puis en poussière. Par nous. Et en moins d’un siècle.

Je ne prône pas le sentimentalisme à outrance, mais le destin de Cornyr vient titiller en moi une fibre que je croyais rompue.

Je me souviens de mes premiers contacts avec la planète aux mille volcans. La métaphore était un euphémisme, une approximation due à des images interstellaires de qualité lamentable. Néanmoins, les Pontes de la Confédération ne s’y étaient pas trompé:la planète avait une potentiel, et ils ne regrettèrent pas de m’avoir envoyé la sonder en détail.

La magnitude de son noyau dépassait l’entendement. Des centaines de milliers de volcans perçaient l’écorce et crachaient furieusement un amalgame de feu, de soufre puant, de magma incandescent. Quel force, quelle majestueuse colère ! Comment imaginer que cette petite pelote de rage pure perdue dans un recoin de l’univers abritait une forme de vie humanoïde ? Et qui plus est, des habitants d’une infinie douceur.

Je ne me suis jamais fait au physique étrange de ces créatures à deux têtes, mais je dois avouer qu’elles étaient assez bien adaptées à leur milieu. Leur corps couvert de plaques dures et sombres résistait admirablement à la chaleur, mieux encore que ma combinaison. Elles semblaient vouées à la servitude pourtant, quasiment incapables de se tenir debout, la colonne vertébrale plus cambrée qu’une demi-arche, et prolongée d’une queue longue et plate. Ma surprise, la première fois qu’une femelle releva pour moi cette espèce de traîne blindée, découvrant sa délicieuse petite paire de fesses ! … mais je m’égare.

Lorsque je débarquai pour la première fois sur Cornyr, je n’étais encore qu’un tout jeune ambassadeur d’une petite centaine d’années. J’inspirai immédiatement confiance aux autochtones, et les braves cornyriens se firent une idée idyllique des nobles visées de la Confédération, et de notre profitable coopération. Techniquement attardés, politiquement organisés, leurs contrastes ne cessèrent de m’intriguer.

Pour leur part, trop heureux que je ne représente pas une menace directe, fascinés par la technologie de la Confédération me permettant instantanément de décoder leur langage et de communiquer avec eux, ils m’ouvrirent les portes de leur Grand Conseil et me confièrent leurs craintes. Leur atmosphère se réchauffait. Les cratères se multipliaient, les coulées de lave envahissaient les seuls bastions où ils trouvaient encore refuge. Leur population déclinait, des villes entières étant quotidiennement dévastées par des secousses sismiques ou englouties par de nouvelles coulées. « Que pouvais-je pour les aider ? », suppliaient-ils.

Je pouvais tout. J’allais devenir leur Dieu. Du moins, dans un premier temps.

La Confédération aida les cornyriens, certes, car tel était notre intérêt. Nous entreprîmes de stabiliser la fission nucléaire naturelle de leur monde, dans un ballet de vaisseaux de pompage qui écumaient un trop-plein d’énergie fort précieux à nos yeux. Tout le monde y gagnait, car ce faisant, autour des cratères fumants, nous métamorphosions un peu partout le paysage rougeoyant et hostile en étendues habitables de basalte noir. Celant notre gain dans cette opération, la Confédération exigea un tribut en main-d’œuvre, que j’obtiens sans devoir montrer les crocs. Nos vaisseaux de pompage ramenaient désormais également de la chair fraîche cornyrienne dans leurs soutes.

 

Plus tard, l’expansion de la Confédération appela de plus gros besoins en énergie. Tsipann, la planète aux quatre anneaux, s’opposait à notre invasion avec une effronterie inouïe… et des moyens de défense et de riposte insoupçonnés.

Comme dans toutes nos autres colonies,  je m’attendais à percevoir une hargne grandissante chez les cornyriens lors de mes visites de contrôle décennales, où j’annonçais des hausse draconiennes dans la mise à contribution.

Mais non. Contrairement à beaucoup d’autres peuples, les cornyriens avaient la présence d’esprit de payer leur tribut à la Confédération sans broncher.

En tant qu’émissaire, c’était un bonheur pour moi d’avoir affaire à eux. Aimables, serviables, polis, presque corvéables à merci. Pas un mot plus haut que l’autre. Les négociations étaient toujours un parcours de santé avec eux. Pourtant, ce n’était pas faute d’abuser de leur générosité. A force de ponctionner le cœur fissile de leur planète – notre septième plus gros réservoir énergétique -, la Confédération commençait à l’épuiser ; la température à sa surface, d’abord amenée à un niveau idéal, avait ensuite chuté de quelques centaines de degrés. Même alors, les adorables cornyriens courbaient l’échine face à moi, ne se plaignaient ni ne revendiquaient, et malgré leurs pertes tangibles dues au refroidissement brutal de leur habitat, ils trouvaient tant bien que mal des solutions souterraines pour survivre, et ne contestaient pas davantage nos prélèvements croissants dans leurs rangs. Curieux mélange de courage et de fatalisme… ils bravaient les dangers inhérents au forage de galeries salvatrices, ainsi que les affres d’une existence rigoureuse, et laissaient leur oppresseur transformer l’écrin qu’il leur avait modelé en glaçon encore plus invivable qu’à l’époque caniculaire précédent mon intervention.

Au moment de recevoir ma dernière mission, je dus reconnaître que ça devenait pénible pour les « salamandres », comme je m’étais pris à les surnommer – affectueusement, s’entend ! Trois ans seulement après mon dernier contrôle de routine, je venais leur présenter notre plan d’urgence. La conquête de Tsipann virait au siège. Les canons thermiques de la Confédération criaient famine, et la main-d’œuvre manquait également. Pourtant, augmenter le tribut annuel en esclaves d’une population déclinante était aussi ardu à justifier au niveau éthique qu’arithmétique, et accroître la succion de leur moelle énergétique équivalait à condamner la planète à court terme.

Pris par un inexplicable élan de naïveté, j’ai tenté d’intercéder auprès des pontes de la Confédération, mais ils m’ont aussitôt soupçonné de m’assouplir avec le temps. La liste est longue de ces ploucs qui n’attendent que ma chute pour jouer à ma place les régulateurs de l’espace. Je me suis donc assis, comme bien souvent, sur la déontologie.

J’ai rassemblé une flotte de quatorze croiseurs armés d’un modèle relativement puissant de canon plasmique. J’aurais pu opter pour un unique vaisseau amiral emportant un ultra-canon thermique, mais je me méfie des dernières technologies. Et honnêtement, j’ai beau cultiver un penchant pour l’ironie, griller une planète entière avec la source d’énergie même qu’on lui soutirait inlassablement depuis des décennies m’a paru, comment dire, passablement cruel.

Devant son refus initial, j’ai asséné au Conseil cornyrien l’éloquent discours que j’avais préparé. Cela oscillait entre mensonges éhontés visant à rassurer et promesse d’un cataclysme en guise d’ultimatum ; « mensonges » parce qu’avec l’accélération de nos opérations de pompage, la croûte déjà glacée sur plusieurs kilomètres de profondeur finirait par étouffer la sous-couche bouillonnante qui s’éteindrait comme un vulgaire feu mal entretenu, étouffé par ses propres cendres ; « cataclysme » parce que j’avais mes ordres, et mes quatorze coucous glandouillant sagement dans la stratosphère, en attente de mon signal d’ouvrir le feu.

Pendant un moment, j’ai bien cru que les sages du Conseil cornyrien tiendraient sur leurs positions. Je n’avais jamais vu aucun de ces êtres bicéphales baver des deux têtes en même temps. Clair qu’ils étaient énervés ! Petit coup de théâtre pour eux, tout de même, quand mes quatorze vaisseaux ont armé leurs tirs au moment où je m’apprêtais à reprendre ma navette. Quatorze faisceaux bleutés dans le ciel amarante de cette petite boule à la surface désormais givrée malgré son noyau en fusion. Les moniteurs de leurs centres de contrôles se sont affolés. Un de leurs généraux a accouru, une bouille blême et l’autre furibonde, pour les mettre en garde. Ils m’ont retenu in extremis, et ont abdiqué en me maudissant. Je leur ai offert mon meilleur sourire.

Des Seize milliards d’habitants, j’en emportais cent-quatre-vingt-sept millions. « Merci, au revoir, et rendez-vous dans dix ans, ou avant si vous n’êtes pas sages. Et un dernier conseil d’ami : tâchez d’ici-là de vous reproduire comme des lapins ». On n’était pas loin d’un happy end.

Seulement voilà, avant même que j’aie mis les voiles, direction le siège de la Confédération,  les esclaves ont commencé à succomber par centaines de milliers. On a largué les corps au fur et à mesure dans l’atmosphère de Cornyr. Ça faisait une solide traînée noirâtre dans leur ciel empourpré. Puis j’ai pris la décision qui s’imposait. Les cornyriens devenant superflus, j’ai commandé une ultime ponction dans le ventre de la bouboule par tous nos vaisseaux de pompage environnants, à intensité maximale, sans préoccupation pour la perturbation nucléaire qui s’ensuivrait. Enfin, j’ai donné le coup de grâce au caillou pour prévenir tout accident ultérieur. Les corps célestes ont parfois des réactions déplaisantes alors qu’ils se meurent.

Y’a pas à dire, le spectacle de quatorze rayons bleutés qui convergent pour faire exploser le noyau actif d’une planète, ça m’émeut à chaque fois.

J’ai gardé quelques corps pour justifier le motif évident de mon échec : depuis qu’ils se terraient dans les profondeurs de leur écorce, ces foutus néo-troglodytes étaient devenus trop fragiles pour le transport.

 

Mais alors que je me prépare à rentrer au bercail, de nouveaux ordres tombent. Voyons voir où la Confédération m’envoie à présent…

Ah, Falantrim, à seulement deux années lumières ! Ça me fera un petit détour sympathique. En plus, je vais prendre des couleurs, c’est sur la ceinture des Douze Soleils !

Les Falantrins sont des marrants. Pas du tout le même tonneau que les cornyriens, ceux-là. Le genre qui ne paie pas ses impôts et menace d’indépendance pour un oui ou pour un non. Je comprends que la confédération me demande de mener une mission de pacification auprès d’eux.

C’est dommage d’ailleurs, j’aimais bien Falantrim. Astre scintillant et fier. Les généreuses poitrines des Falantrines vont me manquer, pour sûr…

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