Challenge d’écriture n°43 – Estée R.


Estée R.
15/20 ?????

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SFFF

– Y perd la boule le vieux, c’est ça ! ? Il devient complètement gâteux !

– Ne parle pas de ton grand père comme ça, p’tit con ! V’là pour t’apprendre ! grommela son père en lui assénant une gifle en pleine figure et une bourrade dans le dos.

Le gosse esquiva un coup de pied aux fesses et s’éloigna du paternel. Il marmonna entre ses dents quelque insulte bien sentie et lança un regard de reproche à sa mère qui riait en tirant frénétiquement sur son joint.

Ces visites à l’hospice étaient un vrai cauchemar pour ce préado, autant intéressé par la vieillesse que par sa première couche culotte. Il sortit des i-view de sa poche, se les cala sur le nez et lança un épisode de sa série préférée tout en laissant à ses Street-nïkke le soin d’éviter les obstacles de son chemin. Derrière lui, ses parents étaient en grande conversation. Il capta vaguement son prénom ainsi que le mot punition, mais ne s’y attarda pas. Ils n’avaient jamais été capables d’autre chose que d’une bonne rouste et cela ne lui faisait plus peur depuis belle lurette. Et puis, le « Décapiteur de bonnes sœurs » venait une nouvelle fois de narguer la police et le lieutenant Sloane, une putain de bombe nucléaire n’avait pas encore réussi à le contrecarrer. Il adorait vraiment ce reality show !

– Faudrait voir à ce qu’il ne se fiche pas trop de nous le mioche ! disait le père à sa moitié, une petite bonne femme tirée à quatre épingles, un brin trop liftée pour avoir vraiment l’air d’une jeune fille.

– Hum… Mais faut le comprendre. Ton… père… n’est pas une distraction pour un jeune de son âge.

– Et bien c’est ce que l’on va voir. Il lui faut une punition et j’en ai une ! A compter de ce jour, il ira tous les matins aux « Chrysanthèmes Fleuries » pour passer la journée avec son grand-père ! Cela lui fera des vacances qu’il n’est pas près d’oublier !

Elle ne put s’empêcher de tousser, comme si elle ne savait pas choisir entre le rire et l’affliction.

– Gégé, comme tu y vas ! Il a 13 ans !

– Ben justement, mieux vaut lui que moi ! Il est jeune, il s’en remettra ! D’autant plus que le pater dort quelques deux heures l’après midi. Et puis il aura qu’à emmener sa DSV 8 ! Saura bien s’occuper.

– Mais…

– T’as écouté ce qu’à dit sa gardienne ? Ma sœur y passe toutes les semaines ! Et papa s’en trouve mieux trois jours durant ! Parait que ça l’aide à se rappeler des souvenirs. Nous, il ne nous voit pas assez. Et puis, tu sais comme nous avons du mal à communiquer tous les deux. Si cela continue, on finira déshérités ! C’est ça que tu veux ? Je te rappelle qu’il est encore possesseur de la plus grande collection de figurines peintes à la main du pays. Sans compter ses objets Star Wars ! Ok, c’est un ramassis de vieilleries et autres conneries. Ça n’intéresse plus personne de nos jours. Mais le plomb, le plastique et le papier sont très recherchés, tu le sais. Quant au tissu classique ! On n’en trouve plus nulle part ! Imagine la fortune qu’on se ferait en revendant ses breloques à la Banque Nationale des Matières Premières !

– Et tu crois que Stany … ?

– Ben… Je crois que Stan pourrait être notre solution pour qu’on reste sur son testament, oui ! Ou mieux encore. Imagine ! Il pourrait découvrir enfin sa cachette pour qu’on récupère les machins tant qu’il est temps !

* * *

 Stanley bailla à s’en décrocher la mâchoire, se retourna et se blottit contre le vieux fauteuil en skaïstic gris qui protesta mollement. Quelle poisse, vraiment ! Par toutes les stars de l’e-tv, comme il s’ennuyait ! Passer tout son temps libre à tenir compagnie à un croulant qui radotait ou bavait, quand il ne ronflait pas, était un véritable calvaire.  Son enfer personnel. Il fallait qu’il trouve une occupation digne d’intérêt, sinon il allait devenir fou avant la fin de semaine.

Il transpirait à grosses gouttes sous ses lunettes interactives à regarder un énième épisode de « Leur vie de plouc… » lorsque l’idée lui traversa l’esprit et vint cogner contre son crâne avec force ! Cela lui colla une belle migraine, mais je jeu en valait la chandelle. Il serait vainqueur sur tous les plans : non seulement il ne s’ennuierait plus, mais il gagnerait en notoriété au bahut, et pour peu que le public vote pour lui, il pourrait même se faire un peu d’argent !

Oui ! C’était une idée formidable ! Il allait filmer son grand-père et sa décadence, au jour le jour, au quotidien et même dans son intimité la plus crue… Et il balancerait tout sur la toile, en temps réel, dans l’émission d’e-tv réalité la plus en vogue du moment.

« La vie de plouc de pépé gaga ! » par Stanley Stoones !

 * * *

Flash info spécial e-tv 807 !

« Il a créé le buzz en à peine trois semaines ! Le «pépé de Stanley » compte désormais plus de dix millions de fans à travers le monde ! Grace à lui, l’émission « Leur vie de plouc » est en passe de devenir la plus suivie du paysage médiatique.

Ce nonagénaire atteint de la maladie d’Alzheimer a su, sous l’œil incisif de son petit fils, captiver les principales générations de la population avec une nette dominante chez les 15-25 ans. L’originalité tient au fait que le « pépé » ne fascine pas pour son côté vieux et défraichi, ou les vidéos trash qui ont fait le succès de l’émission, mais au contraire, pour ses connaissances et son expérience sur un univers totalement tombé en désuétude ces trente dernières années : celui de la Science fiction, de la fantaisie et du fantastique.

En direct de l’hospice des Chrysanthèmes, notre envoyée spéciale Laly Stanford.

– Merci Dan. Me voici dans la chambre de M. Stoones, à l’heure où il a pris l’habitude de raconter à ses fans un épisode de la Guerre des étoiles… »

* * *

 – Maudit soit ce vieux cabot ! grommelait Gégé en cliquant sur sa veste de pyjama pour couper le sifflet à la présentatrice info. Et maudit soit ce gamin aussi ! Rien compris !

– Il a tout de même eu l’idée du mois chéri, minauda sa femme emberlificotée dans les fils et électrodes de son Bed-Gym.

– Il gagne de l’argent de poche ! C’est un petit joueur !

– Mais au moins passe-t-il du temps avec ton père, qui lui raconte tout ce qu’il désire sur les figurines Warhammer et les Siths ! Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne lui dévoile où tout est caché.

– Je ne sais pas… Cet engouement soudain pour ces vieilleries ineptes ne me dit rien qui vaille. Faudrait pas que ma sœur se réveille et mette la main sur le magot avant nous. Et puis, je n’aime pas la publicité. Tu sais comme la BNMP est susceptible avec les collections privées qui n’ont pas été déclarées. Elle risque d’avoir du mal à accepter l’idée que je viens juste de découvrir ces breloques si le vieux continue d’en parler à tort et à travers !

– Que comptes-tu faire alors ?

– Hum… Je ne sais pas encore. Faudrait empêcher mon paternel de parler ! Et mettre la main sur cette fichue collec !

 

* * *

 Flash info spécial e-tv 807 !

                « Retour sur l’affaire « Pépé Yoda », comme l’appellent ses fans depuis maintenant plus d’un mois. Le pépé de Stanley a été victime, d’extinction de voix, de gastro-entérite et de forte fièvre, l’obligeant à cesser de nous raconter ses fabuleuses histoires d’elfes, de wookies, et autres créatures trop longtemps oubliées. Ces maladies, pratiquement disparues depuis des décennies ont parues suspectes aux autorités et une enquête a été ouverte. Bien qu’elle n’ait encore rien donné, les attaques microbiennes ont cessé. Quant à notre héros en déambulateur, il est revenu plus vaillant qu’auparavant, comme si la maladie n’avait pas de réelle prise sur lui. Les médecins des Chrysanthèmes Fleuries n’en reviennent d’ailleurs toujours pas. Il semblerait que Pépé Yoda ne souffre pratiquement plus d’Alzheimer. Est-ce l’effet SFFF ?

 Cependant, suite à des révélations concernant une collection privée, la BNMP, Banque Nationale des Matières Premières, a déposé une plainte, demandant au vieillard de céder la totalité des objets qu’elle contient, afin qu’ils soient expertisés et mis au recyclage !

Comme vous vous en doutez, il n’est pas question que notre pépé livre sa collection de Spaces  Marines, ses armées d’elfes noirs, et tous ses livres de papier. Un comité de soutien s’est aussitôt formé autour de lui…»

 * * *

– Papa ?

– Gérald ?

Oui, c’était bien son fils, là, dans l’encadrement de la porte. Avec son gosse aux lunettes-caméra et sa femme cachée derrière lui. Comment s’appelait-elle déjà ? Lili, Lila ? N’était-ce pas un surnom ?  Ils hésitaient à entrer. Allons bon ! Depuis quand étaient-ils timides eux trois ?

Stoones observa son garçon un moment sans lui répondre. Depuis combien de temps n’était-il pas venu lui rendre visite ? Hum… A bien y réfléchir, il était venu plus que régulièrement le mois passé… Et après chaque visite, une maladie l’avait cloué au lit pour une semaine.

Fallait-il les laisser entrer ?

Mais Stoones en avait assez de se battre. Il était fatigué et voulait qu’on le laisse enfin tranquille. Il aspirait au repos, à la paix.

– Entre Gérald, entre. Que me vaut cette visite ?

– Euh… Papa, je ne vais pas y aller par quatre chemins. La BNMP fait pression sur moi afin que tu me dises où se trouve ton trésor.

– Ce ne sont que des charognards, Gérald.

– Qui peuvent me rendre riche…

– Décidément, tu n’as-tu toujours pas compris ce qui est important dans la vie?

Gérald Stoones s’énerva. Il balança son poing sur la tablette à côté de lui.

– Ce qui est important !? Ma famille risque une mise en examen pour complicité de recel ! Un recel de conneries ! Et tu me parles de ce qui est important ! Tu dois m’aider ! Je suis ton fils ! Je devrais compter bien plus que ta fichue collection de monstres !

– Tu n’as pas toujours détesté mes histoires, mon fils ! Ni mes livres, et mes figurines de plomb…

– Papa ! Je n’avais pas le droit d’y toucher ! Toujours, j’ai eu la sensation de passer après tes héros imaginaires ! Comment les aurais-je aimés ?

Gérald avait les yeux teintés de fureur et d’amertume. Son père soupira et le toisa fièrement du regard, déterminé. Il n’abandonnerait pas. Pas cette fois.

Il est des événements dans la vie qui changent totalement le cours des choses. Qui redistribuent les cartes des joueurs. Il le savait bien, pour l’avoir plusieurs fois expérimenté, voire subit, au long de son existence. A quatre-vingt-onze ans, il avait vécu chaque seconde à fond. L’heure n’était plus aux bilans mais à la proclamation des résultats ! Et aujourd’hui, tout devrait rentrer dans l’ordre.

– Je reconnais mes erreurs Gérald. Je n’aurais pas dû laisser cela arriver…

– Comment ? Papa…

– Je vais te laisser le choix que tu n’as pas eu quand tu avais cinq ans. Je vais te dire où se trouvent mes précieux trésors. Tu me conduiras là-bas pour que je puisse les voir une dernière fois. Ensuite, ils seront à toi. Tu en feras ce que bon te semble. Tu les vendras aux enchères sur l’e-toile. Tu feras affaire avec la banque. Ou encore tu les confieras à ton fils. C’est un bon petit gars, je le sais. Et il a encore beaucoup à rêver, dans ce monde du « tout réel, non à l’imagination ».

 * * *

L’antre de Stoones !

Tout était là, rangé amoureusement sur des étagères dépolies : casques de Sormtroopers, armes médiévales, vaisseaux de l’Empire, films et comics,  gadgets, costumes de X-Mens, sabres lasers et figurines diverses …

Soudain, Gérald, sentit l’exaltation secouer son ventre et il comprit où il se trouvait.  A l’heure où les achats ne se font plus que sur l’e-toile, les jeunes générations ne savaient rien de l’ambiance des magasins, des rencontres et échanges qu’on y faisait. Mais lui ! Lui qui avait grandi dans l’arrière boutique de son père. Qui l’avait entendu conseiller, débattre, raconter, vivre sa passion et la défendre au jour le jour contre l’e-commerce. Lui, comment avait-il pu oublier ?

Revenant à lui comme après un uppercut, il se retrouva enfant, avec une peluche dans les bras. Une sorte de crapaud avec une toge beige et un air sérieux. Un maître Jedi !

Il revit le drogué qui pointait une arme sur la tête de son père pour qu’il ouvre sa caisse. Et lui, petit bout de quatre ans, attrapant un sabre en plastique et se ruant sur le « méchant » sans aucune crainte, car la force était avec lui ! Alors il se rappela la douleur. Il avait pris une balle dans le bras. Mais le voleur avait été mis en fuite !

C’était la dernière fois qu’il avait vu le magasin. Suite à cet incident, sa mère avait refusé qu’il n’y remette jamais les pieds. Elle avait demandé le divorce l’année suivante, l’emmenant vivre au loin avec sa sœur, et s’échinant à lui faire oublier ses héros. Il avait été l’un des premiers à bénéficier du programme « d’éradication des souvenirs » expérimenté dans les années 20’, avant que cela ne fasse scandale et soit interdit par l’Etat.

Oui, et il venait d’avoir de sérieux ratés, ce programme !

– Ta mère m’avais fait promettre de ne plus jamais te laisser toucher à mes affaires. Elle ne voulait pas que tu te prennes à nouveau pour un héros… Après ce qui était arrivé je ne pouvais pas l’en blâmer, expliqua le vieux Stoones les yeux brillants et les mains tremblantes.

Gérald accusait le choc. La compréhension s’insinuait lentement vers sa conscience. Il laissa ses souvenirs et passions enfantines refaire surface, contemplant son fils penché avec vénération sur une statue de dragon en bronze. Ses doigts brulaient de saisir une boîte de trolls en plastique.

Finalement, son cœur d’enfant dessina le bonheur sur ses lèvres :

– Tu peux dormir tranquille papa. Ta collection ne sera ni détruite, ni disséminée à travers le monde. Je t’en fais la promesse. Je la protègerai avec Stan et tes fans. Nous ferons en sorte qu’elle soit mise au musée du patrimoine. Viens Leia, laissons-le un peu avec ses trésors. Nous avons des messages à envoyer.

Leia ! Le vieillard les regarda partir, un sourire illuminait doucement son visage.

 

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