Challenge d’écriture n°38 – Atorgael


Atorgael
note 14.5/20 ?????
3ème

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DMH & Associés

« Savez-vous pourquoi vous êtes-là ? »

L’homme sembla dans un premier temps ne pas avoir entendu la question mais le professeur Laren savait que les effets des drogues commençaient à s’estomper. Il reposa sa question sur le même ton monocorde en jouant de son implant vocal pour générer un léger effet hypnotique.

« Savez-vous pourquoi vous êtes-là ? »

L’homme cligna des yeux frénétiquement avant que sa réponse ne fuse :

« Je ne sais pas quel est cet “ici”, comment voulez-vous que je sache ce que j’y fais. »

Il avait voulu donner une réponse cinglante mais les drogues lui avait rendu la bouche pâteuse et sa voix n’était qu’un gémissement plaintif. Le docteur Laren ne releva pas cet état de vulnérabilité et poursuivit :

« Vous avez raison, excusez mon manque de courtoisie monsieur Duncat. Je suis le professeur Laren.
– Professeur de quoi ?
– Professeur en psychologie appliquée dans les comportements sociaux en ambiance spatiale et extraterrestre.
– Je vois, répondit l’homme d’une voix plus assurée.
– Puis-je vous poser à nouveau ma question ?
– Sur ce que je fais ici ?
– Oui.
– J’imagine que c’est en relation avec l’incident sur Massa IV !
– Exactement. J’ai été mandaté pour évaluer votre profil psychologique et…
– Pour savoir si je suis fou à lier et s’il faut m’interner. J’imagine que ça arrangerait les affaires de mes associés. Je crains cependant qu’ils ne soient déçus au final.
– C’est effectivement l’idée générale et la raison de votre présence dans cette pièce. Je tiens à vous dire que je n’ai aucun à priori et que je vais faire votre profil en toute indépendance et en toute honnêteté comme j’y suis contraint par l’endoctrinement d’Hippocrate.
– Ce que vous faites et comment vous le faites ne regarde que vous et votre corporation. Ça ne changera rien à ce que vais pouvoir vous dire.
– Alors c’est parfait. Pouvons-nous commencer ?
– Je n’ai rien contre, mais j’aimerai assez que vous coupiez ces champs de ligature, je me sentirai plus libre de parler.
– Mais bien sûr ! Veuillez m’excuser de ne pas l’avoir fait plus tôt. »

Le professeur Laren effleura quelques touches sur l’écran tactile incrusté dans son bureau et l’homme fut libéré. Duncat se frotta les poignets pour accélérer la circulation sanguine et se débarrasser de la désagréable sensation laissée par les ondes psycho magnétique des champs de ligature.

Le professeur Laren procéda aux derniers réglages des enregistreurs afin que tout ce qui allait être dévoilé par Duncat puisse servir à un éventuel procès. Il vérifia la mise en place des protocoles activant les scellés quantiques. Ainsi, les fichiers ne pourraient être consultés que sur demande d’une cour de justice dûment élue. Une disposition lourde mais nécessaire après le scandale de vingt-huit quand des fichiers médicaux avaient été falsifiés et qu’un dangereux psychopathe fut libéré pour vice de forme. Le massacre qui avait suivi avait tant ému le public que les procédures de justice avaient été revues en conséquence.

« Pouvons-nous commencer ?
– Oui. »

La question formelle et la réponse appropriée enclenchèrent les enregistrements audio, vidéo, extra-neuronaux et infrarouge braqués sur Duncat, les scellés étaient en place comme l’indiquait le témoin visuel sur le bureau de Laren.
Duncat avait prononcé sa réponse d’une voix claire et assurée, les effets de la drogue étaient entièrement dissipés.

« Bien, je suis le professeur Laren, matricule 3.22.748, je procède ce jour à l’entretien de monsieur Duncat ici présent. Monsieur Duncat, voulez-vous bien vous présenter ?
– Neil Brahm Duncat, entrepreneur. Je dirige les entreprises Duncat-Merk-Henson et associés.
– Veuillez préciser vos activités s’il vous plait.
– DMH est une entreprise de terra formation, nous sommes numéro un dans le secteur et j’en suis le principal dirigeant et actionnaire.
– Pouvez-vous me dire en quelques mots ce qui s’est passé sur Massa IV ?
– J’y ai créé une nouvelle branche d’activité pour DMH : la terra destruction. »

Amusé par sa réponse, Duncat se permit un petit rire dépité.

« Puis-je savoir pourquoi en être arrivé à une telle décision ?
– Bien sûr, je suis là pour ça non ?

En tant que directeur de DMH, je me fais un devoir de visiter régulièrement mes chantiers, je trouve que c’est un minimum au regard de la somme de travail que je demande à ceux qui bâtissent les nouvelles terres. C’est vrai que ça me prend du temps et que mes associés ne voient pas cela d’un très bon œil, ils pensent que je serai bien plus efficace au siège qu’ils ne quittent jamais, eux. Ils vivent en permanence dans ces bureaux et attendent de moi que j’en fasse autant. Mais si le poste de directeur a des inconvénients, il a aussi des avantages, je fais ce que je veux. Et il me faut l’avouer, j’aime parcourir l’espace. Mon vaisseau disposant de toutes les dernières technologies en terme de communication, je ne manque rien de ce qui se passe et je décide de la même manière que si je restais au siège de la société.

Il y a trois de cela, je suis donc parti pour passer en revue les travaux de Massa IV. Nous n’avions reçu récemment que très peu d’informations du chantier. La présence d’étoiles massives à proximité du soleil de la planète explique les difficultés de communication avec nos équipes sur place. Rien d’anormal, nous avions identifié ce risque lors de l’étude préliminaire.

Bref, les voyages étant ce qu’ils sont, j’ai rejoint Massa en douze jours standard pour y constater à mon arrivée qu’il y avait un réel problème : je n’ai en effet pas pu contacter les équipes au sol. Et là, pas question de mettre ça sur le dos d’astres perturbateurs, une fois dans le système j’aurai dû pouvoir leur parler aussi clairement que je vous parle en ce moment. J’ai donc braqué des scanners sur Massa IV et j’ai passé le temps d’approche à en étudier tous les résultats afin d’avoir un peu plus d’informations sur la planète et ce qui nous y attendait.

Tout était en bonne voie, même très bonne, le processus touchait à sa fin et affichait deux bonnes années locales d’avance. Un excellent résultat qui vaudrait une prime substantielle aux équipes et un gros bénéfice à la société.

Arrivé en orbite, je suis descendu sur la planète avec une petite équipe de recherche. Au camp de base on a trouvé personne, les bâtiments semblaient avoir été désertés précipitamment et la coupole d’enceinte portait les stigmates de violents impacts extérieurs. La végétation luxuriante avait d’ailleurs déjà commencé à prendre ses aises. Je ne vais pas vous faire un cours de « structure et matériaux », mais cette coupole était tout de même prévue pour encaisser des impacts de météorites gros comme mon poing, vous imaginez donc que ce qui avait été capable de la briser n’était pas à prendre à la légère.

Les hommes qui m’accompagnaient sont partis pour différentes missions : trouver le personnel manquant et prélever des échantillons notamment. Pour ma part, je suis resté avec les pilotes de la navette de liaison et je me suis plongé dans une transe analytique pour passer en revue les journaux de bord et autres rapports du camp. Je ne sais pas combien de temps je passais ainsi en analyse, mais quand je suis sorti de ma transe ma vision d’ensemble faisait apparaitre quelque chose de vraiment pas normal sans que je puisse toutefois définir avec exactitude ce quelque chose. Tous les rapports indiquaient et mettaient en exergue le fort potentiel de la planète à la terra formation, pour vous résumer : la terra formation se passait trop bien.

En sortant de ma transe, j’ai constaté que les équipes envoyées plus tôt n’étaient pas rentrées. J’ai alors laissé des consignes aux pilotes et je suis parti à la recherche de mes hommes. Oui je sais que c’était complètement idiot et les pilotes ont bien tenté de m’en dissuader mais je pense que la transe analytique devait encore agir sur mon cortex et que je ne devait pas penser de manière rationnelle mais toujours de manière fonctionnelle. En tout cas c’est ce qui m’est apparu comme le plus logique à faire sur le moment.

Au bout de quelques kilomètres je me suis perdu évidemment, mais au moins je suivais les traces laissées par une des équipes ; ils avaient pris la précaution de baliser leur parcours de marqueurs isotopiques. Ces petites choses sont idéales dans des cas comme ça, facile à détecter et sans impact environnemental. Le seul problème c’est que j’ai vite constaté que je tournais en rond.

Tout ce que je vous raconte pourrait sembler banal, l’histoire d’un type qui se perd en forêt et qui commence à flipper. C’est là où vous auriez tort et je vais vous dire pourquoi.

D’abord, imaginez-vous l’environnement : partout de la végétation, arbres et arbustes en pleine croissance ; un sol spongieux, traitre au point de cacher des trous d’eau recouverts de plantes ou de mousses. Si la base reposait sur son sol de ciment préfabriqué, la forêt, elle, ne reposait que sur un agrégat de végétaux semblant flotter sur une soupe épaisse. Chaque pas y était un défi, chaque minute passée un petit miracle.

Quand le soir est tombé, j’ai du me rendre à l’évidence que je ne pourrai pas rejoindre le camp de base. J’ai donc décidé de m’arrêter et de me reposer pour la nuit. Après un repas frugal, j’ai trouvé une position suffisamment haute et confortable dans un gros arbre. J’ai utilisé quelques lianes pour me confectionner un hamac très rudimentaire qui tenait d’ailleurs plus du harnais que du hamac, et j’ai attendu le sommeil. En vain.

L’endroit était tranquille et comme aucune faune n’avait encore été introduite, je n’avais rien à craindre de ce côté. Pourtant, j’ai ressenti comme un présence qui se tenait là, juste en dehors de mon champ de vision, à m’observer, me jauger. Mais il n’y avait rien ni personne, même si à un moment j’ai bien pensé que c’était des membres des équipes disparues qui m’avaient retrouvé et qui n’osaient pas s’approcher. Oui, je sais, c’est complètement illogique mais sur le moment, c’est ce qui m’a paru comme l’évidence même. Sans doute cela me rassurait-il. Et puis j’ai fini par m’endormir, bercé par le bruit d’un léger vent dans les feuilles et des gargouillis liquides au pied de mon perchoir.

Et j’ai commencé à faire un rêve.

Si j’avais su ce que j’allais subir alors, je crois que j’aurai tenté de trouver mon chemin dans le noir plutôt que de m’arrêter car ils ont commencé à me parler par l’intermédiaire de ce rêve. Je ne sais pas qui ils étaient, ni même ce qu’ils étaient, mais ils m’ont parlé de leur civilisation, ancienne et magnifique, de leur croissance, de leur apogée et de leur chute en m’envoyant des images démentes de constructions et de créatures inimaginable et indescriptibles. Ils m’ont dit qu’ils renaissaient grâce aux processus de terra formation. Je crois qu’ils m’ont donné tous les détails mais je n’y ai rien compris.

J’étais dans un tel état de terreur que je ne pensais qu’à me réveiller pour que cesse cette torture mentale et fuir cet endroit. Mais ils ont continué à me parler. Je hurlais et luttais des heures durant me sembla-t-il et quand je finis par émerger ce fut pour constater que je me débattais réellement avec mon hamac improvisé. Pendant la nuit, les lianes avaient poussé et une partie de mon corps était recouvert d’une substance collante et visqueuse. De la sève en faite mais je me suis vu alors comme un insecte pris dans la toile d’une araignée qui vient de lui injecter son poison digestif. Je crois qu’à ce moment là une terreur panique s’est emparé de moi. Je voyais les arbres qui s’agitaient comme pour me retenir, un vent violent hurlait et secouait l’endroit où je me trouvais comme dans une lessiveuse infernale. Il m’a fallu deux bonnes minutes pour me rendre compte que tout ce raffut était dû à la navette qui se trouvait en vol stationnaire au-dessus de moi. Un des pilotes est descendu me délivrer et me remonter à bord, sain et sauf.

Je ne me souviens pas de tout exactement entre ce réveil agité et le moment où nous nous sommes posés à la base. Tout ce dont je me rappelle c’est qu’une fois au sol je me suis précipité au centre de commandement et que j’ai enclenché la séquence de RAZ.

Une heure après, j’étais à bord de mon vaisseau pour assister au déploiement des virus et à la terra destruction de Massa IV. »

Un silence lourd s’installa dans le cabinet quand Duncat termina son récit. Le docteur Laren resta un moment sans voix jusqu’à ce que Duncat reprenne la parole qu’il voulut légère.

« Alors Docteur, c’est grave ? »

Laren prit un instant avant de répondre en pesant soigneusement ses mots.

« Monsieur Duncat, votre cas est intéressant mais complexe, l’analyse complète des éléments que vous m’avez donnés demandera quelques jours. En l’état actuel je ne saurais donner une estimation définitive.
– Foutaises docteur, je le sais et vous le savez aussi, soit je divague soit je vous ai dit la vérité, vos instruments sont infaillibles et la réponse est immédiate.
– Je vous assure que rien de tel ne peut être avancé, il reste des zones d’ombres que je vais devoir éclairer, un nouvel entretien sera sans doute nécessaire. En attendant, je vais vous faire raccompagner. »

Au même instant, les portes coulissèrent et les gardes entrèrent pour ramener Duncat en cellule. Ce dernier se débattit et ce mit à hurler :

« Répondez-moi bon sang, je ne suis pas fou, je le sais, j’en suis sûr, dites-le moi ! »

Laren était resté de marbre face à Duncat mais il s’affaissa dans son fauteuil une fois que ce dernier fut sorti. Terrassé par la vérité, le masque froid du praticien tomba.
Non, Duncat n’était pas fou et DMH allait devoir payer des milliards d’amende au consortium commanditaire de Massa IV, des millions de colons allaient devoir attendre en stase pendant encore de nombreuses années supplémentaires, il allait y avoir des milliers de pertes dues au temps de stase trop long. Rien que pour cela, le geste de Duncat était effroyable, irréparable. Mais l’horreur atteignait son paroxysme avec la destruction d’une civilisation entière.

Après des siècles dans l’espace, l’espèce humaine avait enfin pris contact avec une nouvelle forme d’intelligence et cet imbécile l’avait rayé du cosmos d’un simple geste de panique.

Un gâchis insupportable.

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