Challenge d’écriture n°35 – Texte n°5
Skritt – 2
Liberté
Depuis combien de jours les matons m’ont oublié ? Un jour, deux jours, peut-être plus. J’ai faim, j’ai soif et en je frappe à m’en briser les doigts en hurlant comme un demeuré sur cette putain de porte en fer depuis des heures et personne ne répond.
Et voilà, trop gentil, trop con. Je prend la défense d’un bleu, les brutes du deuxième niveau voulaient lui prouver que seules les voies de dieu sont impénétrables. J’espère que ce foutu merdeux me sera reconnaissant et qu’il me gardera quelques paquets de clopes à ma sortie du mitard.
Gling… Glang… Soudain, les serrures des portes du quartier haute sécurité s’ouvrent à l’unisson. L’écho des verrous de métal glissant sur le métal résonne encore dans le couloir. Habituellement, un garde se poste au milieu du couloir et nous ordonne de nous tenir dans le fond de notre cellule. J’ai un mauvais pressentiment, quelque chose cloche.
Quelqu’un s’approche, ses pas cognent le sol frénétiquement, il court. Je m’avance vers la porte et regarde dans le judas. Une silhouette passe devant ma cellule, une silhouette que je reconnais. C’est un salaud du deuxième niveau. Un maton est en train de le poursuivre. Mais ses gestes sont différents, ils me paraissent saccadés. Il tourne la tête en passant près de ma porte et je recule dans l’ombre, je crois qu’il m’a vu. Je me blottis dans un coin, c’est affreux, j’ai peur.
Au loin, le prisonnier hurle. Il vient de se faire attraper. Il passe un sale quart d’heure, ses cris en témoignent, mais un malaise m’envahit. Il hurle comme si sa vie en dépendait. Et d’un coup, plus rien, le silence qui suit est pesant. Les pulsations dans mes tempes sont assourdissantes.
Les pas reviennent par ici et la porte de la cellule d’à-côté s’ouvre violemment. Si je ne fais rien, ça va être mon tour. Je me glisse sous le lit. La sueur, froide, colle ma chemise dans mon dos. La lumière qui à travers l’œilleton devient une ombre, menaçante. La porte s’ouvre…
Je recule contre le mur. Je retiens ma respiration. Il avance dans la cellule en traînant les pieds. Les secondes deviennent des minutes. Une odeur pestilentielle, de viande avariée, envahit les lieux. Je suffoque, une envie irrésistible de vomir me prend. Je me presse la bouche avec la main, j’essaye de contenir les haut-le-cœur, j’ai de la bile sur la langue, qui se glisse entre les doigts. Si je bouge, s’il me découvre, je sais, je le devine, je suis mort. Des gouttes s’écrasent entre ses pieds. Une, deux, trois, comme de l’eau, plus épais, plus sombre… Les pas reculent enfin.
J’attends quelques minutes avant de retrouver un rythme cardiaque normal. Puis, je sors de ma cachette. Je m’arrête de respirer, pour écouter le silence dans le couloir, et je passe la tête. Le corridor est vide, des traces, les gouttes de l’intrus, cheminent dans le couloir.
Je sors de ma cellule, la lumière du jour est éblouissante. Je porte ma main au visage pour masquer mes yeux, le temps qu’ils s’habituent, et me dirige en longeant le mur.
Je me retourne, souvent, en proie à un doute, m’imaginant que quelqu’un me suit et se cache dans les zones d’ombre entre chaque flaque blanche de lumière.
J’arrive aux grilles du quartier. Elles est ouverte et le gardien n’est pas à son poste.
J’ai faim et je me dirige vers les cuisines, mon ventre me tiraille, et dans le calme oppressant de la prison, mes gargouillis me paraissent trop bruyants. Dans chaque couloir, dans chaque cellule, personne, tout le monde a disparu comme si j’étais le dernier survivant.
J’arrive, après avoir marcher dans les longs corridors froids et impersonnels de la prison, avec une sensation étrange, aux cuisines.
Les lumières sont allumées. Ça et là, des ustensiles contiennent encore des aliments. Des mouches tournoient autour des casseroles et des plats. Leurs bourdonnements envahissent la pièce d’une lancinante mélodie à une seule note.
Je me dirige vers le magasin où sont stockés les conserves. La porte est déjà ouverte et seules quelques boîtes de fruits au sirop résident sur les étagères maintenant clairsemées. Je prends une boîte et je vais m’asseoir à même le sol. J’ouvre le couvercle et j’enfonce mes doigts dans le liquide sucré pour en retirer un gros morceau de poire. Je mange les fruits ou plutôt je les gobe. Je renverse le pot pour boire le jus qui me coule dans la bouche, glisse dans ma gorge.
Mais ce petit plaisir est de courte durée, le canon d’un fusil est posé contre ma tempe. Je ne l’ai même pas entendu arriver, et là, je crois que je suis bon pour partir les pieds devant.
– Qu’est ce que tu fous là ?
– Je… je mange, j’ai… j’ai faim, dis-je en déglutissant péniblement.
– Je vois ça, t’as pas l’air comme eux !
Le canon se relève et son propriétaire se poste devant moi. Je lève les yeux, et, oh non, un fou du deuxième niveau, et armé en plus.
– Lève toi, me dit-il en me tendant la main.
– J’comprends pas, qu’est ce qui se passe ?
– J’en sais rien, mais tout le monde est devenu est peu… tcharbé.
– J’étais au mitard…
– Ouais, je sais…
– J’ai vu un pote à toi, il s’est fait mettre une rouste par un maton, il a sacrément…
– J’ai compris, mais t’as pas l’air d’avoir saisi le truc…
– !!!
– T’en as pas encore croisé réellement, ils sont… différents.
Je commence à coller les morceaux du puzzle. Et les mots qui ne sortent pas de sa bouche me suffisent à comprendre réellement ce qui arrive.
– Attends ici, me fit-il en se dirigeant vers les frigos.
Le temps qu’il revienne, j’ouvre un autre pot dans lequel j’enfonce mes doigts pour retirer des gros morceaux de fruits. Alors que je déguste avec un certain plaisir des grosses poires bien juteuses, il se pointe devant moi, avec deux fusils et deux sacs. Il me tend l’une des armes.
– Tiens, on ne sera pas de trop pour deux, me lance t-il alors que je prends le fusil dans les mains.
– C’est pour quoi faire ?
– Pour sortir d’ici pardi, j’ai pas envie de crever ici, alors on sort…
– Pas besoin, toutes les portes sont grandes ouvertes… et ça, c’est pour au cas où… et tiens le sac, c’est des munitions.
– Ok, merci, je mange encore un peu, ça fait deux jours que…
– Pas de problème, je suis dans le couloir et je t’attends, ok, allez, dépêche…
Je le regarde sortir de la cuisine. J’ouvre le sac, et en effet, il est plein de boîtes de munitions pour le fusil. J’en sors une, puis deux, puis toutes. J’entre dans le garde-manger pour la dernière fois, et j’enfonce au fonds du sac tout ce que je peux y mettre, des boîtes de gâteaux, des petits paquets de céréales, une brique de lait et des conserves.
Je retrouve l’autre prisonnier dans le couloir et à deux nous nous dirigeons vers la sortie de la prison.
Dans ce couloir dont nous voyons la lumière de la liberté, nous avançons lentement, comme si ce rayon blanc nous repoussait et nous attirait à la fois. La peur, la crainte de sortir sûrement me prend les tripes. Et si c’était un piège, si des matons nous attendaient dans leur mirador, la lunette de leur fusil pointée sur cette porte, le doigt sûr, posé sur la gâchette, prêt à nous mettre une balle entre les deux yeux. Et pourtant, je me sens attiré vers cette lumière qui inonde le couloir d’une lueur immaculée.
Nous faisons quelques pas, il lève la main gauche, l’index pointé vers le haut. Je m’arrête et j’écoute. Il se retourne en mettant son doigt sur la bouche. Pendant quelques secondes je ne respire plus. Je tends mon oreille, me joue t-elle des tours ? J’entends des pas et lui aussi, il les a entendu. A mon avis, il n’y a qu’une seule personne, mais il me fait signe qu’il perçoit deux personnes, peut-être trois.
Alors qu’il me regarde, ses yeux passe par dessus mon épaule pour fixer quelque chose derrière moi. Je me retourne. Il est là. Le maton. Son uniforme bleu est tâché. Ses cheveux sont décoiffés, ses yeux sont hagards, comme aveugles, le teint de sa peau est un mélange de blanc et de jaune. Il avance. Ses pas sont saccadés. Ses articulations sont raides comme si ses genoux ne se pliaient plus. Ses pas se font plus rapides. Il pousse un râle, la bouche grande ouverte sur un cri étouffé.
– Oh putain, allez, on dégage !
– Je ne me suis pas fait prié. On court maintenant vers la sortie. Mais des ombres apparaissent dans la lumière. On s’arrête. Il s’assure que son fusil est bien chargé.
– On y va, colle moi au train.
– Ok.
– Au fait, vise la tête, j’en ai buté un, y a que la tête qui les tue.
– …
On repart en trottinant. On est à moins de trois mètres du premier individu lorsqu’on s’arrête. Mon nouvel allié lève son fusil et sans préavis tire. Le bruit résonne dans mes oreilles. La tête explose dans une gerbe de sang et d’esquilles d’os puis il s’effondre. J’enjambe le corps sans vie, je n’ose pas regarder. On repart, et nous nous retrouvons dehors. Le ciel est bleu, l’air est chaud. Je lève les yeux et je profite de l’air, mais on me tire sur la manche. Je le regarde, il me tourne le dos, et je comprends pourquoi. Des dizaines d’individus à l’intention peu avouable sont placés entre nous et le portail.
Je ne me rappelle plus de grand chose sauf des derniers instants. On tire sur tout et n’importe quoi. Je recharge son fusil pendant qu’il continue à vider les cartouches sur les assaillants. Je donne des coups de crosse pour me dépêtrer de leurs mains qui m’agrippent.
Il tire sa dernière munition, et se défend en cognant. Je recule. Son dernier regard est pour moi, moi et mon sac que je n’ai pas encore ouvert. Je lis l’incompréhension, la trahison, le désespoir.
Je recule en lâchant mon arme. Et je me mets à courir. Je reviens sur nos pas. Je traverse les cuisines. Je les entends derrière moi. Ils courent, ils crient. Ils me chassent.
Les couloirs me paraissent longs, trop longs. Je cours mais je n’arrive plus à respirer, j’ai les poumons en feu.
Je suis revenu au quartier haute sécurité. Au bureau du surveillant, je cherche les clefs. Je les vois, ils arrivent. J’ai trouvé le trousseau.
J’entre dans ce couloir que je hais tant. Je ferme la grille derrière moi, et j’enfonce l’une des clefs dans la serrure puis la tourne. Ce n’est pas la bonne, je réessaye avec une autre, il approche. Puis une autre, je sens leur odeur maintenant. Le trousseau me glisse des mains, je le ramasse. Une autre clef et je tourne. J’entends la serrure qui se ferme. Je recule à bout de souffle. Ils sont là, ils passent leurs bras entre les barreaux. Je recule, le sac glisse le long de mon bras. Je recule.
Un râle, une souffle sur ma nuque. Derrière moi… NNNOOOONNNN