Challenge d'écriture n°30 – Texte n°1

Pouanaïs

Ara Bahameen ne se promenait jamais accompagnée par un homme, contrairement aux autres. Tous redoutaient son fidèle faucon, et pensaient que, pour cette raison, la jeune femme n’avait aucune crainte d’être attaquée.
Mais en vérité Abbas, son faucon à l’œil perçant et au bec acéré, était un animal vieux et inoffensif, tout juste bon à croquer les souris. Ce qui était à craindre, c’était l’épée tranchante d’Ara Bahameen, cette belle arme au pommeau incrusté de pierres précieuses. Qui eut cru que cette femme mince et agile comme un singe pouvait manier cette lourde épée mieux que tous les hommes de Perse réunis ?

Ara Bahameen avait hérité de cette arme à la mort de son père, le vaillant guerrier Soroush Farvardin. C’est tout ce que la petite Ara Bahameen avait pu récupérer des richesses de sa noble famille. Le reste était parti en poussière plus vite que le galop des chevaux des guerriers Soar, ces brutes de pilleurs qui lui avaient volé son enfance et ses souvenirs heureux.
Mais le père d’Ara Bahameen lui avait légué sa force et son courage, et la petite fille continua à vivre dans le palais dévasté, en compagnie de sa vieille servante dévouée, passant ses journées à manipuler son unique jouet : une épée aussi haute qu’elle, et sans doute plus lourde. Elle apprit seule à la manier et, au fur et à mesure qu’elle grandissait, elle devint si douée que l’arme semblait faire partie de son propre corps.
Sa vie fut à nouveau bouleversée par la disparition de sa fidèle servante, qui chaque jour s’enfonçait plus dans la maladie et la douleur. N’ayant à présent plus aucune attache, Ara Bahameen décida de partir parcourir le monde pour venger son père.

Mais le monde était plus hostile qu’elle ne le prévoyait. A peine arrivée en ville, Ara Bahameen vit tous les regards se fixer sur elle. Il était très malvenu pour une femme de se promener seule, sans son mari, son père ou son frère. Par ailleurs, Ara Bahameen ignorait tout de sa beauté, qui émanait au-delà de son voile et de ses vêtements amples. Ses yeux félins, sa peau dorée, la finesse de ses membres… Sans le savoir, elle attisait la convoitise. Les hommes lui jetaient des regards de loups affamés et la hélaient ; les femmes, sous le voile, posaient sur elle un regard noir de khôl et de jalousie. Mais Ara Bahameen ne ressentait pas la moindre peur, se sentant protégée par l’épée qu’elle portait à la ceinture.
Tout à coup, dans une ruelle sombre, un homme se jeta sur elle et l’enserra contre lui en coinçant sa gorge fine sous son bras épais. Il commença à lui susurrer des mots vicieux et déchira son corsage. Ara Bahameen coula entre ses bras tel un serpent, se dégagea et, en une fraction de seconde, elle dégaina son arme. L’homme fut décapité avant même d’avoir pu reprendre son souffle. Ara Bahameen tourna les talons au corps, sans aucune pitié, et repartit sous les regards affolés d’un groupe d’hommes qui fumaient à la porte et n’avaient pas perdu une miette de la scène. Ils s’écartèrent pour la laisser passer.
Un enfant qui jouait dans la rue partit en courant, abandonnant sur le pavé un vieil oiseau qu’il s’amusait à torturer. Ara Bahameen se pencha pour ramasser le pauvre animal et continua son chemin.
Après avoir déposé le faucon pelé dans sa besace, elle entra dans une auberge et demanda une chambre. Le regard affolé de l’aubergiste était clair : la réputation d’Ara Bahameen l’avait précédée. « C’est gratuit pour vous, Madame, gratuit. » s’essouffla-t-il, avant qu’elle ne disparaisse dans le couloir.

Avant de dormir, Ara Bahameen s’occupa du faucon blessé. Elle nettoya ses blessures au savon et lui posa une attelle à l’aile. L’animal ne bougea pas, se contentant de dévisager Ara Bahameen de ses yeux perçants.
Le lendemain, elle déjeuna, remonta donner quelques miettes au faucon, puis continua sa longue route, épée à la ceinture et faucon au fond de la besace.

Le faucon fut requinqué au bout d’une dizaine de jours, et Ara Bahameen décida de lui rendre sa liberté au beau milieu de la forêt d’Azagrab. Il s’envola sans un au-revoir. Ara Bahameen soupira : à présent elle était tout à fait seule. Mais la beauté de la forêt d’Azagrab, avec ses arbres majestueux, lui fit rapidement oublier sa solitude.
Elle s’endormit, entièrement en paix avec elle-même, entourée par la beauté de la forêt et les hululements des chouettes.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, le calme ambiant avait disparu, quatre… cinq… six cavaliers, tous vêtus de noir, avaient déposé leur monture plus loin et l’encerclaient, se rapprochant peu à peu. Des guerriers Soar, sans aucun doute.
« Ara Bahameen, tu aurais du mourir depuis bien longtemps. » lâcha une voix gutturale. Ara Bahameen aurait été bien incapable de dire quel cavalier avait parlé, tellement ils étaient tous semblables, peut-être avaient-ils même tous parlé ensemble.
Elle dégaina son arme. Un premier cavalier commença à chatouiller son épée. Il était doué, mais Ara Bahameen l’était plus encore. Un second cavalier vint à la rescousse de son semblable, puis un troisième. Le sixième fit tomber l’épée d’Ara Bahameen à terre, et elle sentit le tranchant d’une arme sous son menton. Les yeux dans les yeux avec ce sixième cavalier, elle le reconnut. Son regard noir et dur ne pouvait la tromper : c’était lui qui avait parlé, Soartabas, le Prince Soar, l’assassin de son père. Ara Bahameen était perdue.
C’est alors qu’un cavalier montra le ciel du doigt, et tous s’écartèrent. Soartabas prit la fuite à contrecœur. Ara Bahameen leva les yeux. Un faucon majestueux effectuait une ronde autour d’elle, lançant des coups d’aile menaçants aux cavaliers noirs. Ceux-ci le surveillaient de loin, effrayés. Quand Abbas le faucon se posa sur l’épaule d’Ara Bahameen, les cavaliers enfourchèrent leur monture en vitesse et disparurent dans un bruit de galop.

C’est ainsi qu’Ara Bahameen repartit sur la piste des guerriers Soar, accompagnée par son fidèle Abbas.

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