Challenge n°16 – Texte n°1

Metatron

Souffle stellaire

Les étoiles. J’ai toujours été fascinée par ces petites étincelles dans le ciel.
Si lointaines, si inaccessibles…
On peut être écrasé par la chaleur du soleil d’été, maudire la pleine lune qui illumine la nuit et empêche les plus sensibles de dormir ou encore être frigorifié par le vent glacial de l’hiver. Mais je n’ai jamais entendu quiconque se plaindre des étoiles. Immuables, elles scintillent, indifférentes à nos vies qui doivent leur paraître ridiculement courte.
S’il y a bien une chose à laquelle je pensais pouvoir me fier, c’est bien les étoiles.
Romantisme que je qualifierai aujourd’hui de naïf…
Le premier coup de semonce survint il y a quinze ans de cela. Lorsque les sondes qui officiaient au delà de la planète Pluton relevèrent un accroissement sensible de l’intensité des vents solaires, la communauté scientifique fut plongée dans un profond désarroi. Aucune variation significative n’avait été détectée aux abords du soleil : comment de telles augmentations pouvaient-elles être révélées aux confins de notre système ?
Les télescopes s’activèrent et des théories sur les champs magnétiques, canalisant les protons et les électrons constitutifs du vent solaire furent échafaudées. Il y eut même quelques entrefilets dans les journaux, mais dans l’ensemble, cet émoi se limita au cercle restreint des astronomes avertis.
Malgré les énergies mobilisées, l’explication à ce mystère apparut d’elle-même huit ans plus tard, lorsque la sonde Voyager IV en mission autour d’Uranus releva à son tour une activité anormale du vent solaire.
Pluton, puis Uranus… Cette vague de particules ne venait pas du soleil : au contraire, elle se dirigeait vers lui.
A nouveau, ce fut l’effervescence.
D’où provenait ce vent, qualifié à présent d’interstellaire ? S’agissait-il des restes d’une comète ? De la collision de deux météores ?
Cependant, alors que les plus brillants esprits analysaient et publiaient nombre d’études, un incident éclipsa les débats sur ce phénomène inattendu.
La sonde Voyager IV, dont les émissions se faisaient de plus en plus rares, s’éteignit brusquement, vingt ans avant la fin programmée de son activité. Les compagnies d’assurance durent mettre la main à la poche et leurs actions plongèrent, provoquant des secousses jusque dans l’activité bancaire mondiale.
Il y eut bien quelques esprits chagrins qui relièrent cet incident aux perturbations induites par la vague de particules en provenance de l’espace. Mais rien ne put être prouvé, et l’agence spatiale mondiale préféra toucher le chèque de l’assurance plutôt que de trouver une explication à cet incident.
Cinq ans s’étaient écoulés lorsque le satellite artificiel qui gravitait autour de Jupiter cessa d’émettre à son tour sans explication.
Cette fois, les derniers relevés transmis par les capteurs faisaient état d’une augmentation fantastique de l’intensité du vent solaire. Dans le même temps, Jupiter se mit à luire si fort qu’on se mit à la confondre avec la fameuse étoile du berger. Pointant leurs appareils de mesure vers la géante gazeuse, les observatoires constatèrent l’apparition de gigantesques volutes de gaz à sa surface. Il ne fallut pas longtemps pour comprendre : le vent interstellaire arrachait l’atmosphère supérieure de la planète.
C’est seulement à cet instant que le monde se mit à frissonner. Que se passerait-il lorsque la terre serait prise dans cette déferlante ?
Déjà, les pays scandinaves et le Canada s’inquiétaient de la multiplication des aurores boréales, conséquences de l’entrée de particules chargées aux pôles.
Les politiques s’emparèrent du problème et une mission spéciale fut affrétée. La sonde, baptisée EOLE et spécialement équipée pour résister à des perturbations électriques, devait atteindre le front du vent interstellaire deux ans plus tard, aux alentours de Mars. Deux ans, c’est un gouffre pour l’homme ! Mais nous n’eûmes pas l’occasion de nous désintéresser du problème.
Jupiter, à chaque apparition dans notre voute céleste, éclipsait les étoiles par sa terrible luminosité qui présageait le pire. Des aurores boréales furent observées jusqu’à Tokyo et Londres. Des prophètes de pacotilles se mirent à abreuver les foules de sermons enflammés et les sectes se multiplièrent : un souffle de paranoïa parcourut le monde. Les particuliers se mirent à stocker des conserves dans leur cave et les abris anti atomiques furent dépoussiérés, en prévision du pire.
Lorsque EOLE fut proche de son objectif, les médias guettèrent la moindre information sur les mesures et les conclusions des astronomes.
Etonnamment, rien ne filtra, et les savants furent mis au secret. Cela ne fit qu’aggraver la psychose et des manifestations éclatèrent.
Cette période fut le théâtre d’un indescriptible chaos. Les spéculateurs vendirent leurs actions et la bourse plongea. Puis, les guichets des banques furent pris d’assaut par les clients qui souhaitaient récupérer leur argent. Aucune police n’arrivait plus à réfréner les pillages.
Après trois semaines d’anarchie, lors de la traditionnelle nuit des étoiles filantes, un astronome se décida enfin à briser le silence. Interviewé sur une chaine privée, il présenta les informations transmises par EOLE.
A l’aide de schéma, il expliqua le processus de mort d’une étoile : effondrement du cœur et expulsion des couches supérieures dans l’espace pour former une nébuleuse. Ce qui s’approchait inexorablement de nous, c’était précisément le nuage de gaz émit au moment de l’effondrement : électrons, protons et hélium. Il n’était pas en mesure de préciser quel était l’astre qui en était à l’origine, mais la conclusion ne faisait aucun doute.
Le monde était suspendu à ses lèvres. Ce n’était « que » ça ? Quelles étaient les conséquences pour notre planète ? Les questions pleuvaient, mais je n’en écoutais pas davantage.
J’avais compris la criticité des évènements : le nuage n’arrivait pas seul.
Si les particules chargées entraineraient de terribles perturbations électromagnétiques à leur arrivée dans l’atmosphère, ce ne serait rien à côté de ce qui venait avec : les rayons gamma. Une pluie de radiations allait s’abattre sur la terre. Elles traverseraient tout, irradiant la planète pour les millénaires à venir.
Etourdi par les implications d’une telle catastrophe, je sortis faire quelques pas dans le jardin.
Je levai les yeux pour contempler les étoiles scintillantes.
Pour la première fois, cette vision ne m’apporta aucun réconfort.

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