Challenge n°21 – Texte n°4

Son of Khaine

Touplin

“ Touplin”. L’orque recompta le nombre de colliers de dents pour être sûr de ne pas se tromper. Un, deux… troa… qu’il y avait-il après… ah, oui, quatre ! Et ensuite, c’était touplin. Parfait, exactement le montant du tribut mensuel fixé par le chef. Et Wagrut allait être content : il adorait nager dans les dents et extorquer leurs biens aux pathétiques gobelins de la nuit de la Lune Bleue. Soudain, une forme – dans laquelle certains distinguèrent un éclat métallique – jaillit de la foule assemblée pour assister à son humiliation. La chose vint s’écraser aux pieds du percepteur qui se retourna et grogna de douleur : il venait de se faire entailler la cheville gauche. Ou droite, il ne savait plus. En réalité, il ne l’avait jamais su.

Quoi qu’il en soit, son assaillant en profita pour se relever et frapper de toutes parts en fermant les yeux – probablement par peur de se rendre compte qu’il commettait la pire erreur de sa vie. Quand il les rouvrit, il s’aperçut que sa lame s’était retrouvée, sans qu’il ne sache comment, dans la gorge de son ennemi. Il tenta de l’enfoncer jusqu’à la garde mais ne réussit pas. Il réessaya en s’aidant de ses deux mains, puis en mettant tout le poids de son corps dessus, pour finalement perdre l’équilibre et mordre la poussière. Un de ses congénères lui tapota l’épaule de son doigt griffu en demandant : “ Merci, euh…
– Appellez-moi Cheglum, camarades, répondit-il. Je suis ici afin de vous aider à vous affranchir de la servitude imposée par ces kulpabilistes… kapablilistes…, bafouilla t-il. De ces tyrans, se rattrapa t-il finalement.
– C’est-à-dire ?, lui répondit celui qui semblait être le chef de la tribu.
– C’est-à-dire que c’est nous qu’allons mettre une raclée à ce gros esclavagiste de Wagrut et qu’c’est nous qu’allons lui choper ses dents !, explosa le gobelin commun – le simple fait qu’on ne puisse pas comprendre le concept le plus important qui soit le mettait immanquablement en colère.

Après un petit temps de réflexion, les autochtones explosèrent de joie et le portèrent en triomphe. La foule en délire l’acclamait et tentait de lui faire les poches. Pendant ce temps, le chef de la tribu se battait avec un autre gobelin pour s’emparer du tas de dents placé au centre de la grotte. Après avoir étourdi son adversaire, il s’aperçut que ses guerriers hurlaient “ Cheglum grand chef ! Cheglum grand chef !
– C’est koi c’t’histoire ?, hurla t-il. C’moi l’grand chef, moi, Grogag !
– Ben…, lui répondit Cheglum. Faut croire que non. J’ai été choisi de façon démokritike… démokraptikiki… par le peuple. ”
L’ex-grand chef hésita. N’écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il évita d’intervenir. “ Oui, bien sûr, ô vénéré grand chef Cheglum sauveur de la tribu de la Lune Bleue choisi de façon démagokratik pour lutter contre les kalamitistes, dit-il en se prosternant devant le gobelin commun.
– Relève-toi, Grogag, tu seras mon second et le commandant du flanc droit. C’est le moment de se préparer à la bataille. Allez dans les forêts chercher les chevaucheurs d’araignées que m’a promit leur chef Zagwurz. Préparez la bannière. Formez les bandes. Et toi, dit-il en désignant le gobelin assommé près du tas de dents, tu seras chef des archers. ”


La bataille contre les kapessimistes allait bientôt commencer. Cheglum regarda ses troupes : des dizaines de gobelins de la nuit, sous son commandement, lui, le gobelin commun. Même une dizaine de cousins des forêts s’étaient joints à lui. Le coeur empli de fierté, il commença à jacasser de sa voix criarde les mots qui lui venaient à la bouche aussi fluidement qu’une coulée de morve au bout de son nez long et pointu : « C’est la lutte finale ! Groupons nous et demain, l’Intertribale sera le genre gobelin ! ». Il fut brutalement interrompu par le cri de guerre des Poings Rouges qui s’élançaient à travers la plaine.

Les orques n’avaient pas remarqué les chevaucheurs d’araignées placés en avant des lignes gobelines. C’était le moment idéal pour qu’ils chargent et accomplissent leur mission – prendre par surprise l’escorte du général ennemi. « En avant, camarades ! », hurla Zagwurz. « Camarades ? », demanda t-il en se retournant. La triste réalité s’imposa à lui : ils s’étaient fait la malle. La couardise était en effet le trait de caractère le plus marquant chez ces créatures – mais elles en possédaient un autre, presque aussi important : la folie.

« Ye-haaa ! », s’exclama le chef en dirigeant sa monture vers les kostos, et plus précisément leur général. Son cri aux lèvres, la rage au coeur, l’écume au menton, il parcourait la distance qui le séparait de son ennemi tel une flèche vengeresse, lance en avant. Il était l’incarnation même du courroux du petit peuple vert. L’orque se tourna en direction du fou furieux en s’emparant de sa hache, mais il fut trop lent. Avant même qu’il ne puisse se mettre en garde, l’arme du gobelin rencontra sa poitrine – pour s’y briser net. Wagrut ne chancela même pas et frappa de côté, tranchant Zagwurz en deux. Il s’écroula sans lâcher la hampe cassée de sa lance de fortune.


Les orques noirs chargèrent les guerriers qui escortaient Cheglum. Leur chef, une brute en armure lourde, culbuta le capitaine gobelin. Celui-ci recula en rampant et en se protégeant tant bien que mal. L’élite des Poings Rouges s’élança dans la brèche, puis le piège se referma. Ils furent encerclés, massacrés, incapables de manier leurs lourdes haches. Le gobelin commun cria victoire, puis vit que ses deux flancs étaient en déroute. Il allait être pris en tenaille – tout ça à cause de ces maudites araignées.


« Encore raté », se dit-il après s’être mis hors de danger. Un jour, c’est sûr, il réussirait, après tous ses échecs. Combien, déjà ? Un ? Deux ? Trois ? Quatre ? Cinq ? Six ? Ses défaites étaient tellement nombreuses qu’il ne parvenait plus à se souvenir de leur nombre. Alors, il se rabattit sur l’adjectif numéral préféré des peaux-vertes, convenant à la fois à ses essais manqués et au nombre de cadavres qui jonchait la plaine. Touplin.

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