Challenge n°21 – Texte n°3

Baal-Moloch

Soit pas con Clitis, tire-toi d’là !

Il hésite. Sa conscience, son instinct de survie, ainsi que toutes les fibres de son corps lui hurlent de se tailler fissa. Pourtant, il y a ce serment, ce satané serment qu’il a prêté tout comme son père et son grand-père avant lui : sauver des vies coûte que coûte. Ah les traditions familiales !

Oui, oh, je te signale tout de même que c’était plutôt facile à l’époque de faire ce genre de promesse : tu n’étais pas alors dans cette saleté de jungle à te faire canarder d’ssus. Je suis sûr que ton paternel comprendrait au vu de la situation.

La petite voix n’a pas tord et, à force, va finir par convaincre Clitis Wood. Ce dernier est un lâche et de la pire espèce qui plus est, surtout lorsqu’il est à jeun comme aujourd’hui : il n’a pas eu le temps de s’injecter dans les veines sa dose quotidienne de cocktails psychotropes, ni même d’avaler au moins un petit comprimé qui détend les nerfs.

Shapiro, Dutch, Spoon et Gustavo sont actuellement pris sous un feu nourri et, hélas pour eux, il n’y a guère que lui pour les extirper de ce pétrin car le reste de l’escouade est resté en retrait, censé couvrir leurs arrières. Beau boulot, les gars, merci !

Que faire ? Il n’en a pas la moindre idée. L’adversaire connaît l’endroit comme sa poche et s’est parfaitement fondu dans le décor. Clitis se laisse néanmoins couler sur le sol et se met à ramper, en essayant de contourner l’accrochage, du moins à ce qu’il présume.

Creuse-toi un peu la cervelle, ducon ! Ils sont fichus, laisse tomber ! Toi d’abord, les autres après… D’ailleurs, eux, ils ne lèveraient certainement pas le p’tit doigt pour toi si t’étais à leur place. Chacun pour soi, mon vieux.

C’est très tentant. Prendre le large, quitte à devenir un déserteur. Un déserteur ? Non, pas question ! Cela revient tout bonnement à signer son arrêt de mort. Le Commissaire se fera alors un devoir, et une joie, de lui administrer la Bénédiction de l’Empereur.

Mais non, mais non. L’ennemi fuit, nous on se replie seulement. Tu saisis la nuance ? Pesons le pour et le contre si tu veux bien. Devant, c’est la mort assurée, t’as aucune chance, crois-moi. Si tu rebrousses chemin maintenant, tu peux encore en réchapper. T’arriveras bien à prétexter quelque chose, n’importe quoi, on a tout le temps d’y réfléchir. Tu pourrais même te flinguer le pied ou la cuisse, histoire de faire bonne figure.

Tout ceci semble tenir la route. Toutefois, cela ne l’empêche pas de cacher son Ressuscitrex sous un tas de feuilles mortes au pied d’un arbre rabougri, conservant uniquement la trousse de premiers soins au cas où. Puis, lentement, mécaniquement, il reprend sa progression, toujours au jugé, espérant pouvoir chopper les hostiles par derrière.

Quelque part sur sa gauche, Dutch braille des insanités sur la vertu de certaines mères jusqu’à ce que Gustavo l’invite à la mettre en sourdine. A priori, et pour l’instant, ses copains sont encore en vie.

Pour l’instant, hein. Ça va pas durer. Demi-tour !

Là ! A une vingtaine de mètres de sa position, plusieurs traits rougeoyants de laser viennent de percer la frondaison, déchiquetant au passage de hautes fougères. Par le Trône d’Or, les méchants sont juste là !

Et alors Clitis ? C’est du suicide. Tu sens pas le danger ou quoi ? T’as rien à prouver, t’as rien à en retirer. Et puis, ce sont de grands garçons, ils vont bien se débrouiller tous seuls. Tu risques même de le gêner plus qu’autre chose. Regarde-toi : tu trembles tellement t’as la trouille, sans compter que t’es en manque.

Peut-être. Ou peut-être pas. Wood se sait être le roi des dégonflés mais il veut encore pouvoir se regarder dans la glace le matin sans se détester. Il lui reste encore une petite once d’amour propre et il ne souhaite pas la perdre, ni même la solder.

Y’a pas moyen de te faire entendre raison. On s’en tamponne, bordel ! Tu n’a jamais été et tu ne seras jamais un héros, juste un zéro. Un Z-E-R-O !

– Mais tu vas la fermer ta gueule ?!

Clitis se plaque une main crispée sur la bouche. Il vient de dire ça à voix haute. Il l’a crié même. Et déjà, il peut entendre l’opposant qui s’amène à sa rencontre, sûrement pas pour lui offrir des chocolats.

Ah mais c’est pas vrai ! T’es trop con. Moi, je m’barre…

– C’est ça ! Tu me feras des vacances !

Foutu pour foutu, il se redresse d’un coup et balaye la zone devant lui de son fusil-laser réglé à la puissance maximum. Une brève exclamation, à la fois teintée de surprise et de douleur, lui fait écho non loin.

Prudemment, la tête rentrée dans les épaules et l’index toujours paré sur la détente de son arme, Wood s’avance. A quelques pas à peine, il tombe sur un Namien face contre terre, baignant dans son sang et littéralement coupé en deux au niveau du bassin. Inutile de tâter son pouls.

Soudain, il perçoit derrière lui des branchages que l’on écrase. Il se retourne vivement, pointant son fusil vers ce bruit, prêt à zigouiller celui qui se présentera. Ouf ! C’est Shapiro, la main levée en signe d’apaisement.

– Tout doux Doky, ce n’est que moi. Ben mon colon tu l’as pas raté le gus, désignant du menton le cadavre. T’es pas si trouillard que ça finalement.
– M… Merci. Et les autres ?
– C’est au poil, t’inquiète. Ta diversion a bien fonctionné : ces salopards se sont crus encerclés et se sont cassés sans demander leur reste. J’peux t’avouer qu’on a chaud la couenne.

Clitis Wood, médecin de l’escouade et surnommé Doky par ses camarades, est sur un petit nuage. C’est bien la première fois qu’il fait preuve de courage. Pour un peu, il y prendrai goût. Mais il ne faut rien exagérer.

Hé ! Je te l’avais bien dit qu’on s’en sortirai… Ce soir, double dose d’obscura pour fêter ça !

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