Challenge n°22 – Texte n°2

Lothar

Qui suis-je pour m’opposer à Sa volonté ? La Mort est un acte cruel mais ceux qui comprennent Ses desseins savent que je n’ai d’autre choix. Ceux là n’ont d’ailleurs pas besoin de mes démonstrations. Seuls ceux dont la foi vacille, comme ce sergent inerte sous ma botte, ne comprennent pas la portée de Sa Divinité. S’ils n’acceptent pas de leur plein gré de repousser les hordes de l’Enfer, alors ils ne sont pas dignes de vivre. Je me fais alors messager de l’Empereur Déifié pour les châtier.

Je regarde ces hommes harassés et trempés. Je lis dans leurs yeux, dans leurs âmes, toute la terreur que je leur inspire, le dégoût qu’ils ressentent pour moi. Ils me craignent plus que les prédateurs de la Très Sainte Humanité. Ne comprennent-ils donc rien ? Soit. S’ils ne peuvent avancer par courage, ils marcheront sur l’ennemi par la peur. Et si d’autres doivent mourir en lâches pour qu’enfin Sa volonté soit faite, c’est un sacrifice auquel je consens.

Je les harangue. Certains relèvent la tête, regagnant un peu de dignité à mes yeux et aux Siens, mais la plupart se murent dans le mutisme. Mon pistolet, encore fumant et braqué sur le front béant de leur sous-officier, se dresse dans les airs. Je les exhorte à se lever et à accomplir Sa volonté. Avec une infinie lenteur, ces lâches se traînent dans la fange en prenant bien soin de baisser la tête au passage des shrapnells et des éclats. Hé bien ? J’ai moi-même un morceau de métal brûlant logé dans la cuisse. Est-ce une raison valable pour ne pas Le servir ?

De temps à autres, une gerbe de boue jaillit aux abords de la tranchée. Est-ce donc cela qui terrorise ces pleurnichards ? Ils n’acceptent pas le cadeau que leur fait notre Saint Empereur en leur permettant de mourir pour Lui. Mon cri de rage accompagne les claquements de mon pistolet alors que je tire au jugé dans cette masse inerte. A la mort certaine que je leur dispense, ils choisissent enfin la gloire de Le servir. L’assaut, brisé par ce petit sergent indigne de son rang, reprend enfin.

Les hommes affolés franchissent le parapet et je me rue derrière eux. Je dégaine ma fidèle épée. Le rugissement de son moteur se mêle au cliquetis métallique de la chaîne de tronçonneuse. De tous les bruits de la bataille, c’est le seul qui parvient à mon esprit, comme une voix chaude et réconfortante, comme les encouragements du Père en personne.

Je sens les ondes de choc et j’entends les cris, j’ai conscience des mottes de terre et des morceaux de corps qui me heurtent. Mais mon regard se focalise sur mon objectif de l’autre côté du no man’s land et sur les hommes qui s’arrêtent ou reculent. Je sais que notre vague d’assaut s’effrite à chaque grondement mais nous arriverons de l’autre côté par Sa volonté ou aucun d’entre nous ne rentrera. Je cours entre les cratères et aperçois l’un de mes soldats vautré dans l’un d’eux. Je saute à ses côtés, le relève et le renvoie en avant. Un homme, même mourant, peut encore faire le rempart de son corps à l’un de ses frères pour qu’un autre puisse accomplir Son œuvre. Un homme encore vivant n’a pas d’excuse pour échapper à son devoir. Quelques mètres encore et l’averse d’acier diminue en intensité. Nous avons passé le barrage d’artillerie et arrivons aux barbelés.

Les mitrailleuses adverses tissent un rideau de feu au ras du sol. Nos grenades volent, couvrant notre approche, les soldats affaissés sur les barbelés servent de marchepied à ceux qui les suivent. Inexorablement, nous nous frayons un chemin dans l’inextricable roncier métallique. Dans ma main mon épée hurle sa rage et se prépare à libérer toute sa colère sur nos adversaires impies. J’attrape par le barda un homme qui recule. Il pleure comme un enfant, me supplie de le laisser partir. Je mets fin à sa folie et jette son corps dans la boue. Je sens le doute planer à nouveau sur mes troupes. Les rafales d’armes lourdes qui les sectionnent en deux semblent amoindrir leur détermination. Puisque les pousser ne suffit plus, il me faut les tirer. Au pas de course, je les dépasse. Quand je pose le pied en dehors du champ de barbelés, une grande clameur retentit dans mon dos. Maintenant, ils ne failliront plus.

Je bondis dans la tranchée, talonné par mes hommes. Les tirs fusent, les corps roulent, chutent au ralenti. Quand mon pistolet a délivré Son message aux incroyants, je me jette sur les renégats qui se ressaisissent à peine. J’alterne moulinets et bottes de mon épée vengeresse, dispensant Sa Juste Rétribution à ceux qui ont choisi la voie des parias. Nous prenons l’avantage et rapidement la tranchée adverse est à nous, nos ennemis morts ou en fuite pour échapper à Son courroux. Montant sur le toit d’un abri de rondins, j’observe mes hommes investir et sécuriser les moindres boyaux et je me permets un instant d’introspection.

Mon travail est de motiver les hommes les plus abjects pour les pousser au-delà de leurs limites pour Sa plus grand Gloire. Ainsi seulement ils peuvent accéder à Sa sainteté. Ce faisant, je sauve leurs âmes, souvent contre leur gré. Puisse l’Empereur pardonner l’ingratitude de Son troupeau envers Son plus fervent serviteur. Mon seul salaire est la béatitude que je ressens face à la tâche accomplie.

Surplombant la tranchée dévastée, je laisse mes bras tomber le long de mon corps. Ma tête bascule en arrière, mon regard se tourne vers les Cieux et les yeux mi-clos, j’entonne les Louanges de la Victoire. L’échec, qui remettrait en cause Ses desseins, ne m’est tout simplement pas permis… Qui suis-je pour m’opposer à Sa volonté ?

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