Challenge n°22 – Texte n°1

Baal-Moloch

Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté ? Comment oses-tu me poser pareille question ? Mais n’as-tu donc aucune conscience professionnelle ?

Laisse-moi seulement te rappeler mon bon ami que nous sommes tous deux des plénipotentiaires accrédités de l’Administratum, et qu’à ce titre, nous ne pouvons passer sous silence une telle ignominie. Nous sommes tenus, rien que par nécessité morale, d’en référer diligemment aux plus hautes instances et faire mandater l’Arbites sur cette terrible et sombre affaire, quitte à mettre nos carrières, voire nos vies, dans la balance.

Saisis-tu seulement toutes les implications qu’entraînent un tel document ? Je me le demande… N’oublie pas je te prie que la bureaucratie est chose sérieuse et d’importance, une respectable institution sur laquelle s’appuie l’ensemble de l’Imperium depuis des siècles pour assurer sa pérennité. Dès lors, il ne s’agit plus d’une responsabilité, mais bien d’un sacerdoce. Cela va nettement au-delà de nos petites personnes. Comprends-tu ?

Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté ? Non mais…! Tu sais ce que c’est que ça ? Ce que cela représente ? La graine de l’anarchie. Parfaitement ! Et rien que de prononcer ce nom, j’en ai des frissons dans le dos parce que ça, ça mon ami, c’est la porte ouverte à l’hérésie. Rien de moins. Par définition, et l’histoire nous l’a maintes fois démontrée tu le sais, l’anarchie engendre le chaos. Oui, le chaos.

Toi, moi, notre organisation sommes les garde-fous, le rempart contre des dérives de ce genre. À présent, tous les regards sont braqués sur nous, tous les espoirs posés sur nos frêles épaules. Non, décidément, nous ne pouvons nous dérober, je ne le supporterai pas. Et toi non plus d’ailleurs, ne le nie pas. Depuis le temps que nous travaillons ensemble dans ce service, je te connais bien.

Et puis, réfléchis encore. La récompense ! L’Imperium tout entier nous sera reconnaissant et redevable pour avoir dénoncer ce… ce complot, n’ayons pas peur des mots. Imagine : un grand bureau avec, pourquoi pas, soyons fous, une fenêtre. À nous l’avancement, les promotions ! Un à un, nous gravirons tous les échelons de la hiérarchie. Finies les tâches subalternes rébarbatives et astreignantes ! Envolées les heures supplémentaires payées des clopinettes ! Imagine un peu mon ami ! Pense aussi aux bals de l’Ambassadeur, si réputés pour le bon goût de maître de maison et où nous serons systématiquement conviés et célébrés. Nous sortirons des rangs de l’anonymat.

Ainsi, relis avec moi, considérant dans le Livre des Lois Constitutionnelles Impériales, volume IX, article 51, paragraphe premier, alinéa 4, de l’ordonnance de 883.M41 avalisée par le très saint Adeptus Terra, je cite : “Toute pièce officielle émise par un gouvernement planétaire impérial devra être retranscrite sous les deux jours suivants son édition pour l’archivage, manuellement et en haut gothique par un Curator assermenté, et ce, en trois exemplaires sous format papier blanc A4, soit aux dimensions de 210×297 mm pour un grammage de 80g/m².”

Alors ? Tu vois pourtant bien ce que je tiens là dans ma main, tu n’es pas aveugle. Cette feuille ! Cette feuille, signée du Gouverneur en personne, est jaune. Jaune ! Depuis quand les observations statistiques trimestrielles du cheptel porcin sud-continental sont-elles sur papier jaune ? C’est tout simplement intolérable ! Inqualifiable ! Impardonnable !

Nul ne peut, ni ne doit se soustraire à ses obligations, pas même le Gouverneur. Et voilà pourquoi nous allons nous opposer à sa volonté comme tu aimes à le dire, car celle de l’Empereur lui est supérieure et le Bureau des Poids et Mesures Impériales, dont nous sommes les dignes légataires, se doit de dévoiler au grand jour cet affreux scandale, il en va de notre devoir le plus sacré. Il n’y a guère que nous pour remettre de l’ordre et dénoncer la corruption qui règnent ici.

Ah ! Je constate non sans plaisir que j’ai su faire vibrer en toi la corde de la raison, et tu ne le regretteras pas, crois-moi. Rend-toi compte : nous sommes maintenant l’incarnation du bras séculier de la justice impériale.

Allé ! Prépare-moi donc une cartouche de stockage d’informations, ainsi qu’un extrait de quittance B-69 et un certificat d’accréditation par la même occasion, que je puisse transmettre en bon éduforme notre rapport à qui de droit. Des têtes vont tomber, que l’Empereur m’en soit témoin et aussi vrai que je me nomme Cepad Boll !

Suite à leurs fracassantes révélations, l’Auxiliaire Cepad Boll et son collègue, Jeule Kroipah, furent mutés au service administratif du goulag Siberius, sur le satellite polaire de Moskovy. Par la suite, Kroipah fut incarcéré à vie dans cette même prison, après avoir assassiné Boll à l’aide d’un coupe-papier non-réglementaire.

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