Challenge d’écriture n°33 – Texte n°7

Rendar

Le soir tombait doucement sur la Nouvelle-Orléans, les dernières lueurs du jour laissant petit à petit place à l’obscurité des étouffantes nuits d’été. Caché au fond d’une ruelle du quartier pauvre de Perdido un homme s’était mis à sangloter dès la disparition, derrière l’horizon, de l’astre diurne.

L’homme était sale et d’une maigreur effrayante. Les larmes traçaient des sillons clairs dans la poussière qui recouvrait ses joues émaciées. Il devait avoir une quarantaine d’années mais en paraissait largement vingt de plus. Il ressemblait à bien d’autres hères peuplant les rues. Des gens que l’on ne regarde que d’un œil furtif, lorsqu’ils tendent la main pour réclamer une pièce ou une cigarette. Un clochard, parmi tant d’autres.

Pourtant, celui là était différent. Dans ses yeux, on ne voyait ni tristesse ni résignation, on pouvait juste lire un profond effroi. Si l’on s’aventurait dans l’allée où il avait élu domicile, camouflé en dessous de cartons usagés et de sacs plastiques, on pouvait l’entendre marmonner.

De jour, l’homme était aussi muet et immobile qu’une pierre tombale. Mais une fois que la lune apparaissait dans le ciel, ce dernier s’agitait et se lançait dans une interminable logorrhée jusqu’à ce qu’il tombe de sommeil ou que le soleil se lève à nouveau.

Les divagations d’un esprit malade enfermé dans la paranoïa? Une schizophrénie naissante ? Une suite de mots sans cohérence ? Rien de tout cela. A la nuit tombée, l’homme, effrayé tel un animal en cage, le corps tremblant de faim et de nervosité, racontait son histoire, racontait sa vérité.

« Ils existent… Ils existent… Je les ai vus… Les suceurs de vie…Ils sont parmi nous… Déguisés… Ils ont failli m’éliminer, oh oui, ils ont failli. Je suis… Non…J’étais… J’étais marié avant… J’avais une maison, un travail, un gros pick up Dodge noir, de beaux vêtements et une jolie petite fille… Diana… Mon enfant… Mon bébé.

Ils me l’ont prise… Ils m’ont arraché le cœur… Les monstres, les draineurs, ils me l’ont enlevée elle et mon épouse bien aimée…

Les… Vam… Les V… Les vampires… »

L’homme avait du mal à prononcer ce mot. Les syllabes semblaient refuser de sortir de sa bouche par crainte que les mots puissent se matérialiser.

« Quel idiot j’ai été… Quelle lubie stupide j’ai eu… Avoir cru que je pouvais traiter avec eux et m’en sortir… J’étais rentré de mon plein gré dans leur repaire, espérant qu’ils puissent m’aider… J’avais eu l’idée du siècle, j’allais devenir riche… J’avais juste besoin d’un petit coup de pouce … Et eux seuls pouvaient me le donner…

Les monstres n’avaient pas étés d’accord au début, ils parlaient de dette à vie, de contrat irréversible, de mettre en gage mon existence en cas d’échec… J’avais accepté toutes leurs conditions… J’étais prêt à leur donner mon âme… Mon projet allait marcher, j’en étais convaincu… Je ne prenais pas de vrais risques… Tout allait bien se passer.

Et ils avaient finis par accéder à ma demande…

Mais ils sont fourbes… Ils sont sournois et à l’affut… Ils parlent poliment, ils sont toujours souriants, ils sont bien habillés, ils inspirent confiance… Ce n’est qu’un masque… La vérité je l’ai vue… En dessous de leurs beaux costumes et de leurs cravates de marque, ce sont des tueurs… Des créatures du diable… »

Souvent, l’homme pleurait à chaudes larmes, entrecoupant son récit de petits cris rageurs et de sanglots. Il passait d’interminables minutes à psalmodier ‘Vampire, vampire’ de sa voix éraillée, avant de continuer son monologue.

Au moindre bruit, il sursautait, une décharge de pure terreur se lisait alors dans son regard et il se ratatinait derrière ses cartons comme s’il avait voulu devenir invisible. Il restait tétanisé, la main posé sur sa bouche pour camoufler le bruit de sa respiration.

« Ils me traquent… Ils me cherchent… Ils savent…Ils savent que je sais ce qu’ils sont vraiment… Ils ont peur… Peur que je révèle au grand jour qu’ils ont pris le contrôle de la terre… Qu’ils tiennent des millions de personnes sous leur maléfique coupe.

Mon projet… Mon beau et magnifique projet… Un échec cuisant… Mes rêves brisés… Comment ai je pu me tromper à ce point ?

Ils sont alors venus réclamer leur dû… Au début, j’ai voulu les payer, je leur ai donné toutes mes économies… Même l’épargne scolaire de Diana…

Ils ont ri… Les monstres n’ont eu aucune pitié… Ils ont absorbés tout ce que j’avais, tout ce que j’étais… Ils ont pris ma voiture… Puis, mes meubles… Un matin, peu après, ma femme avait disparue à mon réveil… La chambre de Diana était vide… Toutes les deux, envolées.

C’est à cause d’eux….Elle m’aimait, avant… C’est de leur faute…

Finalement, ils ont étés jusqu’à prendre ma maison… Un foyer que mon grand père avait bâti de ses mains… Ils me l’ont volée… J’ai essayé de les en empêcher… De me défendre… Mais ils avaient la police dans leurs poches… Ils disaient que c’était la Loi… Que j’avais signé… Que je connaissais les risques…Ils auraient pris mes organes s’ils avaient encore eu la moindre valeur…

J’étais allé les voir pour demander leur aide… Mais ils ont sucé hors de mon corps toute ma vie…

Les vampires… Vampires… VAMPIRES… »

L’homme continuait à divaguer, à hurler et à répéter la même phrase :

« Les vampires existent… Oui, ils existent…
Ils vivent dans les banques… »

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