Challenge d’écriture n°27 – Texte n°8

Atorgael

Le grand départ

Ils sont venus me chercher un matin, très tôt. C’était en juillet je crois

Le soleil se levait à peine mais la lumière qui inonda ma chambre quand les rideaux furent tirés était blessante et me tira douloureusement des rêves dans lesquels j’étais encore à moitié plongé. Je ne pus que me résigner à me lever et j’eus tout de même le droit de prendre un rapide petit déjeuner.

Leurs voix douces et amicales ne cachaient pas leurs angoisses et leur trouble. Je savais ces choses là, nul besoin de les exprimer directement, je les savais, c’est tout.

Nous sommes montés ensuite dans cette grande voiture noire dont je ne me rappelle plus la marque. Un modèle typique prévu pour une grande famille mais où je me retrouvais seul à l’arrière. Les sièges vides de part et d’autre de ma place me firent penser à ceux qui n’étaient pas là, ceux qui, comme moi, étaient partis un matin et que je n’avais plus revus depuis près d’une semaine.

J’étais le dernier.

Le peu de route à faire ne m’épargna cependant pas les dernières recommandations de l’homme et de la femme, de la femme surtout, mais au-delà des mots mille fois entendus, je ne percevais que de l’angoisse et un manque d’assurance flagrant. J’avais envie de hurler que si c’était trop difficile pour eux, ils n’avaient qu’à faire demi-tour que je puisse retrouver mon chez-moi. Mais je savais ces paroles inutiles car tout avait été décidé à mon insu depuis longtemps. Mis devant le fait accompli, je n’avais pas eu le choix. J’ai bien essayé au début de les raisonner mais tous mes arguments semblaient de paille face à un ouragan de résolutions.

Au fil des semaines, je m’étais donc habitué à cette idée : qu’un matin il me faudrait partir, un matin comme celui-ci.

Et puis nous sommes arrivés à la première étape de mon voyage.

Là encore, j’ai essayé de ne pas descendre de voiture, de me faire tout petit. J’avais l’illusoire et secret espoir qu’ils pourraient m’oublier et repartir avec moi à l’arrière. Mais ça ne se passa pas ainsi, évidemment et ils ne m’oublièrent pas.

Par la portière ouverte je jetais un coup d’œil avant de descendre. Je n’étais pas le seul à avoir été emmené. Je le savais, ils me l’avaient dis, mais de le voir …, je ne sais pas, ce fut comme un choc, une révélation. Ainsi, ils ne m’avaient pas menti sur ce point. Cela voulait-il dire que tout le reste allait s’avérer exact. Je n’osais l’espérer, je ne voulais pas le croire. Non, les choses ne sont pas aussi simples, il y a toujours quelque chose qui diffère de ce qu’on vous dit. Toujours. Et toutes leurs belles promesses ne pouvaient que cacher quelque terrible secret.

Mais force était de constater que je reconnu des visages. Des amis que je n’avais pas revus depuis quelques semaines étaient là aux aussi. Aucun de semblaient plus rassurés que moi. Certains visages étaient humides, des yeux rouges et des nez coulaient encore. La peur emplissait cet endroit, je la sentais.

Alors, je décidais de me rebeller.

J’avais pourtant promis de ne pas le faire, mais mon instinct fut plus fort et je me recroquevillais sur le plancher de la voiture, criant que je n’en sortirais pas, qu’ils ne me feraient pas bouger de là. Une paire de mains viriles me saisirent et m’extrayaient vivement de ma pathétique retraite.

Je me retrouvais alors sur le bitume du grand parking, lieu de rendez-vous de toute cette aventure. Des regards fusèrent dans ma direction, ceux de mes amis étaient compréhensifs et amicaux ; ils étaient passés par là eux aussi et comprenaient trop bien ma réaction. D’autres se firent plus froid et réprobateurs comme si j’aurai du m’estimer heureux de tout cela. Sans doute que ces gens là au regard accusateurs n’avaient jamais été dans une telle situation ; ils ne pouvaient pas comprendre.

En écoutant les discussions autour de moi, je compris qu’on attendait les véhicules qui devaient nous emporter vers notre destination finale. Encore une fois, cet espoir que tout ceci n’allait pas arriver me reprit. Tout n’était pas dit, j’allais pouvoir m’en sortir.

Toutes les personnes présentes formaient comme une sorte de cordon autour de moi et mes amis, nous nous étions laissés enfermer au milieu sans nous en rendre compte, comme des amateurs, ils nous avaient parqué pour qu’aucun d’entre nous ne puisse s’enfuir. Circulant au milieu de tout ce petit monde, je repérais alors quatre personnes différentes des autres. Leur couvre-chef et leurs accoutrements les distinguaient de tous les autres. Ils allaient de groupes en groupes et notaient dans de grands cahiers un tas d’informations. Nous étions fichés. Lorsque ce fut mon tour, je n’y coupais pas. Il se présenta comme un accompagnateur ; un terme bien léger qui devait cacher bien des choses moins avouables. Nombres d’informations furent soigneusement notées dans un grand cahier vert. Voila, ils savaient tout de moi, je n’avais plus aucun secret pour eux. Je me sentais vulnérable, abandonné. Pour m’achever définitivement, le parking résonna du bruit des moteurs de deux grands bus rouge et noir, ces mastodontes d’acier et de fumée se garèrent non loin de nous et les portes s’ouvrirent en grand telles deux bouches de l’enfer prêtes à nous engloutirent et à nous emporter.

Je sentis un mouvement de recul parmi mes amis. Alors ça y était, nous allions partir, plus rien n’allait s’y opposer, personne n’allait nous enlever pour nous tirer de cette situation. Je respirai un grand coup et suivi le mouvement.

Les quatre accompagnateurs nous mirent en rang deux par deux en nous comptant comme des bêtes, mon voisin n’en menait pas large, je sentais bien qu’il avait aussi peur que moi et je tentai de lui sourire pour le rassurer, mais je dus manquer de conviction car il ne le fut pas plus qu’auparavant. Quelque part dans la file, quelqu’un vomit tout son petit-déjeuner. Le stress et la tension du départ avaient été plus forts. Je me raccrochais à mon petit sac dans lequel j’avais pus jeter quelques objets personnels qui me tenaient à cœur et me mis en marche quand les premiers de la file commencèrent à grimper dans le bus au son de la voix de deux accompagnateurs qui nous recomptaient au fur et à mesure que nous montions, comme si quelqu’un avait pu s’échapper depuis le dernier comptage.

Quand ce fut mon tour, je me retournais une dernière fois pour voir l’homme et la femme qui étaient repartis en direction de la grande voiture noire, ils me firent un petit geste dans lequel je sentais bien tout le désespoir d’un père et d’une mère.

Enfin je gravis les marches du bus. Une étiquette verte donnait en grosses lettres quelques informations sans doute codées :

” BUS A – N°513 – CAMP EC ”

J’avais alors huit ans et demi et je prenais le chemin pour le camp de l’écureuil, en route pour les premières colonies de vacances.

Ce furent peut-être mes plus belles vacances.

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