Challenge d’écriture n°24 – Texte n°10

Skritt

La rue entière puait la mort et la chair calcinée, je tombai au sol et… je me mis à pleurer dans la lumière naissante du jour. Le soleil se levait et l’aube donnait un reflet coloré à la sombre scène qui s’étalait sous mes yeux. La rue où je vivais, avait été incendiée, entièrement, avec ses maisons et ses habitants. Le village, tout entier, où j’étais né n’avait pas survécu à l’invasion des forces du chaos venues du nord.

La nuit avait été longue. Les repoussants orques avaient pillé et tué. Ils avaient incendié le village. Les champs alentours, aussi, étaient dévastés. Ça et là, des braises chaudes couvaient encore, attisées par la brise fraîche du matin. Des bâtisses, il ne restait que les murs de pierre, épais et protecteurs. Tout ce qui pouvait brûler avait brûlé, et il n’en restait que des vestiges noirs et poussiéreux.

J’entendais au loin, l’écriteau branlant et presque entièrement carbonisé de l’échoppe, qui grinçait comme poussé par un doigt invisible et qui ne tenait plus que par quelques maillons noircis. Je séchais mes larmes avec le revers de la main et je me relevais enfin.

Combien de temps étais-je resté agenouillé là, dans les cendres encore tièdes, à pleurer. Je n’en sais rien, mais le temps semblait comme arrêté sur la scène, comme si le soleil s’était arrêté de tourner autour du monde, comme si son ascension dans le ciel frais du matin avait fait une halte. Le ciel, le ciel était d’un bleu clair, presque blanc et pur, sans nuage, sans lune. Je m’avançais dans les décombres. Je marchais jusqu’à l’échoppe, un bâtiment qui abritait la boutique au rez-de-chaussée et les appartements du propriétaire à l’étage. Je connaissais cette famille. Je pénétrais à l’intérieur. Il ne restait presque plus rien. Du plancher de l’étage, seules quelques grosses poutres noires jaillissaient des murs et je pouvais apercevoir à travers le toit troué le ciel limpide. Un corps était allongé devant moi, affalé sur lui-même, il tenait encore son arme de sa main séchée et cramoisie. Que pouvait bien faire une épée contre la haine furieuse d’un ennemi. Je sortais de l’échoppe sous le choc, hagard. Des gens avec qui j’avais partagé des joie, des peines, et des souffrances, avaient combattu pour se défendre, et moi, qu’avais-je fait, où étais-je. Me suis-je enfui devant le danger. Je me suis remis à marcher dans cette rue calme où quelques enfants couraient et chantaient il y a encore seulement quelques heures. Je m’arrêtais à nouveau, et mes pas me conduisirent à l’intérieur des vestiges d’une maison. Les restes d’une table et de chaises gisaient au milieu de la pièce principale, des couverts brillaient dans la poussière et les cendres des meubles. Ces habitants étaient en train de manger après une dure journée de travail, des paysans certainement, ils étaient sûrement en train de parler, peut-être de rire, de prendre du bon temps après plusieurs heures d’effort, et le mal est arrivé, jusque chez eux, dans la nuit noire il a frappé à leur porte et les a emporté. La lumière du jour pénétrait par le toit qui menaçait de s’effondrer à tout moment. Je pénétrais encore plus dans la maison. Et… je faillis pousser un cri d’effroi. Ici, gisaient, dans un rayon de lumière plusieurs corps. Il y avait deux adultes, et l’un d’eux enlaçait dans une dernière caresse éternelle un jeune enfant, un bébé. J’avais les yeux qui larmoyaient, mais je m’approchais encore, mû par je ne sais quel pressentiment. Un enfant se tenait aux côtés de sa mère, agenouillé, ses deux petits bras la tenant encore fermement. Je discernais très vaguement le visage. La mâchoire crispée par la peur s’ouvrait sur un cri silencieux. Inconsciemment, je tendais la main, pour le rassurer, mais je m’arrêtais soudainement. L’autre adulte, un homme, se trouvait derrière eux et les entouraient de bras qui se voulaient protecteur. Des morceaux de bois fins dépassaient de son dos et je comprenais que l’homme s’était battu avant d’être gravement blessé par des flèches. Il était revenu chez lui pour être avec sa famille dans les derniers instants. Un détail m’interpellait alors,un objet brillait dans la lumière blanche du matin, un bijou. A sa main, une bague étincelait et m’appelait. Je m’approchais encore plus et… je me mis à hurler de toutes mes forces. Cette bague, c’était la mienne, celle que j’avais, passée à l’un de mes doigts. Et soudain, les souvenirs, enfouis profondément, refirent surface violemment. Je me rappelais de tout, très clairement. Le repas que ma femme avait préparé, mon fils sur les genoux chantant une comptine. Puis, l’alerte qui nous avait fait prendre les armes pour protéger notre village. Le combat, rude et violent. Mon retour, chez moi, blessé, haletant, où je m’effondrais dans les bras de ma femme.

Je sortais de ma maison, dans la rue, en titubant, pleurant, et criant toute ma rage. Cette nuit avait trouvé la mort de ma famille, mes enfants et ma femme. Je levais les bras au ciel et je hurlais contre les dieux qui nous avaient imposé ce cruel destin fatal. Je marchais vers le bout de la rue pour quitter le village, pour courir, loin de la souffrance qui rongeait mon cœur, mon âme. Sur la route au loin j’apercevais, des formes indistinctes. Je m’approchais puis me mis à courir, et je reconnaissais alors ma femme et mes enfants. Mes pleurs n’étaient plus de douleur mais de joie. La joie d’avoir retrouvé ma famille. Nous nous sommes enlacer et embrasser pendant je ne sais combien de temps, puis nous sommes partis, sans nous retourner vers une autre vie, ensemble.

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