L’appât du gain

Grimtel commençait à trouver le temps long. Deux jours qu’il croupissait dans cette geôle insalubre et rien n’indiquait que sa situation allait s’améliorer. En tout cas, pas depuis que le grand inquisiteur était entré dans sa cellule. A ses pieds, son sac de voyage entrouvert semblait le narguer. Quelle déchéance pour un flibustier de son niveau.

Il ne pouvait cependant s’en prendre qu’à lui-même et cela le faisait enrager d’autant plus, il avait cédé à la tentation et il en payait maintenant le prix. Marienkorf et ses promesses avaient fini par le faire céder à la tentation, tels des chants de sirènes perfides. Comment résister aux vingt-sept parures de diamants de l’Impératrice Rouge et, surtout, comment ne pas répondre à l’affront fait en pleine mer où les galions impériaux escortant le trésor avaient réussi à déjouer ses tentatives d’abordage. Grimtel ruminait encore la manière dont ils avaient forcé la ligne de ses frégates avant de s’enfuir sous le couvert d’un brouillard trop opportun pour être naturel. Ça l’avait mis en rage et il avait alors décidé de s’emparer des bijoux impériaux par tous les moyens. Sa première erreur de jugement.

La remontée du fleuve vers Marienkorf avait été facilitée par quelques pattes graissées au débarcadère de Beledburg qui avaient discrètement baissé les chaînes bloquant le passage. Son sloop avait ainsi pu s’avancer au plus près de la capitale en se mêlant au trafic fluvial des pécheurs et autres commerçants. Amarré à quelques lieux du port principal de Marienkorf, son bateau et son équipage devaient encore attendre son retour depuis qu’il avait pris la route seul. Sa seconde erreur.

La discrétion étant de mise, Grimtel avait décidé de faire la dernière partie du trajet en solitaire et à pied. Équipé de son seul sac de voyage et d’un coutelas, il était parti confiant. En arrivant devant les murs de Marienkorf, il avait su que cette décision avait été la meilleure car un groupe de marins basanés fraîchement débarqués n’auraient pas manqué d’attirer l’attention des gardes. Se mêlant aux paysans du coin venus vendre leur production, il passa aisément les rapides inspections de routine. Une fois dans la cité, il retrouva les réflexes de son enfance de petit voleur à l’arrachée. Il avait rapidement trouvé le chemin du palais ducal dans l’entrelacs des rues et s’était mis à la recherche d’informations sur les bijoux de l’Impératrice. Ce fut presque trop facile tellement les larbins du palais en parlaient le soir dans toutes les auberges. L’un se vantant de les avoir vu de près, l’autre d’avoir porté tel ou tel coffret ou même de les avoir touchés. Grimtel en était arrivé à la conclusion que les bijoux allaient rester en ville pendant encore au moins deux semaines, suffisamment de temps pour mettre sur pied un piège que les galions n’allaient pas pouvoir éviter. Tranquillisé par ce délai, Grimtel avait alors fait sa troisième erreur : aller voir les galions.

Imposants, superbes et immenses les quatre galions surclassaient tous les autres navires à quai. Mais les lieux étaient sous surveillance renforcée, même les gamins des rues étaient rudement incités à ne pas traîner dans le coin. Grimtel avait alors décidé de s’installer à la terrasse d’une auberge pour voir les galions sans trop se faire remarquer. Pendant un instant, il s’était imaginé s’emparer d’un de ces navires pour l’ajouter à sa flotte. Tout à sa rêverie, il ne remarqua par tout de suite ce traître de Bortal. Ce lâche, cet ingrat, son ancien second qu’il pensait avoir été dévoré par les poissons depuis longtemps. Depuis quand l’observait-il ainsi ? Il n’avait su répondre, mais quand leurs regards se croisèrent, Bortal avait pris ses jambes à son cou. Grimtel s’était élancé derrière lui, sa lame ayant eu une soudaine soif. Mais la traque avait tourné court car sa proie connaissait mieux les méandres de la ville que lui et il s’était rapidement perdu. Abandonnant sa poursuite, il avait cherché à quitter la cité avant une mauvaise rencontre avec la soldatesque. Mais il était trop tard, le traître avait signalé sa présence sans doute pour quelques misérables piécettes et Grimtel s’était fait cueillir au détour d’une rue.

Attaché au mur par des menottes de fer qui lui mordaient les chairs, Grimtel avait attendu. Quand le grand inquisiteur était apparu, il avait presque été soulagé. Le magistrat avait ordonné de rester seul avec le prévenu, ordre que les gardes n’allaient pas outrepasser et les portes s’étaient refermées sur les deux hommes comme les portes d’un mausolée sur la dernière demeure d’un trépassé. Les questions avaient été brèves et répétitives, de toutes les manières, Grimtel se doutait bien que le grand inquisiteur avait déjà statué sur son cas, alors il s’était muré dans un mutisme provocateur. Quand l’inquisiteur avait saisi son sac pour en faire l’inventaire, il n’avait toujours rien dit, sa cinquième erreur.

Voulant explorer le fond du sac, le juge suprême du duché avait enfoncé son bras un tout petit peu trop loin. Sans le mot de passe magique, le « sac de contenance Pantagruélique » avait alors avalé l’homme sur le second plan élémentaire de magie sans possibilité d’en revenir sans une action extérieure.
Grimtel trouvait le temps long, très long, il ne pouvait qu’attendre et espérer que quelqu’un s’inquiète de la longueur de l’interrogatoire et vienne voir dans la cellule, mais le grand inquisiteur avait été très clair, personne ne devait entrer sans son autorisation. Personne.


Texte envoyé dans le cadre de l’appel à texte « Vide-Poche » et non sélectionné. Comme il ne faut rien jeter, je vous le présente ici. Bonne lecture.

 

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