Prochain arrêt : Proxima du Centaure

Café Santo Papa – Brésil – Juillet 2316

Les terrasses des cafés étaient bondées, dans les rues le peuple fêtait joyeusement le vingtième titre mondiale de l’équipe de foot nationale. Sao Paulo allait se réveiller avec une sacrée gueule de bois le lendemain.

Loin de la fête et des réjouissances, deux hommes ont réussi à se trouver une place au fond de la salle résonnant aux sons d’une samba enfiévrée. La musique qui sort des enceintes antédiluviennes ne les dérange pas car le système d’isolement phonique incorporé à la table les protège de cette cacophonie de chants et de cris. Ils ont bien d’autres sujets de préoccupations en tête. Penchés sur leurs bières éventées, ils ruminent les derniers évènements de leur journée.

– J’étais sûr qu’ils comprendraient, commence le plus ancien.

– Je sais, ça aurait pu changer pas mal de chose, que de temps perdu au final, poursuit son acolyte.

– Il faut continuer les travaux et tout reprendre à zéro, on ne peut pas laisser tomber, c’est trop important.

– Les calculateurs ont mis cinq mois à nous sortir ces résultats, les reconfigurer va demander au moins autant de temps.

– Je sais Ito, mais on n’a pas vraiment le choix, il faut que ces suspenseurs magnéto-gravitiques fassent leurs preuves. Tu es avec moi encore quelques temps ?

– Tu sais bien que oui Karl.

Karl Hoff et Ito Mankéief en scellant ainsi leur fraternité de scientifiques furent à l’origine de la survie de l’espèce humaine en mettant au point quelques années plus tard l’effet Mankéhoff.

***

Dôme F. – Antarctique – Mars 2484

Les sirènes d’alarmes hurlaient dans les couloirs désertés de la station. Tout le personnel se dirigeait sereinement vers les ascenseurs magnétiques en direction de la surface. D’ici quinze minutes, il ne resterait dans toute la base de recherche que le personnel strictement habilité, rassemblés autour du professeur Laura Stabler.

– Compte à rebours lancé, H. moins trente minutes, annonça la voix synthétique du compte à rebours.

La petite salle de commande blindée était d’un calme impressionnant malgré la présence d’une dizaine de scientifiques. Chacun scrutaient les écrans et enregistreurs devant eux, attendant les premières valeurs des capteurs situés cinq kilomètres plus bas sous leurs pieds, à près de huit kilomètres sous la surface.

Là, un couloir circulaire de six cent mètres de rayon et long de cent kilomètres, avec en son centre une bille de quatre millimètres attendant en suspension magnétique, contenait tous les espoirs des chercheurs engagés dans le projet depuis plus de vingt-cinq ans. Des sommes colossales avaient été investies dans cette installation, on disait même que l’économie de la confédération Sino-japonaise était exsangue et mettrait plus de deux décennies à s’en remettre.

– H moins vingt minutes.

Mais en cette heure, l’économie importait peu aux chercheurs concentrés sur leurs pupitres : les premières indications arrivaient, tout semblait se passer conformément aux valeurs attendues, les niveaux d’énergie se stabilisaient au niveau optimum. Tout se déroulait normalement.

– H moins dix minutes.

La salle de commande fut prise de vibrations. D’abord imperceptibles, elles se firent de plus en plus sensibles. Mais rien qui ne dépassât le seuil admissible.

– Quinze secondes… Dix secondes…Cinq, Quatre, trois, deux, un, lancement.

Le choc décrocha une armoire électrique et la lumière tremblota un instant avant de s’éteindre. Les auxiliaires prirent le relai et la salle de commande fut plongée dans une lumière verte sans que personne ne panique ni s’en émeuve vraiment.

Loin sous la terre, le projectile avait atteint une vitesse sidérante et creusé un fin tunnel de quelques centimètres de diamètre après sa course le long du tunnel principal. La roche avait ainsi été percée sur plus de trois cent kilomètres avant que l’énergie de la bille ne se soit entièrement dissipée.

La propulsion Mankéhoff-Stabler était au point.

***

Omsk – Sibérie – Mai 2830

La gare de triage était une véritable ruche. Les activités frénétiques des ouvriers et manutentionnaires n’avaient plus cessé depuis le lancement du programme Omsk-54. Les gigantesques trains chargeaient les modules par centaines et chaque jour des dizaines de convois ferroviaires partaient aussi bien vers l’est que vers l’ouest pendant qu’autant revenaient se charger de des précieux chargements.

Fabriqués dans les monumentales usines de productions, ces modules arrivaient directement finis et pré-conditionnés sur les quais de la gare. Les lignes de production en sortaient des centaines par jour.

Omsk-54 n’était qu’un des centres de production disséminés dans le monde entier, sur tous les continents de semblables complexes industriels produisaient ces mêmes modules jours et nuits.

Ce n’étaient que des boites standardisées de soixante mètres carré de surface pour une hauteur de quatre mètres. Ces volume de deux cent quarante mètres cube renfermaient une technologie de pointe en matière de survie en milieu hostile. Parfaitement étanche, un module permettait de vivre confortablement durant des mois sans apport extérieur. Les recycleurs et producteurs d’air et de substances nutritives pouvaient faire vivre une famille réglementaire en toute sécurité pratiquement une année complète. Différentes possibilités de disposition de l’intérieur du module était disponibles, libres aux acquéreurs d’organiser cloisons et aménagements selon leurs besoins.

Malgré l’élan mondial qui avait permis la mise en marche du processus, nombreux étaient ceux à se poser des questions, les modules allaient-ils résister aux conditions extrêmes ? Serait-on capable d’en produire en nombres suffisant avant la date limite ? Et après ?

Les gouvernements tentaient de rassurer les populations avec des campagnes permanentes tenant plus de la propagande que de l’information. Des groupes de libres penseurs tentaient de fournir un éclairage différent sans y parvenir. Les actions se firent plus radicales et les premiers attentats se produisirent. Omsk-54 dû même interrompre sa production pendant près de trois semaines à la suite de l’explosion d’une unité de production d’azote.

Ailleurs, d’autres unités de production subirent des dommages plus importants, compromettant notamment les chances d’une partie de la population d’Amérique de nord de s’équiper.

Lors des premières livraisons, des émeutes se déclarèrent ; l’inquiétude de ne pas avoir son module l’emportant sur la raison. L’armée s’en mêla et les premières victimes tombèrent.

Une partie de l’idéal du projet tomba avec elles.

***

Enclave 88 – Zurich – Janvier 2864

Un vent froid balayait la vallée, mordant le moindre morceau de chair exposée, il fallait être motivé pour se rendre dans l’enclave 88. Hans et Magda Zucca accompagnés de leur fils l’étaient. Ils allaient enfin prendre possession de leur module.

Le camion au moteur poussif peinait à prendre le chemin escarpé menant à l’enclave. Au milieu d’une file d’autres camions, camionnettes ou simples voitures, il ne fallait surtout pas s’arrêter au risque de se voir pousser sur le bord de la route et ne plus pouvoir repartir.

Toutes leurs possessions étaient entassées à l’arrière. On leur avait bien dit de ne pas tout prendre, mais il leur avait été trop difficile de se séparer de leur ancienne vie. Hans et Magda étaient les heureux propriétaires d’un titre de transport « étoile », passeport pour une nouvelle vie pleine d’inconnu.

– C’est ici, prend à gauche, dit Magda quand elle vit le panneau indiquant la rangée où se trouvait leur module.

Plusieurs véhicules avaient déjà pris d’autres directions. Alignés sur des kilomètres, les modules formaient une petite ville en périphérie de Zurich. La terre avait été aplanie à cet endroit, les crevasses comblées et les cours d’eau détournés ou asséchés. Tout avait été préparé pour que l’accessibilité ne soit pas un problème pour les propriétaires. Les Allées étaient larges bien plus facile d’accès que la route qui y avait mené.

Au centre de l’enclave, le gigantesque ascenseur gravitationnel attendait les premiers modules pour les monter en orbite basse où ils s’accrocheraient pour ne former qu’un immense bloc. Issu de la technologie utilisée pour ravitailler la station orbitale annulaire qui entourait la terre, l’ascenseur avait été surdimensionné pour y faire passer une cargaison bien plus volumineuse que les caisses de fourniture pour la station. Défi technologique relevé avec succès et parfaitement au point.

– Numéro 551, on y est Hans.

La voix de Magda vibrait d’excitation, même le petit Rudy à peine âgé de cinq ans commençait à s’agiter sur la banquette arrière.

Puis, comme des centaines d’autres familles, les Zucca s’avancèrent respectueusement de leur module, Hans appliqua sa paume sur le détecteur d’empreintes palmaires et la cloison s’effaça dans un chuintement pneumatique. Ils se précipitèrent à l’intérieur pour prendre possession des lieux. Plus tard, ils remplirent leur module de leurs affaires, celles tout du moins qu’ils parvinrent à faire entrer, une bonne partie dû rester à l’arrière du camion, comme des centaines d’autres familles.

L’étape suivante se déroula une semaine plus tard. Habitués à leur nouvel environnement, les Zucca suivirent sans difficulté les protocoles de décollage du module. D’abord glissant par suspension magnétique sur les rails qui le menèrent à l’ascenseur, le module 551 y entra précautionneusement. Les procédures de contrôles confirmèrent l’étanchéité et le départ fut donné. Propulsé par la gravité inversée de l’ascenseur, les Zucca se retrouvèrent, en à peine quelques heures, en orbite de la terre.

Le module 551 rejoignit les autres modules en attente, il s’y accrocha pour former un bloc compact devant un propulseur classique à plasma de type « Intra ». Là, les voyageurs en partance purent admirer la magnifique couleur bleue de leur planète, ternie ça et là de bandes ocre et marron. Se furent les dernières images qu’ils eurent du berceau de l’humanité.

***

Orbite de Pluton – Système solaire – 2867

La course du train de modules prit fin lors d’une longue décélération. Lancés à cent kilomètres-seconde depuis près de trois années, la longue translation se terminait enfin ; avant le grand voyage.

Depuis un mois environ, les écrans des modules montraient le Tube, les émissions d’informations en expliquaient tous les détails. Rudy n’en manquait pas une miette, se rediffusant des extraits encore et encore, avide de toutes les données possible. Hans et Magda étaient fiers de leurs fils et l’encourageaient. Qui pouvait savoir de quoi il aurait besoin plus tard.

Leur train comprenait quatre milles modules emboités les uns dans les autres, le taux de perte après ce saut de puce n’était que de zéro virgule zéro deux pourcent. Tragique, mais négligeable au vu de l’enjeu global.

De la terre aucune nouvelle n’avait été retransmise, le moral restait bon même si une autre infime partie des voyageurs n’allaient pas pouvoir accomplir la suite du trajet, leur santé mentale n’étant pas compatible avec les longs voyages spatiaux.

Tous ces modules laissés vacants allaient être rempli de piles de ravitaillement, ceci avait été prévu et même espéré.

Le train de module s’approcha du vingt-septième anneau pour s’amarrer en attente de l’embarquement final. Accroché à cet anneau géant flottant dans l’espace, il attendit avec des dizaines d’autres trains étaient déjà amarrés. Partout sur les deux cent cinquante anneaux alignés en un gigantesque tunnel les mêmes scènes se répétaient. D’ici quelques semaines, les derniers modules seraient arrivés et l’embarquement pourrait s’achever.

Durant cette attente, les portes furent ouvertes et les contacts entre passagers autorisés. Les liens sociaux furent parfois difficiles à renouer et beaucoup préférèrent ne pas sortir. Les modules abimés furent détachés du train et remplacés par des modules d’approvisionnement et tous les modules individuels furent rechargés au maximum.

Les familles jugées non aptes au voyage furent invitées à rejoindre les installations en orbite de Pluton. Cela se finissait ainsi pour elles, aucun retour vers la terre n’étant possible. Beaucoup cédèrent à la pression emmagasinée et à la frustration engendrée et quelques scènes pénibles vinrent gâchées l’allégresse générale, subtilement stimulée par les neuros-inhibiteurs lâchés dans les systèmes de climatisation des modules.

***

Le Tube – Système solaire – 2867

Rudy ne tenait plus en place. Sanglé sur son siège, il n’arrivait pas à se calmer tout excité à l’approche du départ, le vrai. Même s’ils essayaient de n’en rien montrer, Hans et Magda étaient également très nerveux : le train venait de se mettre en marche, direction le Tube, l’embarquement des dix milliards de modules venait de commencer.

Avec une précision à peine imaginable, les trains de modules se dirigèrent d’un même mouvement parfaitement synchronisé vers le Tube. Sur toute la surface de ce dernier s’étaient ouverts des sabords à peine plus gros que des petites taches mais dont la taille devint suffisante pour laisser passer les trains de modules à mesure de leur approche finale.

Le spectacle était étourdissant, des dizaines d’années d’efforts, de recherche et de sacrifices aboutissaient enfin à cet ultime moment ; des siècles depuis que la théorie avait été lancée. Qu’en auraient dit leurs créateurs, auraient-ils pu imaginer qu’un jour le génie humain parviendrait à ce résultat ? Sans doute pas. Pas à cette échelle.

Et pourtant tout cela avait été nécessaire pour que l’humanité survive à la surpopulation, la pollution de ces océans et de son atmosphère. Partir n’était pas une option, partir était une nécessité. Mars également tait saturé, la lune pleine à craquer, ne restait que les planètes les plus lointaines. Mais il avait été difficile de les exploiter avec efficacité, ne restait plus que les étoiles. Proxima du Centaure avait été le choix évident et le plus accessible. En faisant partir des milliards d’individus, la terre se donnait une chance de survivre, une toute petite chance.

Les trains vinrent s’arrimer au moyeu central du Tube puis les internes vinrent se positionner autour des modules afin de les emprisonner et les solidariser au Tube. Le départ était imminent et les sabords se fermèrent, isolant les modules du vide spatial.

Sur les tous écrans le visage d’un homme apparu. Souriant et accueillant, il annonça le départ :

– Je suis votre commandant de bord en charge du départ. Nous sommes maintenant à moins d’une heure de quitter notre système solaire, j’espère que vous n’avez rien oublié sur Terre, il n’est pas prévu d’y revenir…

Un peu partout, les voyageurs sourirent plus ou moins nerveusement à ce trait d’humour qui annonçait cependant une réalité que tous avaient depuis longtemps intégrée, c’était un voyage sans retour.

– … Les systèmes automatisés vont prendre en charge toute la procédure de lancement et vous recevez en ce moment les premiers traitements prévus par les protocoles…

Les plus jeunes des passagers tombaient doucement dans un sommeil protecteur, leurs sièges se refermant autour d’eux en de solides cocons gravitationnels qui allaient leur permettre de résister à la brusque accélération initiale. Bientôt leurs ainées allaient s’endormir également

– … Je vais moi-même rejoindre mon poste pour le départ et je ne manquerai pas de vous réveiller pour le diner, d’ici … une quinzaine de jours. Prochain arrêt : Proxima du Centaure…

Les grands anneaux encerclant le tube s’étaient activés depuis le départ des trains de module, ils atteignaient maintenant leur pleine puissance vidant leurs accumulateurs d’énergie pendant que le Tube lui-même se chargeait sur toute sa surface. Les polarités mises en jeu allaient entrer en interaction et propulser le Tube sur un chemin magnétique afin de lui donner l’impulsion nécessaire. Les moteurs à propulsion Mankéhoff-Stabler-Glimp prendraient ensuite le relai pour maintenir la vitesse à près de vingt mille kilomètres secondes.

– … Arrivée estimée dans soixante quatre années, bon voyage à tous.

Aucun commentaire

Laisser un commentaire

Votre courriel ne sera jamais rendu public.Les champs marqués d'un astérisque (*) sont obligatoires