Aller, retour et aller

Le véhicule traçait sa route au milieu de la caillasse et des arbustes rabougris depuis près de quinze minutes. Dans la soute arrière, ses cinq passagers solidement harnachés s’occupaient chacun à leurs manières.

Celui qui était visiblement le chef tentait de griffonner quelques mots dans un petit carnet tout en examinant une carte militaire. Assis en face de la porte arrière le dos à la cloison qui le séparait du conducteur, il pouvait jauger ses hommes.

A droite, Gecko et le bleu, sur sa gauche, se trouvaient Techos et Surin.

Techos n’était plus de la première jeunesse, il était déjà là quand le chef avait pris le commandement du groupe. Il s’affairait sur le sac posé sur ses genoux avec une sorte de scanner perfectionné, pianotant ici, ajustant là un réglage pour refaire encore et encore ses tests et mesures. Tous les hommes portaient le même sac, il s’agissait du quatrième qu’il scannait ainsi.

A côté de lui, Surin jouait avec un long poignard, repassant sans cesse la lame sur sa pierre à aiguiser. Surin avait un petit côté psychopathe qui donnait des sueurs froides à tout le monde. En ce moment, il tapait sérieusement sur les nerfs de celui qui était en face de lui. Il s’agissait du nouveau du groupe, le bleu. C’était sa première mission et une forte probabilité que ce soit sa dernière également. Les stats ne jouaient pas en sa faveur. Fasciné par la lame de surin, il ne se rendait pas comte qu’il serrait les dents à chaque fois que le métal venait caresser la pierre.

Techos mit in à cette fascination hypnotique en lui balançant un coup de botte dans les jambes.

« Ton sac le bleu.

– Hein, demanda l’interpellé.

– Passe-moi ton sac et prends celui-là. »

Surin lança un regard noir à Techos, mi-énervé, mi-amusé comme un gamin sadique à qui on retire son souffre-douleur.

Chef prit la parole en rangeant carnet et crayon.

« Dis-moi le bleu, comment tu t’es retrouvé chez nous ?

– Je me suis porté volontaire monsieur. »

Les quatre hommes du groupe en furent interloqués, même Surin arrêta son petit jeu.

« C’est quoi ton histoire ? Faut être dingue pour être volontaire !

– Divergence d’opinion monsieur, je veux prouver que cette guerre est juste et que…

– Oh bon sang, un idéaliste ! Deux choses le bleu : de un tu ne m’appelles pas monsieur mais chef ; de deux tu te goures à un point que tu n’imagines même pas. Les guerres justes ça n’existe pas. Qu’est-ce que tu crois qu’on fait dans cette boite à roulettes ? T’es dans les Bé-H là ! A moins que tu ne saches pas ce que ça veut dire.

-Si chef, c’est l’acronyme de …

– L’accro-quoi ? Ça veut juste dire Bombes humaines. Maintenant ferme-là, on arrive. »

Comme pour confirmer le chef, un haut parleur cracha quelques mots à l’attention des passagers.

« Point d’arrivée à vingt secondes. Cinq secondes pour dégager avant que je reparte. »

Les hommes se préparèrent, les mains sur les dégagements rapides des harnais, ils étaient prêts à évacuer. Quand le véhicule s’immobilisa, ils mirent trois secondes quatre vingt sep centième à en sortir.les portes arrière claquèrent et le véhicule reprit le chemin du retour dans le vrombissement de ses moteurs.

« Trouvez-vous une planque et restez-y. Techos, t’as fini ?

– Oui chef, c’était dans le sac du nouveau.

– Lance le drone. »

Techos sortit de sa poche un petit disque qu’il déploya délicatement et en y insérant ce qui ressemblait fort à un traceur miniaturisé. Il plaça le disque au creux de sa main et pressa un petit bouton sur le côté de l’engin qui décolla sans un bruit. Son programme de navigation l’envoya droit devant lui.

Le bleu allait poser une question quand un bruit de moteur l’interrompit, un véhicule était en approche.

« Préparez-vous, on passe à la deuxième phase du plan, lança le chef. »

Sortit d’un nuage de poussière, le transport qui les avait amené là, stoppa en même temps que la porte arrière s’ouvrait. Ils s’y engouffrèrent tous et la véhicule reprit la route.

« T’en fais une tête le bleu, quelque chose qui ne va pas ? » demanda Surin.

L’interpellé le regarda déstabilisé par la situation. Il finit par poser la question au chef :

« Je peux savoir ce qui se passe chef ? On n’et pas supposé s’approcher des lignes ennemies en véhicule.

– Au moins tu as suivi le briefing. T’as raison et tort à la fois. C’est vrai, on devait finir le voyage à pied. Par contre on ne va pas exactement là où on était prévu d’aller, le programme de la journée vient de changer.

– Où on va poser nos bombes alors ?

– Devine !

– Vous voulez dire que… ?

– Bah oui, si on ne va pas d’un côté, on va forcément de l’autre. Facile, il n’y a que deux camps.

– Mais c’est de la rébellion !

– Pas vraiment. Les statuts d’engagement spécifient que les Bé-H sont une unité de mercenaires, plus facile à passer aux pertes et profits tu vois. Du coup on a décidé d’agir comme des mercenaires, on offre nos services à ceux qui payent le mieux. Et là on vient de recevoir une offre trop tentante.

– Mais le pilote ? Il va jamais vouloir nous conduire !

– Qui pilote d’après toi ?

– Bah je le connais pas, mais ça doit être celui qui nous a largué tout à l’heure !

Et non ! On a notre propre pilote vois-tu.

– Et qui c’est on est tous à l’arrière du transport ?

– T’en est bien sûr ? Où est gecko d’après toi ?

– Bah là à côté de moi … !

– Ouais, ça fait bizarre la première fois. Notre ami Gecko a des talents très particuliers. En plus de se fondre dans son environnement, i possède quelques facultés à embrouiller l’esprit des gens. Me demande pas comment, j’en sais foutre rien, tout ce que je sais c’est que c’est bien pratique pour nos activités ! »

***

Dans le bunker de commandement, le colonel Lynch recevait les informations en provenance des vingt groupes de Bé-H envoyés presque deux heures plus tôt.

La plupart des escouades avaient livré leurs colis dans les temps, voire avec un légère avance. Ceux-là allaient pouvoir être récupérés. Mais quelques autres avaient pris du retard sur la livraison. Pour eux, aucun véhicule ne seraient envoyés. Il y avait trop peu de chance qu’ils s’en sortent vivants une fois des déflagrations ou des représailles ennemies.

Face au colonel Lynch, un pupitre avec un unique bouton allait déclencher toutes les explosions sur les bases adverses.

« Une minute mon colonel, lui rappela son aide de camp.

– Envoyez les véhicules de récupération sur ces zones, ordonna Lynch en lui tendant une plaquette de données.

Cinquante secondes plus tard, le colonel Lynch appuya sur son bouton de mise à feu.

Quinze cibles ennemies furent touchées et gravement endommagées, le bunker du colonel Lynch partit en fumée sous l’effet combiné de vingt-cinq charges explosives.

***

Dans le no man’s land, cinq véhicules de transport traçaient leur route vers leurs nouvelles affectations, au loin, la poussière retombait doucement.

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